Aout

1 août, état des lieux de la cabane de Roman. En espace d'une dizaine de jours, plein de constructions ont poussé tout autour de la cabane de Roman. Certaines bâtisses, petites maisons presque coquettes, sont très bien construites, on voit tout de suite que les constructeurs connaissent bien leur affaire. Il s´agit de jeunes voisins de Roman, des jeunes Roms, qui travaillent depuis des années dans les entreprises des alentours, sont sérieux, ont pris des crédits, et ils ont pu passer de l´état d´habitat en cabane à la petite maison en dur, solide et bien bâtie. A l ́intérieur c ́est impeccable, dans le fameux style du "rokoko tsigane", mais ici ça ne dérange pas, ce n ́est pas de la vanité mal placée comme chez les "nouveaux riches" tsiganes qui étalent leurs soi-disant richesses dans des palais rocambolesques. Ici, on comprend que les pauvres gars veulent enfin sentir autour d´eux qu´ils sont enfin sortis de ce bourbier interminable dans lequel ils étaient depuis leur venue au monde, et veulent avoir des intérieurs coquets, a l´opposé de ce qu'ils ont subi jusqu'à lors.  
Avant
Apres
Hélas, Roman n'est pas dans ce cas. L'intérieur de sa cabane est toujours comme après un bombardement, suite aux excès de Veronika de la semaine dernière, et l'extérieur est de pire en pire, bien qu'à chaque fois on croit que de pire il ne peut pas y en avoir.  
Il n´y a plus d'accès en voiture ici, tellement il y a de nouvelles constructions, donc il est exclu de penser à acquérir un préfabriqué, il serait impossible de l'acheminer sur place. Une caravane pourrait être placée près de la maison de la grand-mère de Roman, mais l'emplacement est tout petit, et la caravane de même, ce ne serait pas une solution pour Roman et ses quatre enfants en bas âge. De plus, il faudrait acheminer la caravane de Prague, ce qui n'est pas une mince affaire. 
Ne reste que l'alternative de la construction en dur a la place de la cabane en contreplaqué - carton mâché. Mais Roman ne sait pas construire, ni même organiser les travaux avec l'achat de matériel. Plus d'une fois nous avons financé des aménagements de son habitat, mais a chaque fois c'était problématique, sans résultat escompté. La seule solution serait de s'adresser à un de ces voisins, qui savent construire, ont déjà construit, pour qu´ils prennent en main la construction de la maison, ou plutôt la pièce d'habitation de Roman. Des contacts ont été pris, on va voir.
La question cruciale, de la permission de construire, est à chaque fois éludée. Tous ceux qui ont construit, jurent que c'est permis, qu´il s'agit de terrains qui appartiennent à la commune, mais personne n'a le moindre papier ou permission officielle pour ce faire. Une bretelle d'autoroute doit passer par là, il y a déjà eu des démolitions de constructions, dont certaines même récentes, à l´autre bout de la colonie, et cela n'ajoute pas à la sérénité. 
Gabika, une ancienne de nos danseuses, qui attendait son septième enfant, vient d'accoucher, tout va bien, le petit et la maman sont en bonne santé, le moral est bon, leur cabane est encore pire que celle de Roman...
En ce qui concerne cet habitat catastrophique, et de même la poussée immobilière sur les lieux, le pire est que l'Etat, à aucun de ses niveaux, que ce soit la région, le département ou la commune, n'intervient en aucune façon ici. A part la démolition pour les besoins de la bretelle d'autoroute... Ce qui fait que tout cela pousse d'une manière totalement désordonnée, un véritable labyrinthe s´est formé ainsi, les passages entre les différentes constructions sont minuscules, parfois de moins de 50 cm. Aucune mesure de sécurité n'est appliquée ici. Si par malheur un incendie survenait, et cela arrive assez souvent, ce serait un drame, les pompiers n'auraient aucun accès ici. C ́est d ́autant plus dommageable, que visiblement, il y a plein de jeunes qui sont sérieux, responsables, arrivent à se construire des projets de vie, avec des constructions tout ce qu´il y a de solide et sérieux, malgré ces conditions et cet environement inhumain, mais bien entendu, ils ne peuvent pas remplacer les instance d ́etat, l ́autorité étatique est complètement absente ici, alors cette volonté acharnée de se sortir de la fatalité, est en même temps exposée à tous les risques possibles, sanitaires, incendiaires, et bien sur il ne peut y avoir aucune vision sérieuse à moyen et encore moins à long terme. 
Et au milieu de tout ca tous nos jeunes qui demandent quand est-ce la prochaine répétition... ?
Roman aussi, demande quand est-ce la prochaine répétition. Pendant qu´il joue, il oublie au moins ses tracas quotidiens. Aujourd´hui, le temps qu´ils s'absentent quelques instants  de sa cabane, on lui a volé le peu de ce qu´il lui restait. Un tuyau de poêle à chauffer, et quelques casseroles, assiettes et couverts. Lorsqu'il est allé demander un peu de pain pour ses petits à sa grand-mère, on l'a jeté dehors. 
Après le retour de la tournée il était grand temps de remettre au propre les sacs de couchage qui nous ont bien servi au Château de Buno. La canicule aidant, un petit séjour au vert leur fera le plus grand bien. Déjà bien les aérer, on verra ensuite pour la suite des événements. 
Pour les répétitions nous avons marqué une grande pause. Il y a eu nos petits tracas de santé, à Helena et moi, et puis avec des pics autour des 35° il n'est pas très raisonnable de tenter quoi que ce soit au niveau de l'effort physique en groupe ou individuel, il vaut mieux passer son temps à la plage. Même s´il il n´y en a pas dans les proches environs, le fameux Ruisseau Froid, qui passe à côté de la colonie (et dont le nom porte la gare des trains que prennent les jeunes pour venir aux répétitions) remplace à merveille toutes les plages du monde réunies, car, portant bien son nom, il est vraiment glacé (quoi de plus normal puisqu´il descend directement des montagnes toutes proches) et il offre une distraction thermale parfaite pour ces temps de grosses chaleurs, avec la valeur ajoutée d'apporter une immunité à toute épreuve à tous ces gosses qui y pataugent à la longueur de la journée. 
Donc c´est la conscience tranquille qui nous assumons cette grosse pause estivale, sachant que nous, ca nous fait le plus grand bien de lever le pied un peu, et en ce qui concerne les enfants et les jeunes, ils ont une distraction naturelle à la portée de la main, telle, qu´aucune agence de voyages ne saurait leur offrir. 
Au premier jour lorsque le thermomètre descend un peu dans des chiffres raisonnables, nous en profitons pour enfin organiser une répétition. La demande ne tarit pas, les messages demandant quand est-ce que l'on reprend sont au menu de tous les jours. Nous prenons uniquement ceux de Lomnica, avec beaucoup de petits qui viennent pour la première fois. En arrivant au local on en profite pour passer un coup de râteau pour ramasser les herbes sèches et puis tout de suite, en attendant que viennent ceux qui ont pris le train, les petits attaquent les claquettes sous la direction de Matej. 
 Une petite mise en forme avec une petite série de pompes ne fait jamais de mal, on peut passer aux choses sérieuses avec le programme de base à répéter. Matej n'est plus sous médicaments, ses hallucinations ont cessé, il revient peu à peu à son état initial, mais même cet état est quelque peu problématique, il s'en sort avec une mise en invalidité partielle...
Faute d'autre alternative, les filles sont menées par Simonka. Simonka a une malformation à la hanche, elle boite sérieusement, mais elle s'accroche quand même à la danse, et je suis très content de l'avoir acceptée dans le groupe malgré son handicap. Ce n´est pas la première fois que nous allons contre la nature en contrant le sort malveillant qui a touché certains de nos jeunes. On a eu comme ça des sourds-muets, des mal formés au niveau des hanches, sans parler des déficiences au niveau du mental. Beaucoup des jeunes viennent des écoles spéciales pour handicapés mentaux, et hélas, ils n´y sont pas placés sur la base d´un diagnostique arbitraire du fait de leur origine ethnique, comme on veut le faire croire souvent. La vérité est tout autre. L´environnement social, la consanguinité, forment cette réalité dure comme du fer, loin des bonnes pensées des capitales...

 

Klement doit remplacer Dominik, il est le seul à mener en tant qu´ancien. C'est une situation nouvelle pour lui, qu'il n´a encore jamais assurée. Mais il est plein de bonne volonté et semble saisir cette nouvelle opportunité à pleines mains. 
 
En effet, nous sommes en nombre réduit, ceux de Rakusy ne sont pas là. Ça fait un manque considérable, sensible, car la formation des filles, avec Sara en tête, n'est pas là. De même que Dominik. Donc les anciens, avec lesquels nous avons beaucoup travaillé et auprès desquels nous nous sommes beaucoup investis. Notamment lors de la dernière tournée, et pas que... Cela a commencé par un coup de fil de Ľubo, nous demandant de lui passer le numéro de téléphone d´un chauffeur de bus, car il a besoin de faire venir nos danseuses à un festival organisé par des Roms en vue de la Miss Roma de cette année.  On essaie d'expliquer à L'ubo que s'il prend nos filles, ce serait bien de les présenter comme le groupe des filles de Kesaj Tchave, et le mieux serait que tout le groupe puisse venir. Il biaise, ce n'est pas possible, les organisateurs ne veulent pas, et puis de toute manière elles ne vont pas faire grand-chose... bref, une situation qui s´est présentée déjà innombrablement de fois : les jeunes veulent se présenter  en solo, sans nous, comme des grands. 
Pourquoi pas, de toute manière c'est en  vue de cette finalité d´une autonomie plausible, que nous faisons ce que nous faisons. Mais un minimum de formalités devraient être respectées, un minimum de respect de même. Si nous avons travaillé durant des années avec  eux, si nous nous sommes énormément investi, bataillé pour eux, un minimum de retour, de reconnaissance doit être de mise. On ne peut pas uniquement prendre, sans rien donner en retour, ni même un merci ou un aurevoir. Ce n'est pas pour rien que nous avons choisi la fée Kesaj avec son "Si tu veux recevoir de l'amour, il faut que tu saches en donner..." comme motto et nom de notre groupe. Nous ne demandons pas que l'on nous dise merci, mais un minimum de reconnaissance et de respect doit être là, sinon, ce n'est pas possible. Et là, lorsque ce petit groupe est parti avec Lubo, refusant toute référence à nous, à notre groupe, à leurs amis du groupe avec les quels ils viennent d'effectuer cette tournée toute récente, en utilisant tout ce que nous leurs avons appris, de plus même les chorégraphies toutes récentes de la tournée... alors ça ne va pas. Ce n´est pas correct, ce n'est pas éthique, ce n'est pas amical. Cette situation s'est déjà produite innombrablement de fois, ca fait toujours mal, cela déçoit, et cela ne mène jamais à rien... Alors la reprise se fait sans eux, on verra plus tard comment on va gérer l´affaire, il serait utile d´en parler, mais il faudrait que l'occasion s'en présente. En attendant, bien sûr, cela nous fait un sérieux handicap, nous nous retrouvons sans le groupe des filles, avec beaucoup de petits qui viennent pour la première fois, pour le spectacle que nous avons de prévu à la mi-septembre cela ne va pas être évident... 

Comme d´habitude, ça fini par s´arranger. A la répétition de samedi ne viennent d´abord que Domino et Sára, les autres, les filles ne sont pas là, elles ont honte. On envoie d´abord une bonne session avec ceux qui sont là, ceux de Lomnica, et puis, après que tout ait été fini, je renvoie et ramène ceux de Lomnica, les filles de Rakúsy viennent quand-même. Domino leur a passé un coup de fil et elles sont là sur le champ. On ne se perd pas dans de vastes explications, on dit l´essentiel, et on passe à l´acte - une bonne répétition sous la direction de Helena, je n´ai pas trop à intervenir. Tout repart comme de l´avant.