Montreuil

 
Nous voulions aussi percer à Montreuil. Alors, après concertation avec Bielka et Colette nous décidons de venir sur le terrain des caravanes des Roms roumains de la rue Pierre de Montreuil. Auparavant nous nous sommes mis d’accord avec le chapiteau voisin qu’en cas de pluie nous pouvons nous rabattre chez eux, mais en principe, nous préférons intervenir en plein camps à, ciel découvert. En arrivant nous voyons un attroupement au fond du camp, manifestement tous les adultes sont réunis à débattre de quelque chose de grave, l’atmosphère est très lourde. Le moins que l’on puisse dire c’est que ça ne rigole pas… Nous apprenons que la veille une rixe sanglante a eue lieu. Quinze à vingt Tchora Roma sont venus tout simplement de Roumanie pour passer à tabac les adultes du campement pour faute d’impayé de « loyer » pour avoir droit à coucher dans ces caravanes  éventrées.  Du racket de la misère par des miséreux envers d’autres misérables. Il y a eu des coups et des blessures. Du sang, du Samu, de la police. Quelques uns sont partis sur le champ pour la Roumanie, d’autres sont restés là, hagards, le peur au ventre à attendre ce qui va se passer, n’ayant nulle part ou fuir. Il est évident que l’heure n’est pas à la rigolade, ni à la distraction, et que le mieux que l’on puisse faire, est de partir de suite.  Dans des cas similaires je ne cherche pas du tout à intervenir, mes compétences étant de loin dépassées par la gravité de la situation. Alors on veut partir à un autre endroit, un autre squat. Mais c’est compliqué. Il y a le chapiteau d’à côté avec quelques mômes, des touts petits, qui sont là, pas très bien en point avec tout ce qui se passe, mais que nous sentons en demande de quoi que ce soit d’autre, que ce qu’ils viennent de vivre la nuit dernière. Alors,  pas du tout en train, mais s’accrochant à ces étincelles d’espoir empreintes de désarroi  que nous lisons dans leurs yeux, nous commençons malgré tout la répétition. Au début il n’y a pas grand monde. Cela a du mal à prendre, mais petit à petit les autres viennent, des plus grands aussi, quelques adultes arrivent, nous accélérons le tempo, on fait comme si rien n’était, et on arrive à se plonger tous dans ce merveilleux refuge de la musique, loin de la sordide réalité de la quelle nous sépare une bâche de tente de cirque.  Inutile de s’attarder sur des détails, comme pas d’électricité, pas de sol approprié  - de la sciure pour animaux, etc., sans parler du froid. L’essentiel est ailleurs. L’essentiel est que cet après-midi, le lendemain d’avoir subi une agression violente, d’avoir vu le sang couler, d’avoir vu les siens se faire attaquer, fuir, amener en prison, le lendemain de ces faits là, de cette expérience traumatisante à tout jamais, ces mômes aient pu vivre quelque chose à l’opposé  de cet traumatisme. Un autre « traumatisme », mais cet fois-ci positif, qui fait que ces gamins, maintenant ne vont pas que jouer aux bandits, assassins, voleurs, ils vont jouer aussi a chanter, danser, rire et encore chanter, car cela aussi ça fait partie de la culture tzigane, de leur culture, et pas seulement la mendicité, le racket, la peur, la bagarre, le sang, la mort. Donc la répétition s’est finalement très bien passée, au bout d’une heure et demie nous avons pu quitter ces lieux la tête haute et le sourire au visage, car nous aussi, nous avons réussi à intervenir dans la vie de ces gamins. Il va sans dire que toutes ces « opérations », nous les menions sous notre seule responsabilité, n’ayant aucun partenaire institutionnel que nous pourrions contacter. « Rues et cités » sont encore en attente de fonds pour s’investir et Aubervilliers, malgré toutes les bonnes volontés de touts parts, n’arrive pas à franchir les obstacles administratifs pour que nous puissions intervenir en toute impunité sur le  Lieu de vie géré par la municipalité. Au final, les mômes de ce camp sont aussi présents sur nos répétitions, mais par des voies détournées, qu’importe, la fin justifie les moyens.