Bénéfire
Samedi 26 mai, Bénéfire
Nous quittons Martigues vers midi. La semaine que nous venons de passer était très intense, nous avons l´impression d´êtres partis de chez nous depuis un mois. Mais le moral est bon, pour l´instant il n´y a que du positif. Avant de continuer la tournée sur Clermont-Ferrand, nous avons un jour de battement, que nous allons passer dans la Ferme du Bénéfire, dans un petit village du Larzac, Sauclières. Initialement, nous pensions passer par Grenoble, mais cela ne s´est pas concrétisé, et Mélanie, une amie de longue date, de l´équipe des Yepce, nous a concoctée cette étape au pied levé, en moins de deux. Au départ je ne cherchais même pas trop à faire un spectacle, prévoyant qu´ à ce stade de la tournée nous serons déjà bien épuisés et nous aurons besoin de récupérer, c´est plus un gîte et un couvert que je cherchais. Mais, puisque l´occasion de se produire se présentait, il fallait la saisir, ça pourrait au moins couvrir les frais d´hébergement et de restauration pour la journée. Mais il était évident qu´après il nous faudrait absolument lâcher un peu, la corde était complètement tendue, nous tombions de fatigue. La nécessité d´un régime d´économie draconienne s´imposait. Toute dépense d´énergie doit être rationnelle et rationnée, tout doit converger vers un seul but, fournir le meilleur spectacle possible, avec le maximum d´énergie accumulée jusqu´au soir. Donc pas de temps d´attentes inutiles, pas de temps morts, de la détente et de la récupération. Le trajet en bus est une forme de repos sans en être vraiment un. Pour moi, c´est le seul moment quand je suis vraiment tranquille, tout le monde est enfermé, à part pendant les pauses, je n´ai à surveiller personne et je peux m´allonger sur la banquette pour somnoler un peu. Par contre, lors des pauses-pipi, c´est le degré maximum d´urgence absolue. C´est là que guette le plus grand danger, un camion ou une voiture peuvent surgir à n´importe quel moment, alors on passe en mode commando, état d´urgence générale, surveillance rapproché, personne ne se déplace en solo sans me demander, tout le monde a les yeux sur tout le monde. A toute heure de la journée et de la nuit. C´est notre règle absolue lors de nos déplacements. Et je suis le premier à l´assumer, je ne laisse passer aucune pause, même en pleine nuit, ou au petit matin, je suis toujours là pour surveiller tout. Là, il ne s´agit que d´un petit trajet de quelques centaines de km. Nous arrivons en fin de journée, nous avons encore deux heures devant nous, alors nous allons à l´hébergement, pour nous détendre un peu avant le spectacle du soir. C´est là, que ca se complique. Le chemin de campagne qui mène au gîte est très étroit, et il n´y a pas moyen de faire demi-tour au bout. Alors nous ne pouvons pas rester plus que ca, et au lieu de prendre une douche, nous faisons tout de suite la route du retour, en marche arrière, 5 km à travers les champs et bois, parfois au bord du ravin, il y a mieux comme relaxation. Mais c´est comme ca, on fait avec. Nous arrivons juste pour le repas, on fera la balance son plus tard. Je ne prends pas de gants pour expliquer la situation à l´ingé son, au demeurant très sympa, la priorité c´est de faire un bon spectacle, et pour ca, la troupe doit d´abord se restaurer, les micros, ca sera pour après. Je suis nerveux, sentant que je suis au bout de mes limites, je ne vais qu´à l´essentiel, et parfois je suis un peu expéditif. Mais je ne voudrais surtout pas pénaliser nos amis qui se sont démenés pour nous accueillir ici. Nous sommes dans une ferme de l´Aveyron, en pleine cambrousse, des copains organisent régulièrement des évènements culturels dans cet endroit du bout de monde, nous allons tout faire pour que ca se passe au mieux. Même si nous sommes crevés. Par contre, lorsque Marcel a l´idée lumineuse de s´assoir au volant de la première bagnole qu´il trouve garée dans le prè, et tourner la clef du moteur pour la démarrer, là , je lui fais passer un sacré savon, devant tout le monde, visiteurs, spectateurs et kesaj confondus. Ce genre d´incident nous est déjà arrivé, décidément ça doit être très tentant pour les mioches, une clef prête à tourner pour démarrer, mais ce n´est pas une raison de laisser passer cela, et les spectateurs ont droit en avant-première du spectacle, à la partie dressage de Kesaj, genre Le pont sur la rivière Kwai, pour ceux qui auraient vu ce chef d´oeuvre… Bon, Helene et moi, on gueule un bon coup, tout y passe, la morale, la discipline, la santé, on fait les gros yeux, ca fait de l´effet, mais je crois que c´est plus l´entourage sur place qui doit être impressionné, que le petit Marcel, qui nous connaît par coeur, et en a vu d´autres. De toute manière, nous aussi on en a vu d´autres, et il y a un spectacle à assumer tout à l´heure, et sur scène, toutes les pendules vont être remises à l´heure… Nous commençons à jouer en fin de journée, mais rapidement la nuit tombe, et l´air se rafraîchit tout aussi vite. Nous sommes en sueur, je ne veux pas risquer des bronchites ou des pneumonies, alors au bout de 45 minutes nous abrégeons. Bien qu´il fasse déjà nuit, et que la scène soit montée sur de l´herbe, nous arrivons quand même à faire le traditionnel tour dans le public, en faisant danser les spectateurs, une petite remonté sur scène, et c´est la fin. Il y aura une prolongation, mais ce sera dans la grange, avec une discothèque tsigane et nos jeunes comme DJ avec leurs portables. Ca marche à merveille, les plus de 18 ans ont droit à une bière, tout le monde s´éclate, et je finis par me calmer, je prends ce temps comme une relaxation psychique et physique, indispensables à la bonne marche de l´ensemble. Le mental, c´est là tout le secret. Visiblement, les jeunes ont encore de la réserve et des ressources, c´est certainement moi qui flanche le plus.
La nuit au gîte du Bénéfire se passe on ne peut plus tranquillement. Pour la seule et bonne raison que nous sommes tous, moi en premier, ratatinés, vidés de toute énergie. Nos dernières forces suffisent uniquement à tomber au lit. Mais pas sans avoir dévalisé le frigo avant et de faire une orgie de soupes chinoises instantanées avec des tartines aux rillettes. On est chez les tsiganes, quand-même!