Septembre
Cette reprise automnale est un peu compliquée. Du fait des sureffectifs dans les écoles, bon nombre de ceux de Lomnica, les petits en majorité, n´ont cours que l´après-midi, donc ne peuvent pas prendre part aux répétitions. Bien qu´il leur arrive souvent de sécher les cours pour venir quand-même, mais ce n´est pas une solution, surtout à long terme. Le Ministère de l´Éducation a promulgué une nouvelle directive, comme quoi les parents peuvent donner cinq jours de libres par mois à leurs enfants, sans pour cela passer par le médecin. L´idée était de décharger le corps médical de paperasserie inutile et d´auscultation bénines pour des petits bobos qui se suffisent d´une aspirine et de quelques jours au lit. Les Roms des osada prennent cette directive à la lettre, à leur façon, tous les mois ils l´utilisent pour laisser leurs enfants à la maison, sans aucune raison médicale, bien entendu. Nous ne voulons pas profiter de cet abus pour nos répétitions, mais nos pouvoirs sont bien limités à l´intérieur même des osada, alors…
Roman a réussi pour une énième fois à retaper l´intérieur de sa cabane. Nous n´avons pas réussi à refaire tous les murs de son cabanon, mais au moins un, celui par lequel venait les rats. Maintenant c´est calfeutré avec des nouveaux parpaings, et les bestioles n´ont plus d´accès de ce coté là. Il y a encore des gros trous à même le sol, mais il y a de nouveau un gros chat pour assurer le service et un peu de quiétude la nuit.
C´est une bonne nouvelle, car la petite de Roman s´est fait déjà mordre, et j´ai du l´amener aux urgences. Et pire encore, il n´y a pas longtemps, un bébé de trois mois s´est fait carrément dévorer par des rats dans une osada près de Michalovce. La reconstruction de la cabane de Roman reste toujours à l´ordre du jour, ce serait bien de monter au moins encore un mur, les finances sont les maîtres du chantier.
Au niveau des soutiens financiers la plus grosse catastrophe était la non obtention de la subvention de 18 000 eu de la DILCRAH, pour le financement de notre tournée de mai, déposée par l´association des Enfants du Canal avec la FNASAT. La chose ne nous était annoncée même pas deux semaines avant le départ, alors que tout était déjà conclu au niveau du séjour, des spectacles, etc. Nous avons pris des engagements, beaucoup de personnes se sont démenées pour nous, nous ne voulions pas décevoir et faillir à nos engagements, alors nous sommes partis quand même. La FNASAT a ensuite lancée une collecte sur le net pour compenser ce manque abyssal, 960 eu ont été collectés, mais c´est très loin de la somme initialement prévue. Je ne me faisais pas trop d´illusions sur l´obtention de cette subvention mirobolante. Bien que, écrite dans les règles de l´art par deux institutions expérimentées et ayant pignon sur rue, comme la Fnasat et les Enfants du Canal, je me disais qu´il y avait quand même de l´espoir.
Bien sûr, la question au niveau de l´éthique est s´il n´aurait pas été plus opportun d´utiliser ces moyens financiers (que nous n´avons pas encore) a des fins plus concrets, matériels, comme le fameux non-habitat de Roman. Car en fin de compte cela fait maintenant quatre ans qu´il habite dans ce cabanon insalubre, depuis la naissance de sa première fille. Rationnellement, logiquement, il parait impossible qu´une telle réalité ait lieu de nos jours, mais c´est bien vrai, et cela ne concerne pas que Roman. Avant, nous n´avions pas de cas aussi excessifs nous touchant directement, maintenant c´est d´autant plus crucial que Roman fait partie de notre groupe depuis ses quatre ans, donc depuis vingt ans maintenant.
Nous avons pourtant plus d´une fois aidé Roman dans son habitat, en essayant de l´améliorer par ci, par-la, en achetant des parpaings, du ciment, etc.,mais jamais nous ne sommes investi dans la construction en tant que telle, et pourtant c´est cela qu´il faudrait faire. Mais, d´une part, les finances nous manquent pour cela, même s´il ne serait question que de sommes modestes, et d´autre part, la situation familiale de Roman est, surtout par rapport a sa compagne Véronika, très instable, car Veronika est instable, et des surprises de toutes sortes, en générales négatives, font partie de la vie de tous les jours du couple.
Nous étions déjà a deux pas de commencer la construction des murs, un par un. Roman devait s´investir dans la construction du premier, c´était notre condition, qu´il s´investisse au personnellement au départ des travaux, lorsque Veronika a perdu tout l´argent dans la machine aux sous, et a ensuite démoli leur modeste intérieur, donc tout était stoppé.
La fois suivante lorsque cela s´est calmé, et nous nous sommes mis d´accord avec un voisin maçon pour commencer les travaux, nous avons reçu l´ordre de rembourser le Fond de soutien aux minorités nationales et nous nous sommes retrouvés dans l´impossibilité de participer a quoi que ce soit, puisque nous devions nous mêmes emprunter pour pour régler cette pénalité injuste. Donc nous en sommes toujours au meme point, Roman et ses quatre marmots vivent dans une cabane inhabitable, et l´hiver est la dans peu de temps.
Nous avons eu une bonne année au niveau de la cinématographie. Le documentaire Kesaj Tchave de Jozef Banyak dont il est question plus haut nous a conduits aux spectacles dans les écoles.
Le documentaire La Tsigane – sur les routes avec Tamèrantong poursuit sa tournée des festivals en remportant des premiers prix, il vient d´être diffusé à la Fête de l´Humanité, et en fin d´année devrait sortir le dernier film de Ivan Ostrochovský et Paľo Pekarčík, sur les avortements forcés de femmes roms, auquel nous avons participé en mai.
A la rentrée nous avons eu une bonne surprise. Nous avons été contacté par le Service Culturel de la ville de Poprad pour des spectacles dans les écoles de la région. Depuis presque trente ans ils ne nous ont jamais sollicités, mais il y a eu un changement au niveau du personnel, et les nouveaux employés ont découvert le dernier film documentaire sur nous qui est passé à la télé, se sont adressé à nous pour des interventions dans des écoles roms. Il y a toujours d´abords la projection de ce film, et ensuite un spectacle quelques semaines plus tard. Ces spectacles se passent toujours très bien, pour la bonne raison qu´ils sont taillés sur mesure pour le publique auprès duquel on intervient.
Des écoles roms, il n´y a que ça dans notre région. Le district de Kežmarok a une réelle majorité de population rom, bien qu´officiellement on ne veut pas en faire part. Il y a des intervenants divers dans ces écoles, mais jamais ils ne sont issus directement du même milieu social, des osadas, comme nous. Ça fait une énorme différence. Avec nous ca colle des les premiers instants. Cela se passe parfaitement bien dans une symbiose idéale.
Comme le remarquait la directrice de l´École élémentaire de Janovce, ou nous sommes passés le 26 septembre, ses élèves sont très marqués par leur identité rom et par leur origine sociale de l´osada. Ils le font manifester lors de chaque événement que l´école organise. Ils sont exubérants, bruyants, ils affichent haut et fort leur ethnicité et particularité culturelle. Et là, tout à coup, arrive un groupe qui est encore plus exubérant et plus marqué par sa culture tsigane qu´eux, il l´affiche et la met en pratique d´une manière encore jamais vue jusque là, mais, et, c´est toute la différence, tout en se pliant à une discipline, et une organisation, qui même si à première vue ne corroborent pas avec la mentalité rom, au final produisent au final une super production entièrement, viscéralement tsigane, rom, à la quelle rien ni personne ne peut résister. Tout le monde prend part part au spectacle, avec ses moments de folie, mais aussi avec ses moment de discipline et de rigueur, il y a des moments de crescendo fortissimo, mais aussi des piano pianissimo respectés par tout le monde, et ça laisse un souvenir très fort, ineffaçable, chez tous les spectateurs.
Nous en sommes ainsi à la troisième représentation. Nous les avons financés nous mêmes, car initialement juste les projections du film documentaire étaient prévues, mais j´ai insisté pour que nous venions avec toute la troupe, en utilisant pur cela la subvention que nous avons eu de la part de l´Institut Français de Bratislava, que nous avons contacté par l´intermédiaire de Charlotte Bertal Nasser du CCFD, lors de sa visite chez nous. Ces spectacles ont aussi un effet très bénéfique sur notre groupe, c´est une motivation, un stimulant très fort, que de se produire devant les siens, c´est à chaque fois un véritable défi à relever. C´est aussi un excellent exercice en live, en situation réelle, c´est là que l´on apprend le mieux. Dans un tel environnement, devant un tel public, il n´y a pas de place aux hésitations ni aux coups d´essai, il faut que tout marche du premier coup. Sinon ce serait la débandade, la catastrophe. Car autant ce public est généreux et bienveillant si tout va bien, autant ça peut tourner à la catastrophe à la moindre défaillance. Il faut que la troupe soit au top, pour garder une cohésion même dans les moments les plus fous quand tout semble hors contrôle. C´est là qu´il faut être au maximum présent et tout contrôler, ne pas se laisser déborder. Ce n´est possible que lorsque la troupe est parfaitement rodée, préparée à des exercices d´improvisations avec le public. C´est à quoi nous travaillons consciencieusement lors de nos répétitions.
Mais le problème réside toujours dans cette imprévisibilité inhérente au milieu social particulier, marginal, auquel nous avons affaire. On a beau travailler, s´investir avec certains, ce sera toujours d´autres qui seront là au moment crucial, quand nous serons amenés à nous produire et, avec des effectifs moins performants, à affronter la réalité du jour. Dans le temps lorsque nous allions en spectacle, nous avions l´habitude de prendre toujours avec nous quelques nouveaux, deux ou trois, ils s´inséraient facilement dans le spectacle, puisque la troupe comptait une trentaine de membres stables, déjà parfaitement rodés, ils arrivaient facilement à intégrer les nouveaux en cours de spectacle. Maintenant, c´est tout le contraire, nous prenons une vingtaine de nouveaux pour trois ou quatre anciens ou semi anciens, ce qui fait que la majorité de la troupe en est au même niveau que les spectateurs, ils découvrent le spectacle, et se laissent mener tant bien que mal dans leur déroulement. Inutile de dire que c´est sacré numéro d´équilibriste avec une corde tendue bien haut au-dessus du sol… Mais cela donne une authenticité à toute épreuve, et il n´y a pas de meilleur moyen d´apprendre le métier de la scène...