Début de l´année

utorok, 1 január 2025
 
Un mois de janvier appliqué, travailleur. Pas de trêve hivernale, nous avons travaillé, répété, consciencieusement, dans la mesure de nos moyens. Ceux-ci étant limités, nous ne pouvons pas dépasser deux répétitions par semaine, et cela à nos risques et périls, en espérant des jours meilleurs au niveau des finances. Parfois nous allions sur trois répétitions hebdomadaires, mais ca a été périlleux, et il a fallu compenser, donc réduire par la suite… 
Le groupe bénéficie d´une bonne dynamique, les petits comme les grands en redemandent, alors on ne se fait pas prier, les entraînements sont très dynamiques, on repousse les limites, et cela donne des résultats – vers la fin du mois de janvier le constat d´une amélioration et du progrès au niveau de l´ensemble est là,  ce qui est encourageant et motivant pour la suite. Et cela malgré le constant renouvellement des troupes, surtout au niveau des petits et moyens. 
J´insiste pour prendre des nouveaux, n´importe quel gamin qui traîne sur le bord de la route qui mène au bidonville peut venir chez nous. Peu importe si ce ne sera qu´une fois, mais au moins une fois il aura vécu autre chose que son sort au quotidien. Et puis certains reviennent, deviennent des nouvelles vedettes du groupe, comme par ex. le petit Igor ou sa sœur Terezka. Au niveau des parents cela ne pose aucun problème, ils ne savent pas ou sont leurs petits et ne s´en soucient pas trop, c´est la régle au bidonville, chacun se débrouille tout seul, comme il peut. Cela donne une autonomie incroyable, on voit des gamins de trois ou quatre ans ramasser des câbles, pour les brûler et les porter ensuite chez le ferrailleur pour gagner quelques sous, pareil avec des bouteilles en plastic qui sont maintenant consignées et qui peuvent rapporter quelques centimes, alors les petits sont à la ramasse de tout ce qui traîne dans les environs. D´ailleurs, pas que les petits, les adultes ramassent aussi de plus belle, ce qui a le mérite d´assainir un peu l´environnement, qui en a le plus grand besoin…
Au niveau des grands il y a aussi un ressaisissement, ceux qui étaient un peu à la traîne, arrivent à se concentrer et s´investir pleinement. Il faut dire qu´au niveau de la dynamique nous mettons vraiment le paquet. Surtout à l´aide de la section des percussions qui devient prépondérante. 
Les percussionnistes en herbes qu´ils étaient il y a pas longtemps, parviennent à s´affirmer de plus en plus, et en tapant sur tout ce qui est à la porté de la main, on arrive à produire une espèce de dynamique transcendantale, qui entraîne tout le reste du groupe dans cette transe collective qui est notre marque de fabrique. Et toujours selon la sacro sainte régle, que plus on fait de bruit, plus c´est, du moins en apparence, « bordélique », plus cela nécessite  une vraie discipline, parfois carrément de fer, comme à l´armée, sinon ce ne serait que du n´importe quoi, et on n´arriverait a rien. Ce n´est pas le cas, nous arrivons avec notre méthode simple et efficace à obtenir des résultats, et cela fait plaisir et motive tout le monde pour s´engager encore plus. Avec, bien sur, la satisfaction de poursuivre et parfaire non seulement « l´objet artistique », mais aussi « l´objet pédagogique » de notre démarche. Ces séances, très dynamiques, exigeantes une concentration extrême, et une application et engagement tout aussi extrême, sont d´excellents outils éducatifs, apportant aux jeunes tout ce qui leur manque dans leur quotidien – la discipline, le goût de l´effort, le respect et l´autorité tout simplement. 
 
Sinon le paysage social, bien entendu, ne change pas. En amenant les petits à la répétition je demande à Roman qui est le garçon assis à la station des bus, il me répond que le gars en question est recherché par le service social qui est venu le cueillir pour l´amener à l´orphelinat. Il s´est enfui, reste assis penaud à la sortie du bidonville, il se fera rattraper dans peu de temps. En prenant les nouvelles des uns et des autres j´apprends que le gars qui a attaqué et dévalisé un retraité à la gare des trains de Poprad l´année dernière est en prison, et il n´est pas prés d´en sortir. 
La violence, parfois latente, parfois explosant au grand jour, est omniprésente. Lors d´une des répétitions, pendant le trajet en train, juste deux stations, Matej a faille se battre avec des jeunes de Huncovce, la seule station sur la trajet. Il y a toujours eu des animosités entre les bidonvilles de Huncovce et Velka Lomnica, comme entre tous les autres, c´est la tradition, un espèce de folklore archaïque qui a du mal à se dissiper. Matej a regardé de travers un des jeunes de Huncovce, celui-ci s´est senti offencé et voulait en venir aux mains, heureusement que Kika a réussi à calmer le jeu, et il n´y a pas eu de bagarre dans le train. A la descente de celui-ci les jeunes ont poursuivi Matej et les nôtres pour en découdre avec eux. Ils sont arrivés ainsi jusqu´à notre local de répétitions et ont investi notre salle de danse. Moi, je ne savais pas de quoi il était question, et je les ai pris automatiquement dans notre mouvement, les faisant chanter et danser comme tout le monde, ne leur demandant pas leur avis. Chez nous on fait tout comme tout le monde, ou on s´en va. Interloqués les jeunes de Huncovce n´ont pas eu le temps de réagir, ils n´ont pu que se plier à la régle générale, et ils ont gauchement déambulé au son de notre musique comme le reste du groupe. Ce n´était pas évident, ce n´étaient pas des gamins, mais des grands ados de 16 – 17 ans, cela aurait pu tourner mal. Je sentais bien qu´il y avait quelque chose, mais pris dans ma dynamique et énérgie frénétique, je n´avais pas le temps de faire dans le détail, et il en a été bien ainsi, le problème était réglé, du moins pour le moment. Par la suite, les jeunes sont revenus, tout doux, calmes, en voulant participer aux répétitions. Pourquoi pas, on verra ce que ca va donner, mais il va falloir ouvrir l´œil...
 
Malgré les carences financières, sérieuses, nous poursuivons les répétitions à grands effectifs, à raison de deux fois par semaine, parfois, mais hélas rarement, plus. La moyenne de participants tourne facilement autour de la cinquantaine. Donc un bon paquet de jeunes, allant des plus petits à partir de 4 ans jusqu´aux jeunes adultes ayant dépassé la vingtaine. Mais la moyenne d´age est de 15 – 16 ans, donc l´adolescence. L´adolescence avec tout son lot de réjouissances qui accompagnent cette étape toute particulière dans la vie de tout individu. Avec la prise en compte que la maturité physique est ici plus précoce de quelques années par rapport à la moyenne dans la majorité. Somme toute, il n´y a pas trop de problèmes, ce qui ne veut pas dire qu´il n´y en a pas. On gère au fur et à mesure qu´ils apparaissent, on gère en sautant dans le tas, en pleine action, toujours dans l´excès, vu la dynamique effrénée des entraînements lors de répétitions. Tout est dans l´action. On fonce à 200 à l´heure, tout problème doit être traité et résolu sur le champ, tout de suite, sans interrompre le tempo diabolique de l´action dans la salle de répétitions. C´est pas plus mal comme ca, on réagit sur le vif, avec des réactions à fleur de peau, émotionnelles, mais bien sur, avec tout le rationnel derrière, sur lequel tout tient quand même, et pas que sur l´émotionnel, comme cela pourrait sembler à première vue. Les outils pédagogiques sont en premier lieu les « pompes ». Au moindre signe d´inattention, de relâchement, de bavardage, hop, une série de pompes, sans pourtant arrêter le tempo, les autres continuent comme si rien n´était, ca fait rigoler tout le monde et on continue de plus belle. L´étape suivante c´est la mise à la porte, momentanée, on rappelle le fautif peu de temps après. Si ca ne suffit pas je prends le récalcitrant à part, dans la pièce voisine, je lui explique de quoi il est question, en lui signifiant que la porte est grande ouverte, il peut s´en aller quand il veut, ici on court après personne, les places sont chères, et nombreux sont ceux qui pourraient prendre la place de celui qui voudrait partir. Tout cela toujours dans le tempo, on a pas le temps de s´attarder, il faut vite rejoindre le groupe qui continue sans s´arrêter, et c´est ce qui´il y a de bien, on replonge dans l´action, qui en général est le meilleur remède universel à tous les maux de l´adolescence que l´on rencontre sur le chemin. Lorsque la tension monte trop, il faut surveiller le retour par la station des bus et la gare des trains, tout peut arriver, surtout si nous avons parmi nous des nouveaux que nous ne connaissons pas du tout, comme en ce moment ceux de Huncovce, qui ont autour de la vingtaine. Et puis le summum de la pédagogie appliquée, ce sont le balai et la serpière. Tout le monde doit participer au nettoyage des locaux après la répétition, les fortes têtes en premier lieu. Tout est fait dans l´action, en pleine vitesse, les gars se retrouvent avec un balai dans la main, sans avoir compris d´ou il vient, et balaient sans avoir le temps de réagir ou de refuser. Tout le monde rigole, et même ceux pour qui cela pourrait paraître incompatible avec l´image qu´il se font d´eux mêmes, balaient, essuient, bref, ils se plient à la discipline, à l´autorité, ils font partie du groupe. Un groupe excessivement tsigane, mais tout aussi excessivement discipliné, l´un ne contredisant plus l´autre...