Octobre
Profitant de l´occasion de la projection du document de TMT, j´ai fait un bref aller-retour à Paris pour rencontrer divers partenaires en vue de l'élaboration de la tournée française du printemps prochain. La Fnasat est en pôle position, c´est un contact de vieille date, de nos débuts, ils nous connaissent parfaitement, et sont prêts à s´engager avec nous dans la réalisation de ce projet. Il s´agirait de participer à plusieurs événements de la scène culturelle tsigane sur la région parisienne, plus des interventions dans des écoles, hôpitaux et des campements roms. Pour la construction et surtout la réalisation d´un projet tel que notre tournée, il est préférable, et même indispensable, d´avoir au moins un, voire deux, partenaires solides, capables de s'investir dans la recherche des débouchés de production, des financements et de la mise en place de la logistique inhérents au déplacement d´une troupe d´une trentaine de jeunes. Dans le cas présent, nous démarrons nos investigations avec la Fnasat pour les écoles et éventuels financements, avec Emmanuel Guibert pour les interventions dans les hôpitaux, Yepce pour un événement au camps de Stains et des artistes de la scène tsigane pour des participations aux événements culturels durant la période en question. Tout n´est qu´au commencement, mais c´est maintenant que les projets se forment, donc il faut agir.
Avant de repartir au pays, une brève rencontre avec Roxana et sa fille Zuly, qui sont déjà passées chez nous il y a quelques années. Zuli est trisomique, et Roxana fait tout son possible pour l´inclure dans toutes ses activités, y compris les professionnelles, ayant trait avec les claquettes, dont elle est une championne internationale. Mais le plus dur c´est à l´école, lorsque les institutions faillissent compétemment à leur devoir élémentaire de moteur et créateur de l´inclusion … Alors, au moins nous, on va essayer de les inclure dans un bout de nos spectacles, comme nous l´avons fait déjà dans le temps.
www.kesaj.eu/fr/projekt/kesaj/nase-uspechy/zuly/
Nous appliquons à la lettre le système qui veut que absolument tout le monde ait accès au groupe et à nos répétitions. Il n ́y a pas de concours, pas de choix en critère du talent ou des aptitudes artistiques, pas d ́élitisme, tout le monde, tous ceux qui en manifestent l'envie, que ce soit par curiosité, par amusement, ou tout simplement pour tromper l'ennui (omniprésent dans les osadas), doivent avoir le libre accès à notre local de répétitions. Nous payons le prix du transport de l´osada au local, et ensuite, pas de différence et encore moins de ségrégation, tout le monde au boulot, tous, dès la première minute de la répétition, doivent travailler, s'investir à fond, aucune exception ni relâche ne sont tolérées. Tout le monde, les anciens, comme les tout nouveaux, sont logés à la même enseigne, l´effort avant tout, et en l'occurrence, l'effort collectif, est le moteur de notre action. Ceci tout d ́abord, pour contrer l'extrême ségrégation sociale et clanique, archaïque, intransigeante dans son expression quotidienne, donc impitoyable, qui règne dans les osadas. Les parias ont toujours aussi leurs parias, auxquels ils font mener la vie dure, et aussi, parce qu'il ne peut en être autrement. En effet, si on a affaire pratiquement exclusivement qu´à une population des osadas, on ne peut que prendre en compte des réalités de celles-ci et faire avec, et l ́ instabilité chronique dans tous les domaines de la vie en est une composante fondamentale. Le résultat en est une imprévisibilité totale, inhabituelle pour nous, mais a la quelle nous n´avons pas d´autre choix que de s´adapter. Donc il faut toujours avoir un réservoir des effectifs conséquent, pour contrer les revirements, les désistements et les surprises en tout genre, qui font partie du quotidien. De ce fait, nous nous retrouvons en constant renouvellement de nos troupes. Autour d'un noyau d' anciens, qui ont déjà plusieurs années de pratique (pour certains presque des décennies) à leur effectif, il a tout une "myriade" de nouveaux, qui viennent, ne viennent plus, reviennent, et ainsi de suite, pour, peu à peu, de nouveau former, au fil des mois et des années, un nouveau noyau d ́anciens, etc... C´est comme ça depuis nos débuts, avec des périodes relativement stables, notamment lors du fonctionnement de notre lycée, lorsque le gros des troupes était constitué pas nos étudiants, et puis des périodes de renouvellement permanent de nos troupes, en fonction du travail, des mariages, etc. Dans la pratique, depuis les deux décennies de l´existence du groupe, il n´y a pas eu deux répétitions consécutives, auxquelles il y aurait exactement les mêmes participants. Toujours, celui qui devrait être là, parce que l'on s'est mis d'accord la veille, n'est pas là, et quelqu'un d'autre, qu´on a encore jamais vu, vient à sa place, comme si rien n'était... Au premier abord, il pourrait sembler que cela est dû à un manque d'autorité de notre part. Je ne pense pas. Nous avons un rapport très franc, et très direct avec nos jeunes. Sans aucun chichi, il n´y a pas de concessions inutiles, ni d'atermoiements. Mais c´est comme ça, parce que c´est comme ca a l´osada, et si nous voulons que tout le monde ait l'accès à nos activités, on fait avec ce qu´il y a, et pas avec ce qu'on aimerait qu´il y ait. Donc, la réalité prime sur les désiratas et les illusions. Ce n´est pas toujours facile, ni évident. Il faut savoir encaisser les coups, les déceptions, ne rien attendre en retour. Il n´est pas facile de renoncer à ses envies, ou plus exactements, à ses passions, lorsqu ́on a travaillé pendant des années, et enfin, le résultat vient, les jeunes acquièrent des niveaux d'habiletés dans la pratique artistique, que ce soit dans le domaine du chant, de la danse, ou de la musique, exceptionnels, et c'est là que tout tombe à plat, ils disparaissent dans la nature, pour des raisons qui pourraient paraître futiles, mais qui sont vitales ici - le travail et les fiançailles ou mariages. Dés l´age de 16 ans, quelqu´elle soit l´occasion pour partir travailler, au noir la plupart de temps, sans etre payé convenablement, ou meme pas du tout, les jeunes partent travailler pour essayer d´apporter de l´argent à la famille. Et pareil, à partir de cet âge légal, ou parfois avant, les unions des couples sont autorisées dans les familles, donc consommées, et dans les deux cas, il n´y a aucune force qui pourrait contrer cela. Et nous ne voulons en aucune sorte nous opposer à ces destins, ce serait inutile, d´ailleurs. Nous ne pouvons que constater, que dans la structure actuelle des sociétés des osadas, ces choix de vie sont absolus, aucune concession, ni arrangement n´est possible, pas plus qu´concevable. Alors maintenant, tout comme avant, à chaque répétition il y a quelqu´un de nouveau, qu´on voit apparaitre, puis disparaitre, pour le revoir de nouveau, quand on s'y attend le moins...
Mais en même temps, outre les difficultés inhérentes à ce système de travail, il faut reconnaître que ce constant afflux de nouveaux, apporte une fraîcheur et une spontanéité dans l'expression artistique, qui sont appréciables, et constituent aussi une de nos "marques de fabrique" et particularités de notre groupe.