Septembre

Cette reprise automnale est un peu compliquée. Du fait des sureffectifs dans les écoles, bon nombre de ceux de Lomnica, les petits en majorité, n´ont cours que l´après-midi, donc ne peuvent pas prendre part aux répétitions. Bien qu´il leur arrive souvent de sécher les cours pour venir quand-même, mais ce n´est pas une solution, surtout à long terme. Le Ministère de l´Éducation a promulgué une nouvelle directive, comme quoi les parents peuvent donner cinq jours de libres par mois à leurs enfants, sans pour cela passer par le médecin. L´idée était de décharger le corps médical de paperasserie inutile et d´auscultation bénines pour des petits bobos qui se suffisent d´une aspirine et de quelques jours au lit. Les Roms des osada prennent cette directive à la lettre, à leur façon, tous les mois ils l´utilisent pour laisser leurs enfants à la maison, sans aucune raison médicale, bien entendu. Nous ne voulons pas profiter de cet abus pour nos répétitions, mais nos pouvoirs sont bien limités à l´intérieur même des osada, alors… 

En ce qui concerne Rakusy, cette année Dominik a changé d´orientation dans son Centre d´apprentissage, alors que l´année dernière il était en apprentissage de mécanique, à la rentrée la direction de l´école lui a fait changer, ainsi qu´à ses camarades, de spécialisation, ils ont été dirigés vers une formation de travailleurs de bois, sans leur demander leur avis, bien entendu. Ce qui fait que les horaires de Dominik ont changés, et il n´est plus disponible pour venir aux répétitions. Comme c´est lui qui assurait l´organisation de la venue des jeunes de son osada, et surtout, c´est sa famille qui avançait de l´argent pour le bus, son absence entraîne directement l´absence de tous les autres, car il n´y a plus personne pour organiser ni pour avancer des sous pour le transport. 
Avant, il y a des années de cela, je faisais des navettes avec ma voiture pour amener et ramener tous les jeunes des osadas, toujours en surnombre de passagers, mais c´est beaucoup trop exténuant, et je n´ose plus prendre ce risque maintenant. Alors les répétitions avec ceux de Rakúsy sont rares et imprévues, à la merci du hasard de la disponibilité de Dominik ou d´opportunités rarissimes des avoirs financiers des jeunes. Donc pratiquement nulles. Il faut absolument que l´on trouve une solution, je ne sais pas la quelle, car même si je voulais aller les chercher quand même en voiture, je ne peux pas, car pendant ce temps je ramène les petits de Lomnica et je passe par Lomnica pour leur donner de quoi prendre le train. 

Roman a réussi pour une énième fois à retaper l´intérieur de sa cabane. Nous n´avons pas réussi à refaire tous les murs de son cabanon, mais au moins un, celui par lequel venait les rats. Maintenant c´est calfeutré avec des nouveaux parpaings, et les bestioles n´ont plus d´accès de ce coté là. Il y a encore des gros trous à même le sol, mais il y a de nouveau un gros chat pour assurer le service et un peu de quiétude la nuit.

C´est une bonne nouvelle, car la petite de Roman s´est fait déjà mordre, et j´ai du l´amener aux urgences. Et pire encore, il n´y a pas longtemps, un bébé de trois mois s´est fait carrément dévorer par des rats dans une osada près de Michalovce. La reconstruction de la cabane de Roman reste toujours à l´ordre du jour, ce serait bien de monter au moins encore un mur, les finances sont les maîtres du chantier.

Au niveau des finances nous sommes dans une mauvaise passe. Alors que nous attendons la subvention qui nous a été allouée par le Ministère de la Culture, plus précisément par le Fond de soutien aux cultures minoritaires, nous avons reçu l´ordre de rembourser 1 300 eu du projet des Instructeurs que nous avons mené avec cette institution en 2020/2021. A l´époque nous voulions aider nos anciens membres, ce qui nous faisions de toute manière déjà avec Roman, alors nous avons déposé un projet avec une demande de subvention pour la création de trois postes à mi-temps, pour employer trois de nos jeunes comme instructeurs de danse, chant et musique auprès de nos nouveaux. Le projet est passé, nous l´avons bien mené, cela nous a permis de travailler avec des coudées plus franches pendant six mois, qui de plus est, en pleine pandémie. Mais voila que trois ans après, le Fond de Soutien vient nous reprocher de ne pas avoir effectué dans les temps les spectacles qui faisaient partie du projet. Nous avons fait ces spectacles, mais après, car le projet était réalisé en pleine période du Covid, et les restrictions étaient chez nous draconiennes, excluant toute réunion publique, y compris les spectacles, bien sur. Tant bien que mal, le Fond accepte cette explication, mais revient à la charge avec l´argument suivant : nous avons utilisé une certaine part de la subvention après le délais stipulé dans le contrat. En effet, le contrat se terminait le 31 mars 2021 et les dernières charges sociales inhérentes aux trois instructeurs n´ont pu être payées qu´au mois d´avril 2021, pour la simple raison que c´est impossible de faire autrement, les charges sociales étant payables par système informatique, et celui-ci ne laisse passer les paiements que le mois suivant, pas avant. Les contrôleurs ne veulent rien entendre, il n´y a rien à faire, on aurait du demander une dérogation, il faut rembourser. On n´a pas d´autre solution, surtout si l´on veut toucher la subvention pour la tournée que nous avons effectué cette année au mois de mai, et que nous n´avons toujours pas touchée, et bien sur, nous avons du payer tous les frais de transport depuis belle lurette. Cette subvention de 4 000 eu ne couvrira pas tous les frais de transport, qui rien que pour le bus s´élèvent à 9 650 eu, mais nous en avons extrêmement besoin, et nous ne pouvons pas nous permettre d´entrer en conflit avec le Fond de Soutien si on veut la toucher, et de toute manière, on ne serait pas gagnants dans cette bataille.

Au niveau des soutiens financiers la plus grosse catastrophe était la non obtention de la subvention de 18 000 eu de la DILCRAH, pour le financement de notre tournée de mai, déposée par l´association des Enfants du Canal avec la FNASAT. La chose ne nous était annoncée même pas deux semaines avant le départ, alors que tout était déjà conclu au niveau du séjour, des spectacles, etc. Nous avons pris des engagements, beaucoup de personnes se sont démenées pour nous, nous ne voulions pas décevoir et faillir à nos engagements, alors nous sommes partis quand même. La FNASAT a ensuite lancée une collecte sur le net pour compenser ce manque abyssal, 960 eu ont été collectés, mais c´est très loin de la somme initialement prévue. Je ne me faisais pas trop d´illusions sur l´obtention de cette subvention mirobolante. Bien que, écrite dans les règles de l´art par deux institutions expérimentées et ayant pignon sur rue, comme la Fnasat et les Enfants du Canal, je me disais qu´il y avait quand même de l´espoir. 

Mais il n´en a rien été. Sur les 13 projets déposés par les diverses associations et institutions dans le cadre de la lutte contre l´antistiganisme n´est passé qu´un seul. Allez savoir pourquoi. Peut être il y aura plus de chances l´année prochaine… Oui, on peut se débrouiller autrement, en logeant chez des amis, comme au Château de Buno, en se faisant ravitailler lors des spectacles à gauche et à droite, en touchant des maigres cachets par-ci par-là. Mais ce n´est que du palliatif, en bout de course il faut emprunter, prendre des crédits, en espérant des jours meilleurs… Si la subvention aurait été avalisée, cela aurait été pour une fois du sans souci, all inclusive. Car une telle tournée d´une dizaine de jours, avec 25 personnes coûte réellement dans ces eaux-là.

Bien sûr, la question au niveau de l´éthique est s´il n´aurait pas été plus opportun d´utiliser ces moyens financiers (que nous n´avons pas encore) a des fins plus concrets, matériels, comme le fameux non-habitat de Roman. Car en fin de compte cela fait maintenant quatre ans qu´il habite dans ce cabanon insalubre, depuis la naissance de sa première fille. Rationnellement, logiquement, il parait impossible qu´une telle réalité ait lieu de nos jours, mais c´est bien vrai, et cela ne concerne pas que Roman. Avant, nous n´avions pas de cas aussi excessifs nous touchant directement, maintenant c´est d´autant plus crucial que Roman fait partie de notre groupe depuis ses quatre ans, donc depuis vingt ans maintenant. 

Nous avons pourtant plus d´une fois aidé Roman dans son habitat, en essayant de l´améliorer par ci, par-la, en achetant des parpaings, du ciment, etc.,mais jamais nous ne sommes investi dans la construction en tant que telle, et pourtant c´est cela qu´il faudrait faire. Mais, d´une part, les finances nous manquent pour cela, même s´il ne serait question que de sommes modestes, et d´autre part, la situation familiale de Roman est, surtout par rapport a sa compagne Véronika, très instable, car Veronika est instable, et des surprises de toutes sortes, en générales négatives, font partie de la vie de tous les jours du couple. 

Nous étions déjà a deux pas de commencer la construction des murs, un par un. Roman devait s´investir dans la construction du premier, c´était notre condition, qu´il s´investisse au personnellement au départ des travaux, lorsque Veronika a perdu tout l´argent dans la machine aux sous, et a ensuite démoli leur modeste intérieur, donc tout était stoppé.

La fois suivante lorsque cela s´est calmé, et nous nous sommes mis d´accord avec un voisin maçon pour commencer les travaux, nous avons reçu l´ordre de rembourser le Fond de soutien aux minorités nationales et nous nous sommes retrouvés dans l´impossibilité de participer a quoi que ce soit, puisque nous devions nous mêmes emprunter pour pour régler cette pénalité injuste. Donc nous en sommes toujours au meme point, Roman et ses quatre marmots vivent dans une cabane inhabitable, et l´hiver est la dans peu de temps. 

Nous avons eu une bonne année au niveau de la cinématographie. Le documentaire Kesaj Tchave de Jozef Banyak dont il est question plus haut nous a conduits aux spectacles dans les écoles.

Le documentaire La Tsigane – sur les routes avec Tamèrantong poursuit sa tournée des festivals en remportant des premiers prix, il vient d´être diffusé à la Fête de l´Humanité, et en fin d´année devrait sortir le dernier film de Ivan Ostrochovský et Paľo Pekarčík, sur les avortements forcés de femmes roms, auquel nous avons participé en mai.

A la rentrée nous avons eu une bonne surprise. Nous avons été contacté par le Service Culturel de la ville de Poprad pour des spectacles dans les écoles de la région. Depuis presque trente ans ils ne nous ont jamais sollicités, mais il y a eu un changement au niveau du personnel, et les nouveaux employés ont découvert le dernier film documentaire sur nous qui est passé à la télé, se sont adressé à nous pour des interventions dans des écoles roms. Il y a toujours d´abords la projection de ce film, et ensuite un spectacle quelques semaines plus tard. Ces spectacles se passent toujours très bien, pour la bonne raison qu´ils sont taillés sur mesure pour le publique auprès duquel on intervient. 

Des écoles roms, il n´y a que ça dans notre région. Le district de Kežmarok a une réelle majorité de population rom, bien qu´officiellement on ne veut pas en faire part. Il y a des intervenants divers dans ces écoles, mais jamais ils ne sont issus directement du même milieu social, des osadas, comme nous. Ça fait une énorme différence. Avec nous ca colle des les premiers instants. Cela se passe parfaitement bien dans une symbiose idéale. 

Comme le remarquait la directrice de l´École élémentaire de Janovce, ou nous sommes passés le 26 septembre, ses élèves sont très marqués par leur identité rom et par leur origine sociale de l´osada. Ils le font manifester lors de chaque événement que l´école organise. Ils sont exubérants, bruyants, ils affichent haut et fort leur ethnicité et particularité culturelle. Et là, tout à coup, arrive un groupe qui est encore plus exubérant et plus marqué par sa culture tsigane qu´eux, il l´affiche et la met en pratique d´une manière encore jamais vue jusque là, mais, et, c´est toute la différence, tout en se pliant à une discipline, et une organisation, qui même si à première vue ne corroborent pas avec la mentalité rom, au final produisent au final une super production entièrement, viscéralement tsigane, rom, à la quelle rien ni personne ne peut résister. Tout le monde prend part part au spectacle, avec ses moments de folie, mais aussi avec ses moment de discipline et de rigueur, il y a des moments de crescendo fortissimo, mais aussi des piano pianissimo respectés par tout le monde, et ça laisse un souvenir très fort, ineffaçable, chez tous les spectateurs.

Nous en sommes ainsi à la troisième représentation. Nous les avons financés nous mêmes, car initialement juste les projections du film documentaire étaient prévues, mais j´ai insisté pour que nous venions avec toute la troupe, en utilisant pur cela la subvention que nous avons eu de la part de l´Institut Français de Bratislava, que nous avons contacté par l´intermédiaire de Charlotte Bertal Nasser du CCFD, lors de sa visite chez nous. Ces spectacles ont aussi un effet très bénéfique sur notre groupe, c´est une motivation, un stimulant très fort, que de se produire devant les siens, c´est à chaque fois un véritable défi à relever. C´est aussi un excellent exercice en live, en situation réelle, c´est là que l´on apprend le mieux. Dans un tel environnement, devant un tel public, il n´y a pas de place aux hésitations ni aux coups d´essai, il faut que tout marche du premier coup. Sinon ce serait la débandade, la catastrophe. Car autant ce public est généreux et bienveillant si tout va bien, autant ça peut tourner à la catastrophe à la moindre défaillance. Il faut que la troupe soit au top, pour garder une cohésion même dans les moments les plus fous quand tout semble hors contrôle. C´est là qu´il faut être au maximum présent et tout contrôler, ne pas se laisser déborder. Ce n´est possible que lorsque la troupe est parfaitement rodée, préparée à des exercices d´improvisations avec le public. C´est à quoi nous travaillons consciencieusement lors de nos répétitions. 

Mais le problème réside toujours dans cette imprévisibilité inhérente au milieu social particulier, marginal, auquel nous avons affaire. On a beau travailler, s´investir avec certains, ce sera toujours d´autres qui seront là au moment crucial, quand nous serons amenés à nous produire et, avec des effectifs moins performants, à affronter la réalité du jour. Dans le temps lorsque nous allions en spectacle, nous avions l´habitude de prendre toujours avec nous quelques nouveaux, deux ou trois, ils s´inséraient facilement dans le spectacle, puisque la troupe comptait une trentaine de membres stables, déjà parfaitement rodés, ils arrivaient facilement à intégrer les nouveaux en cours de spectacle. Maintenant, c´est tout le contraire, nous prenons une vingtaine de nouveaux pour trois ou quatre anciens ou semi anciens, ce qui fait que la majorité de la troupe en est au même niveau que les spectateurs, ils découvrent le spectacle, et se laissent mener tant bien que mal dans leur déroulement. Inutile de dire que c´est sacré numéro d´équilibriste avec une corde tendue bien haut au-dessus du sol… Mais cela donne une authenticité à toute épreuve, et il n´y a pas de meilleur moyen d´apprendre le métier de la scène...

Le spectacle a Vyšné Ružbachy était très sympathique, dynamique et par moment carrément excentrique. Le tout était initié et organisé par l'équipe de développement locale, sous la direction de Miroslava Dunkova, une équipe tout aussi sympathique et dynamique. L'école communale était de la partie. Merci pour l'invitation, l'accueil chaleureux et l'ambiance amicale.  
L´Équipe de développement locale était constitué de jeunes Roms, ayant tous un bagage universitaire ou au moins collégial, visiblement pleins de bonne volonté, empathiques, avenant et aux petits soins envers nos jeunes, cela faisait plaisir à voir. Apparemment ils ne possédaient pas encore toutes les ficelles du métier, et nous ont contactés pour le spectacle que la veille de leur événement, en précisant qu´ils n´ont pratiquement pas de moyens financiers pour le réaliser. Mais finalement tout s´est arrangé, nous avions une petite réserve grâce au projet de l´Institut Français de Bratislava, alors nous avons pu y aller, ainsi qu´aux deux autres spectacles – interventions dans les écoles roms de cette rentrée.