la tournée
Tournée d´été
Toujours dans notre série des déboires profonds avec les compagnies de bus, nous nous retrouvons de nouveau en situation catastrophique, cette fois-ci non par manque de bus, nous nous sommes mis d´accord avec notre transporteur depuis le retour de la dernière tournée en mai sur les modalités de celle-ci, mais c´est au niveau des conducteurs que nous pêchons cette fois-ci. Il faut deux chauffeurs pour faire le trajet, un seul ne pourra pas assumer la route en fonction des temps de conduite imposés par la réglementation européenne. Et le deuxième conducteur de la compagnie a déclaré forfait au dernier moment, trouver un remplaçant au pied levé, avec la pénurie des chauffeurs au niveau national et international, équivaut à une mission impossible. Alors de nouveau, on envisage des solutions de fortune abracadabracantes, qui nous obligeraient à faire des haltes plus fréquentes, à raison de toutes les huit heures avec des pauses conséquentes, donc des temps d´arrêt avec hébergements supplémentaires, ce qui augmenterait monumentalement le coût du transport. Où trouver le deuxième chauffeur?! On fait le tour de toutes les compagnies, slovaques, polonaises, on songe même aux ukrainiens… Sans espoir, aucun conducteur de bus à l´horizon. On est mal partis, ou plutôt, pas partis du tout. La veille de départ, en désespoir de cause je passe un coup de fil à un vieux copain, directeur du Théâtre de Prešov où j´ai travaillé il y a longtemps, sans grand espoir, et miracle, un de leurs chauffeur à la retraite est d´accord pour partir le lendemain avec nous.
Lorsqu´il s´avérait évident qu´il nous faudrait faire une halte sur le chemin de Gannat, le trajet étant trop long pour pour le faire d´un seul coup, j´ai envoyé un message à Rémy, s´il ne pouvait pas nous manigancer quelque chose à Besançon, qui se trouvait sur notre trajet. Rémy est un militant passionné de la cause tsigane. Il est animateur à la Radio Sud de Besançon, et s´occupe plus particulièrement des Gens de Voyage de la région. Nous nous connaissons par l´internet, nous nous sommes rencontrés que très brièvement à Cracovie lors de la Commémoration de l´Holocauste tsigane à Auschwits. Je l´appelle sans grand espoir, organiser un spectacle en une semaine relève de l´impossible, de la pure fantaisie pour dire les choses telles quelles. Mais c´était sans connaître Rémy. En moins de deux ce fut fait. La salle était réservée le jour même, la pub était partie le lendemain, et une semaine après, lorsque nous étions sur place, la salle était pleine à craquer. Incroyable, mais vrai. Et tout ca avec un accueil plus que sympa, Rémy était là, aux petits soins, veillant personnellement à ce que tout soit nickel. Et ce le fut… Le spectacle était chargé d´émotions, Rémy nous a même donné un grand drapeau rom, enfin nous en avons un. Nous avons réussi à faire une petite visite touristique de la ville et de l´église Sainte Madeleine. Elle était sur notre trajet, alors nous sommes entrés. Personne à l´intérieur, juste un homme assis au premier banc. Nous la visitons d´abord, tout doucement, pour marquer ensuite un temps d´arrêt pour se reccueillir. Les jeunes vont s´assoir à côté du seul visiteur autre que nous en ces lieux. Normalement, suivant les modes et coutumes de notre temps, on ne va pas vers un inconnu. On reste à l´écart. L´église est immense, ce n´est pas la place qui manque. Mais nos jeunes, spontanément sont allés vers le seul être humain qui se trouve là. Ils s´assoient à côté de lui, sans faire de bruit, ils prient. Ensemble. Ce sentiment vivant, réel, de communion, de l´appartenance à l´humain m´émeut. Les tsiganes, enfants de la nature et de la Vierge Marie… C´est alors que survient le gardien de musée, car il y a aussi un musée en cette église, ce que nous ignorions, bien sûr. En effet, l'église héberge un musée de trois salles, où sont exposés l´histoire du quartier Battant, de sa vie viticole, et de ses personnalités historiques, ainsi que la vie religieuse de la cité, avec une collection de paramentique catholique, objets de culte et documents... le musée est ouvert uniquement sur réservation pour les groupes et associations mais le gardien nous propose spontanément une visite et nous le suivons volontiers.
Le Festival de Gannat
Le Festival Folklorique International des Cultures du Monde de Gannat est pour nous un "bébé" du Ccfd. Oui, aussi curieux que cela puisse paraître, il en est ainsi, puisque c´est suite à une rencontre avec Anne Roziers que les premiers contacts ont été pris, et ceux-ci ont été ensuite concrétisés par la visite de Luc Roche, président du Festival, à Clermont-Ferrand, en 2018, lors de notre tournée Ccfd. C´est là qu´on a conclu pour notre participation au Festival en 2019. Il en été ainsi, et ça s´est très bien passé, avec en prime une canicule de tonnerre, agrémentée par de véritables tonnerres qui ont accompagnés les derniers jours avec des orages passagers. Donc un séjour sous le signe des changements climatiques, que nous avons affrontés sous le toit d´un gymnase qui nous servait de dortoir et qui participait encore à sa manière au sentiment de la fin du monde par le dérèglement climatique, l´appogée en étant dans la salle de douches, toute en carrelage, qui nous servait de chambre à coucher, à Helena et à moi. Un vrai sauna équatorial. Quand j´essayai de m´endormir, tard dans le nuit, sur mon lit de camp, j´avais l´impression d´être dans un de ces films d´aventures dont les héros sont dans l´enfer des tropiques et ne savent pas s´ils vont retrouver un jour les douceurs de la civilisation (Papillon, Le salaire de la peur, etc.). Mais bon, on a survécu, et même avec le sourire, et ce grâce avant tout à nos accompagnatrices dévouées, expérimentées et efficaces, Camille et Laurie, et aussi, grâce à un accueil sans faille à tous les niveaux et à toutes les étapes du Festival.
La première de ces étapes était dans une petit village des environs, Chambaron-sur-Morges. Nous y avions deux prestations, une l´après-midi dans un établissement pour personnes handicapés et ´autre, en fin de journée, sur la place centrale pour tout public. Le spectacle pour les personnes handicapés au Viaduc à Chambaron, n´était pas des plus faciles. Ce n´est jamais évident de se produire devant des spectateurs particuliers, atteints de maladies, en souffrance ou en fin de vie. Cela nous arrive parfois de faire des spectacles dans des hôpitaux ou hospices, ou dans des établissements pour handicapés, comme ce fut le cas au Viaduc. Nous nous posons dans la Salle des Fêtes de la ville, et c´est en costumes que nous déambulons à pied jusqu´ à lá résidence. Le soleil est au top, il doit faire dans les 40°, c´est une entrée en la matière pour tout le séjour qui va suivre. Les patients nous attendent dans la cour de l´établissement. N´en jetez plus, la cour est pleine... Il y a des handicapés moteurs, sur des chaises roulantes, d´autres immobilisés sur des chaises-lits et d´autres, se mouvant librement sur ce qui doit nous servir d´espace scénique, visiblement pas du tout enclins à s´en aller de là. Il ne nous reste qu´à faire avec et de les inclure tels quels dans notre spectacle. C´est ce qui se passe avec le plus grand naturel. Dès que nous avons commencé à nous accorder tout le monde s´est mis à danser, en fait nous avons commencé le spectacle par la fin, c.a.d., par la session de danse avec le public et sans transition aucune nous avons passé au spectacle propre, tout en gardant avec nous nos spectateurs dansants. Nous avons réussi à les faire assoir juste le temps de jouer le Conte de Fées, et puis s´est reparti pour le bouquet final avec de nouveau, tout le monde sur le parquet... En fin de compte, rien de spécial. Mais le naturel avec le quel les jeunes ont assumé ce spectacle - thérapie, leur prestance et assurance, et surtout la bonne volonté, sans le moindre signe d´une quelconque gêne ou défiance, me fait considérer cette intervention comme un "succès". Un succès non seulement du point de vue du spectacle, mais avant tout un succès humain. Une générosité, une compassion sans faux semblants, un vrai pas vers son semblable, une main tendue à celui qui en a le plus besoin. Tout cela se lisait sur les visages ébahis et heureux de ce public, hélas, si particulier, et pourtant semblable à nous, mais de l´autre côté de la barrière... Cette barrière, ce jour là, nous avons réussi à la franchir.
Nous sommes repartis commes nous sommes venus, à pied, dans la bonne humeur, le soleil s´est calmé entre-temps, nous avalons quelques sucreries en guise de goûter et sommes prêts pour attaquer le spectacle tout public. Le Maire en personne s´affaire à installer la sono, mais ce n´est pas un spécialiste du son, et il laisse faire nos jeunes qui sont tout pleins de bonne volonté dès qu´il y a des micros et des fils éléctriques à portée de la main. Bien mal lui en prend, en moins de deux les fils sont mélangés dans un inextricable enchevêtrement de câbles et rallonges, et personne n´a la moindre chance de venir à bout de ce noeud gordique grandeur nature. Je suis absolument néophyte dans tout ce qui touche à l´éléctrique, pour ma balalaïka je ne fais confiance qu´ à la seule force de mon biceps, je ne peux intervenir d´aucune façon, je n´aurais pas du laisser les jeunes jouer aux ingés sons. Je vois le Maire paniquer légérement, il y a quand-même tous ses électeurs assis devant à assister à ce débacle technologique, c´est mal parti… Heureusement, un autre élu survient, il est technicien de son, et il arrive tant bien que mal à remettre tout en place. Il pourra se présenter aux prochaines élections…
Après le spectacle suit le dîner. En familles. Je ne suis pas très enthousiaste de ce genre d´expériences, on ne sait jamais comment ça peut finir, mais visiblement, les habitants de Chambaron y tiennent, une dizaine de familles attendent de pied ferme pour se partager nos jeunes pour leur faire découvrir les délices de la cuisine française maison. Je lance un tonitruant surtout pas d´alcool, et je suis emporté par le Maire en personne chez lui. Je prends avec moi les plus petits, Filip et Lubka, advienne que pourra… Mais tout se passe très bien. Un peu avant minuit nous retrouvons tous nos participants français, tsiganes et slovaques à la soirée de découvertes gastronomiques, visiblement tous heureux et satisfaits de l´expérience qu´ils viennent de vivre. Ouf, la première journée est derrière nous. Il faut encore assurer la nuit. L´avantage de dormir dans une salle de gym, c´est que tout le monde est logé à la même enseigne, et surtout nous les avons constamment sous l´oeil, il n´y a pas où se cacher pour des coups tordus en perspective…
Un article paru dans le journal municipal parle de notre passage :
Dans le cadre du 46ème Festival des Cultures du monde à Gannat, la municipalité de Chambaron sur Morge a proposé, jeudi 18 juillet, une soirée folklorique avec au programme le groupe Slovaque ” Ensemble Tsigane Kesaj Tchave “. C’est devant un public venu nombreux sur la place Paul Gaillard à Cellule qu’une trentaine de danseurs et musiciens ont fait partager leur spontanéité, leur énergie et leur enthousiasme par le biais de la musique du chant et de la danse. Accueillis par le maire Philippe Gaillard à 16 h 30, le groupe a d’abord offert un intermède de grande classe aux amis du centre le Viaduc, très bon public. En présence de la conseillère départementale Stéphanie Flori-Dutour et des personnalités représentant les élus de RLV et des communes alentours, le groupe a présenté un spectacle rythmé, énergique, quasi acrobatique avec des costumes colorés somptueux. Un authentique condensé de musique Tsigane à l’état brut au travers d’une histoire autour de la fée Kesaj qui prône l’idée selon laquelle pour recevoir de l’amour, il faut d’abord savoir en donner. C’est tout simplement un choc culturel car tout ce qu’il font dans leur folklore coloré à un rythme fou propose un spectacle juste magnifique. Cette soirée a été une occasion de partager un grand moment de convivialité avec les artistes pendant le spectacle, mais aussi « en direct » puisque les bénévoles ont reçu par petit groupe, les intervenants pour un dîner partagé. Philippe Gaillard en à profité pour les remercier chaleureusement pour leur participation et leur implication dans la vie communale.
Les mines
Le lendemain nous partons tout de suite apres le déjeuner à Saint-Eloy, une petite ville minière, qui nous a convié pour un spectacle et nous a fait l´honneur de participer à l´innauguration de leur Kiosque à Musique, datant d´un siècle, mais remis à neuf récemment. On nous a prévenu, la Maire, qui allait nous recevoir en personne, était un drôle de personnage. Caractérielle. Il y avait du vrai. Nous étions sur place un peu avant 15 h, le soleil était à son comble, chaque place à l´ombre valait de l´or. On attend sagement que tout le monde vienne, les anciens mineurs, les élus, les élèves, et nous assistons à l´innauguration. Toujours par 40°. Même les discours les plus courts deviennent interminables par cette chaleur, mais nous endurons. Les retraités des mines sont des sympathiques papys, souvent d´origine polonaise, on arrive à baraguiner quelques mots ensemble. Nous intervenons aussi, avec quelques mots pour nos compatriotes tchécoslovaques qui ont eux aussi, constitué le gros des forces ouvrières des mines françaises d´antan. Une ou deux chansons, et nous nous refugions dans le Musée de Mines qui est juste à côté. Mme le Maire nous invite à boire le vin d´honneur, je refuse poliment, elle insiste, je rétroque que nous avons des enfants et des mineurs parmi nous, elle dit que ce n´est pas grave, la mairie a préparé du vin, alors tout le monde va boire, les jeunes aussi, ça ne peut pas leur faire de mal..! Bien sûr, je refuse, cette fois-ci fermement, et je commence à comprendre que le personnage tienne de sa réputation. A part ça sympathique, mais un fort caractère. Les papys nous entraînent dans le musée pour une visite guidée. Le commentaire, avec tous les détails techniques, dépasse largement nos possibilités et disponibilités intellectuelles et physiques, je traduis à ma façon, j´invente des histoires farfelues pour amuser la galerie, je sens que si ça se prolonge, il y en aura qui vont commencer à tomber comme des mouches. Heureusement, le papy ancien mineur qui nous sert de guide est compréhensif, et on s´évacue à l´air libre. Mme le Maire remet ça, du vin pour tout le monde. Là, je ne prends plus de gants, tant pis pour l´incident diplomatique, je me rue sur le buffet et je sers moi-même les boissons non alcoolisées aux jeunes. La situation est tendue, mais le principal est que le soleil a baissé d´intensité et que l´on puisse se désaltérer. Que faire maintenant. On a encore deux heures à poirauter avant le dinner, et après il y aura encore le spectacle. Nos prestations sont très dynamiques, nous avons besoin de recharger nos réserves d´énergie pour tenir jusqu´ à la fin. Là, manifestement il n´y a pas comment, ni où. On déambule comme des zombies dans un parc sans arbres, il n´y a même pas un ballon pour taper dedans, les grands fument, les petits les regardent avec envie. Vient l´heure du dinner, tout le conseil municipal est là, la Maire n´insiste plus pour le picrate, somme toute elle est sympathique, le tout est de lui tenir tête. Les élus doivent apprécier… Le soir, le spectacle se passe dans l´amphithéâtre, juste à côté d´un étang, bien sûr, ca ne rate pas, les jeunes profitent que je sois pris par les balances du son pour faire trempette. Descente musclée de ma part, il n´est pas question que de pareilles sorties nautiques s´improvisent sans ma présence. On continue à régler les micros. Comme on pouvait s´y attendre, Jakub tombe dans les pommes. Mme la Maire est là, elle n´en mène pas large, elle voit maintenant où ménent les excès de protocole par temps de canicule. Les Urgences, déjà sur place, prennent soin de lui, une déshydratation banale, vu la météo, rien de plus normal. Il reste dans les vestiaires, emmitouflé dans des couvertures, sous la surveillance de nos accompagnatrices, dont une est infirmière, ça tombe bien. Nous rentrons vers minuit, on restera encore trois heures dehors, à surveiller et sécuriser Jakub, qui revient que peu à peu à lui. Une journée bien remplie. Et la nuit de même.
Le pire, c´est la chaleur. Il n´y pas où s´échapper. Il y a une piscine juste à côté, le festival a des entrées libres, mais il faut des maillots de bain pour y aller. Pas possible de trouver un seul slip de bain bon marché dans toute la ville. Nous avons fait toutes les boutiques et les super marchés, il n´y a que des maillots de marques, hors prix pour nous. Alors nous nous rabattons sur une petite rivière des environs, nos accompagnatrices nous assurent que c´est sécurisé, alors on y va. A peine descendus du bus, Diana saute dans l´eau et tombe directement dans un trou d´eau. Heureusement, je suis juste derrière elle, je n´ai qu´ à tendre le bras et je la sors par la tignasse sur le bord de la rivière sécurisée. De toute évidence, elle n´est pas sécurisée du tout, alors demi-tour et retour au gymnase. L´incident n´est pas grave, mais nous a tous secoués. Dès notre retour Helena ramasse tous les mobiles. On s´assied tous en rond pour un meeting improvisé. Je demande au plus petit, Filip, le frère de Diana, il a 8 ans, de raconter à tout le monde ce qui s´est passé. Il dit tout de go : Diana est morte, elle s´est noyée. Bravo! Encore heureusement qu´Helena a confisqué les portables. Hé, ballot, tu vois bien que Diana est vivante, elle est là, assise à côté de toi!.. Je n´ose pas imaginer ce qui serait arrivé s´il avait fait passer ce message démentiel aux parents.
Avec tout ça, nous continuons à assumer les spectacles, à raison de deux par jour, car les animations qui sont programmées les après-midi sont en fait des spectacles à part entière, de surcroît dans des conditions tropicales. Les autres groupes ne tiennent pas le coup. Il y a juste les ghanéens et les cosaques du Don qui s´accrochent. La canicule est implacable, elle enfreint sérieusement le cours du festival. Je comprends que ce n´est pas évident, mais les organisateurs auraient du annuler certaines manifestations, de toute manière il n´y avait presque pas de spectateurs par ces temps de chaleur torride. La piscine, finalement, en fin de séjour nous parvenons à y accéder, on nous a laissé entrer avec des boxers, l´information est mal passée au début… Nous sommes reçus à la Mairie de Gannat, qui est partenaire du Festival, nous organisons des ateliers de danses, on donne des interview à la radio, il y a même une correspondante de la Radio Slovaquie Internationale, ce qui donnera une série de cinq reportages à l´international, diffusées de Bratislava. Bref, du classique festivalier, s´il n´y avait pas cette fichue canicule, tout serait parfait. Bien sûr, il faut avoir constamment l´oeil sur Maria, toujours prête à s´échapper avec ses acolytes pour dénicher une bière, de préférence servie par des jeunes hommes d´un groupe voisin. Son comportement juvénile et irresponsable a marqué tout le séjour. On a beau lui faire des remontrances, sévères ou douces en alternance, candide, elle baisse les yeux en jurant de ne plus jamais recommencer, pour remettre ça dans l´heure qui suit. Le plus simple aurait été de l´exclure du groupe il y a longtemps, mais cela équivaudrait à la livrer toute seule à la rue, et on ne voulait pas en arriver là. Et puis, elle danse comme une déesse et nous n´avons personne pour la remplacer au pied levé. La conséquence directe de ses agissements était que pour la première fois, nous n´avons pas particpé à aucune des discothèques que le festival organisait. C´est dommage, car ça pénalisait tout le monde, les garçons en premier lieu, qui se conduisaient très bien, mais même eux, ils reconnaissaient que dans ces conditions nous ne pouvions pas risquer de sortir le soir avec ces égéries intenables.
Les cosaques
Une de nos sorties nous a menée à Vignoux-sous-les-Aix, quelque part du côté de Bourges. Nous devions y passer le weekend, en étant hébergés dans les familles. Encore une épreuve. Pour moi. Car à part mon inquiétude surdimensionnée, tout se passe bien. Au contraire, c´est une excellente leçon de vie pour nos jeunes, un capital de confiance monumental, pour une fois, eux, les parias éternels, sont reçus comme tout le monde chez des gadjés, chez des français, chez eux, dans leurs maisons, ils leur offrent le gite et le couvert. On leur fait confiance! Ils sont dignes de confiance! Idéal comme outil pédagogique pour Helena et moi, et nous nous en privons pas, nous instruisons les jeunes en détail sur le comportement à observer, surtout ne pas décevoir la confiance que tout le monde leur a manifesté, cela n´arrive pas tous les jours… Nous avons fait plus d´une fois l´expérience de ce genre d´accueil chez les habitants, et à chaque fois ça s´est bien passé. Bravo aussi pour nos hôtes, les français, qui n´ont pas peur, et osent, malgré tous les préjugés en cours, de pareilles expériences.
Nous devons nous produire le dimanche, mais nous sommes sur place déjà le samedi soir, pour que les familles puissent nous héberger. Et cela nous permettra aussi d´assister à la partie de dancing géante qui est organisée ce soir. A vrai dire, je nous vois très mal partis. Partout que des buvettes, des tombolas avec des bouteilles à gagner, un diner campagnard géant avec des boissons à volonté. Bref, une beuverie gigantesque à la quelle nous deverons assister et surtout ne pas prendre part. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Tous ces braves gaulois réunis dans la Fête annuelle du Foyer Rural local, ça ne peut que finir très mal. Décidément, je suis un grand inquiet. Heureusement, il n´en n´a rien été, encore un de mes phantasmes d´antan… Au contraire tout s´est très bien passé, nos sympathiques villageois ont dansé toute la nuit, je n´ai constaté aucun abus de l´alcool, à part celui, bien entendu, de Maria, qui n´a pas pu s´empêcher d´aller acheter une bière en douce. Mais je l´ai débusqué avant qu´elle puisse accomplir son méfait, alors tout va bien, on lui a fait passer un sacré savon et la vie continue comme avant. Nos jeunes ont pu aussi se défouler sur le parquet de danse et vers minuit tous sont répartis dans les familles, il ne reste qu´à attendre le matin pour voir le résultat des courses.. Mais le lendemain tout va bien, s´ils pouvaient, ils resteraient bien quelques jours de plus… L´après-midi nous avons deux spectacles d´une demi-heure, en alternance avec le groupe des Cosaques d´Azov. C´est un défi à relever. Les groupes russes et les groupes des pays d´Est sont en général d´un très bon niveau, par contre ils ne pêchent pas par excès de modestie. Nos cosaques sont du même acabit, distants, l´air supérieur, ils nous regardent de haut. Nous partageons la même scène, alors lorsque ils viennent prendre place après nous, ils ne peuvent ne pas voir nos instruments de musique que nous avons laissés sur place pour le prochain passage. Un piano électrique d´un autre âge, et surtout mes percussions, ma tymbale défoncée, déchiqueté, ou du moins ce qu´il en reste, puisque je tape dessus avec une barre de fer comme un forcéné. Ca, les russes n´ont jamais rien vu de pareil. Ils doivent se dire que ces français sont complétement fous d´inviter de pareils énérguménes à leur festival. Plus d´une fois nous avons eu affaire avec des groupe de cette sorte. Excellents, parfaits, plus que parfaits, ils ont tout pour plaire, sauf un petit manque d´émotion… et ça, par contre, nous en avons à revendre. Alors le public fait la différence, et c´est pourquoi on nous appelle un peu partout depuis une vingtaine d´années…
Nous retournons à Gannat sous les tropiques, la météo excelle toujours dans le rouge, c´est la canicule dans toute sa splendeur. Jusqu´à 42°! Par contre je prends les choses en main au niveau des productions, pas question de danser sous le soleil, on recule l´heure des prestations, et bien sûr, il faut des boissons à volonté partout où nous passons. Nous avons avec nous Honzo, un ami tchèque de longue date qui est venu nous donner un coup de main, puisque nos partenaires de Yepce n´ont pas pu se libérer pour cette tournée. En effet, avec l´âge, nous constatons qu´un renfort extérieur est souhaitable, alors des copains nous accompagnent. Honzo est ingénieur architecte, il a un cabinet de projection, c´est une sommité mondiale, il n´arrête pas de donner des conférences à travers le monde, il a roulé sa bosse un peu partout, approche des soixante dix ans, mais tient très bien la route, et a un très bon contact avec les jeunes. Il peut nous seconder lors des déplacements, lors du couchage, il partage le dortoir de la salle de gym avec le groupe, et surtout, il a une vue philosophique sur le monde et sur les choses de la vie qu´il partage avec nous pour notre plus grand bien. Voilà ce qu´écrit Honzo vers la fin de la tournée :
„le séjour avec les tsiganes touche à sa fin. cela aurait été une excellente école pour des managers. une approche totalement différente de la vie. le passé n´a aucun intêret, pas plus que l´avenir. tout simplement, le moment idéal pour vivre c´est le présent, mais certainement pas pour se surmener. tout projet d´avenir est utopique, et l´avenir commence à la minute qui suit. ce qui n´est pas sous clé, peut s´évaporer. cela veut pas dire que ce serait volé, ce n´est qu´emprunté et déposé à une autre place. moi, je suis considéré sur le coup comme le meilleur des papys du monde, et à l´instant suivant ils seraient capables de m´égorger, sans même savoir exactement pourquoi, ils menacent de ne plus m´adresser la parole jusqu´ à la fin de la tournée, et dans cinq minutes ils vont me demander de leur acheter des cheving gum ou de leur prêter mon portable. cela m´a pris un peu de temps pour comprendre qu´ici on ne donne pas d´explications, tu dis simplement non, et c´est réglé, et dans quelques heures ils vont te demander la même chose. et ainsi de suite. du moment qu´ils ne sont pas sous l´emprise de l´alcool, ce que nous réussissons à éviter jusqu´ à lors, ils sont gérables, etc… excellente expérience. je commence à les aimer…“
honzo
Veronika
J´aurais oublié Veronika, la compagne de Roman. Ils forment le parfait couple infernal, mais par rapport aux débuts de leur relation il y a quand-même beaucoup de progrès. Veronika n´a pas encore tentée de s´enfuir en plein milieu de la nuit dans n´importe quelle direction, elle n´a pas balancée de couteau sur Roman, n´a pas tenté de lui arracher les yeux, bref, la parfaite lune de miel… Mais rien ne dure étérnellement. On me réveille vers les deux heures du matin, Veronika est mal. L´avant-veille c´était Jakub, la veille Diana prenait la relève, maintenant c´est au tour de Veronika. Je cours vers elle, elle est allongée par terre, en plein milieu de la partie filles du gymnase, recroquevillée sur elle-même, se plaint des maux du ventre. Roman est planté devant elle, hagard, je l´envoie à l´écart, visiblement, sa place n´est pas ici. Les pompiers arrivent, ils sont de service permanent auprès du gymnase, alors ils sont là illico. C´est des jeunes gars, secouristes, qui ne semblent pas trop savoir que faire. J´ai à peine le temps de m´occuper de Veronika, qu´on m´appelle dehors, cette fois-ci c´est Viktoria qui vient de s´écrouler devant la porte, évanuie. J´étais infirmier lors de mon service militaire, chez nous ca a duré deux ans, alors j´ai de la pratique, je trie les blessés par degré de gravité comme en temps de guerre, sous les regards médusés des jeunes pompiers je laisse Veronika dans une position stabilisée et je viens calmement vers Viktoria, qui s´est juste un peu éraflé le front en tombant, on lui passe de l´eau froide sur les tempes, ça va, ce n´est qu´un effet de mimétisme, voyant Veronika s´évanouir, elle a fait automatiquement la même chose. Il faut faire attention à Diana, pour qu´elle ne fasse pas pareil. Cela en ferait trois, les pompiers seraient dépassés. Je reviens vite vers Veronika, entre temps est arrivé le Premier secours, il y a une femme médecin, Veronika se plaint des maux au bas ventre, elle est enceinte, il n´y a pas à hesiter, il faut l´amener à l´hôpital. Le plus proche est à 50 km, à Vichy. Nous voilà partis, pas pour une cure thermale. Sur place, auscultation, radio, etc, nous en avons jusqu´ à 7 heures du matin. Entre temps Veronika a repris ses esprits, tout va bien, si je n´étais pas là, elle serait partie en pantoufles et peignoir, telle quelle. Mais je suis là et je veille au grain. Vers 8 heures Camille, notre accompagnatrice vient nous chercher en voiture, et à 9 heures nous sommes de retour au gymnase, prêts à affronter une nouvelle journée après une nuit qui était tout sauf de repos. Veronika est en plein forme, moi un peu moins, mais ce n´est pas grave… Plus tard j´apprends les dessous de l´affaire. C´est simple et pas compliqué. Vers les deux heures du matin Veronika a demandé à Roman d´aller demander une cigarette à Helena. Roman, pas fou, sait ce qu´il risquerait s´il révéillait Helena à 2 heures du matin, alors il n´hésite pas et allonge illico une gifle à Veronika pour lui faire passer ses envies de nicotine. Ca ne marche pas, Veronika n´hésite pas non plus, elle se met à faire tout ce cirque pour montrer à Roman comment qu´elle l´aime, et on fini aux urgences à 6 heures du matin… Si j´avait su tout ça plus tôt, je n´aurais bougé d´un pouce, mais on ne peut pas tout savoir… si on veut dormir au moins un peu. Pour cette nuit, c´est rapé…
Dans les histoires invraissemblables il y a encore celle de Honzo et du couteau volant. Nous sommes vers la fin de séjour, il doit être dans les 17 heures, ont attend pour aller diner, Honzo est tranquillement assis sur son lit, plongé dans ses pensées, et voilà qu´un couteau surgissant de nulle part vient lui érafler le front et s´échoue par terre, au pied du lit de Honzo. Je ne suis pas là, Honzo est tout seul avec le groupe. Il me dira plus tard qu´il compte doucement en silence jusqu´ à neuf pour ne pas exploser tout de suite et ne pas réagir d´une manière non appropriée. Heureusement, ca marche et il n´attrappe pas le couteau pour le planter dans celui qui l´a lancé. Le lanceur de couteau c´est Matej. Il ne l´a pas lancé sur Honzo, il visait Milan, mais il visait mal, et c´est Honzo qui s´est ramassé le projectile. Donc, il n´y a pas de mauvaise intention au départ envers Honzo, l´affaire est réglée avec un sparadrap et tout va bien. On ne saura jamais pourquoi Milan était visé, mais ce n´est pas grave, l´essentiel est que Honzo n´ai pas fini borgne son séjour avec nous et qu´il n´a pas crucifié Matej par la même occasion. Matej était le seul des gars qui s´est levé lorsqu´une dame agée est montée dans le tramway lorsque nous étions à Besançon, et l´a aidé à s´assoir. Alors un coup de couteau non intentionné… Heureusement, Honzo dispose d´une bonne dose de philosophie et de self-contrôle, et l´affaire ne tourne pas mal. Matej a droit à des explications adéquates dont Helena a le secret, et Honzo écrit son petit texte même après ce menu incident pitoresque passager…
A part ça et les fantaisies de Maria, tout va bien, il n´y a pas d´incident majeur à déplorer durant notre séjour à Gannat. Notre groupe, qui dénotte par rapport aux autres formations, apporte une saine joie de vivre au festival, de l´authenticité, de la simplicité mais aussi du professionalisme. Oui, autant cela peut parraître incongru, par rapport aux autres groupes nous excellons dans tout ce qui touche à la dispipline, à la ponctualité. Nous sommes toujours pile à l´heure convenue à tous les rdv, ce qui est appréciable surtout pour les spectacles et pour les heures de repas. Les autres ensembles sont loin d´être aussi consciencieux, et cela peut poser des problèmes lors d´organisations de manifestations de telle envergure que ce festival, avec des centaines de participants. Nous, toujours à l´heure, à la minute près.
Nous participons encore avec tous les groupes au grand défilé nocturne dans Gannat, l´orage qui pointe à l´horizon juste ce soir, fini par se dissiper, encore une frayeur inutile pour moi, et nous approchons de la fin du festival, la clôture, les adieux et nous voilà dans le bus pour la route du retour.
La cuisine nomade
Sur le chemin nous marquons encore une halte à Chaumard, chez Coraline et Nicolas. Ils tiennent une buvette ambulante dans une caravane qu´ils appelent Cuisine Nomade. Coraline nous a dénichée sur le net, du moins je crois, elle est venue nous voir il y a trois ans au Festival d´Ambert, et puis, plusieurs années de suite nous avons cherché une occasion pour venir chez eux. Ce n´était pas évident, ils sont dans un bled assez paumé dans la cambrousse du Morvan, mais lorsque nous devions aller au Festival de Gannat, il s´avérait que Chaumard n´était pas trop loin, donc à l´aller ou au retour nous pourrions y passer. Le choix a était fait pour le chemin de retour, et une dernière étape, après tout le festival était organisée. Inutile de dire que pour nous ce fut une corvée, le festival était plus qu´intense, et nous étions sur les rotules... Mais on a donné notre parole, alors il fallait y aller. Finalement, l´accueil fut tel, que la fatigue s´est évaporée, les rotules se sont huilées, et c´était reparti comme en 14... Chaumard, le lieu de notre production champêtre, était vraiment paumé, de archi paumé. Mais Coraline a réussie l´exploit d´y ameuter un public nombreux, convivial et très réceptif. Ce fut parfait. Même la caisse dépassait nos espérances, ce qui relevait du miracle, tant nous avions besoin de subsides lors de cette tournée catastrophique du point de vue financier.
Nous avons la chance d´être partenaires du Ccfd, ce qui nous assure l´indispensable pour le fonctionnement de notre association – le loyer des locaux de répétitions, les transports locaux, et les grosses sorties internationales. Nous sommes un peu comme des paysans que l´on aide à semer pour avoir une récolte, mais ils doivent travailler dur pour ramasser cette récolte. Et il en est très bien ainsi. Nous n´avons pas besoin de vivre dans l´opulence, l´important est que nous puissions ne pas sombrer pour parvenir nous-mêmes à nous procurer des subsides pour notre existence. Donc nous avons maintenant de quoi partir en tournées, ce n´est plus comme avant, lorsque nous étions obligés de trouver des combines invraissamblables pour dormir ou se restaurer, et nous essayons de rentabiliser nos prestations afin d´en tirer profit pour pouvoir ensuite avoir de quoi financer nos activités au pays. C´est pourquoi nous sommes aussi à la recherche de productions „commerciales“, des spectacles payants, comme celui de Chaumard. Mais cette année, nos sorties étaient pratiquement toutes dans le cadre du secteur associatif, comme la tournée du mois de mai, donc sans aucune retombée financière. Le Festival de Gannat que nous venons de finir, ne suffisait pas à lui seul à équilibrer les finances. Il aurait fallu rester encore au moins deux ou trois semaines à tourner dans d´autres festivals en France pour qu´il en soit ainsi. Cette occasion ne s´est pas présenté, et avec la canicule de cet été nous ne le regrettions pas, nous n´aurions pas tenu le coup plus longtemps. Dans de telles conditions nous aurions du mal à finir l´année, heureusement que le Ccfd nous a accordé une aide supplémentaire et nous avions pu tenir jusqu´ à la prochaine échéance.