avril 2015
Molenbeek
Le séjour en Belgique était organisé aussi en partenariat avec une association musulmane, faisant partie de la Cellule de Lutte contre l´exclusion sociale à Molenbeek, qui oeuvre dans les quartiers à lutter contre les dérives de leur ville en proie a des extrémistes islamistes. Tous les responsables, qui s´engagent au jour le jour auprès des leurs, déplorent une totale absence des institutions, l´abandon, la fuite en avant des politiques et des représentants de l´état. Et encore, nous ne pouvions pas imaginer ce qui allait suivre quelques mois plus tard... Hakim, le responsable des moniteurs, la quarantaine, sportif, dynamique, m´expliquait, effaré, que leur petite ville est en prime position en Europe par raport au pourcentage des départs des jeunes pour le djihad. Des gossent qu´ils voient naître, grandir, et qui, un jour partent pour l´enfer... Le désarroi, l´horreur. L´abandon total des institutions, le désengagement des politiques. Lorsque le Festival Balkan Trafik qui nous a invité en Belgique, les organisateurs cherchaient des partenaires pour nous héberger, il n´y avait pas foule pour loger une trentaine de roms slovaques, alors l´association de Hakim s´est portée volontaire, pour faire preuve d´engagement citoyen. Leurs moyens étaient plus que modestes, ils nous ont mis à disposition leurs locaux à Molenbeek, une cuisine et réfectoire en bas, et deux piéces à l´étage, dans les quelles nous avons tous dormi sur des lits de camps de l´armée qui dataient de la première guerre mondiale.
Peu importe le confort, l´essentiel est, qu´il y avait de la bonne volonté et où s´abriter. Au début le contact avec les filles, toutes voilées, certaines en burqa, était un peu distant, elles ont fait un couscous, nous avons fait de la musique, et puis au troisième jour, lorsque nous avons pris possession de la cuisine pour faire de la goulash, et que nos filles chantaient et dansaient tout en cuisinant, les filles de Molenbeek n´ont pas pu résister, et tout le monde a fini dans une magistrale partie de disco-cuisine qui a eu raison de toutes les distances et retenues que l´on sentait au début. Après il y a eu encore un match de foot, on a discuté, rigolé, papoté, et puis nous sommes repartis comme nous sommes venus. Ce n´est certainment pas cela qui aura changé le cours des choses, mais même des „petits rien“ sont mieux que rien du tout... La nature a horreur du vide, on ne sait que trop bien ce que d´autres peuvent faire face à des jeunes en manque de repéres. Et notre repére à nous, c´est être bien ensemble, tout simplement...
Entre temps nous avons pu faire connaissance des autres Roms slovaques de Bruxelles, qui se sont passé le mot, et venaient nombreux à nos spectacles. Ils n´étaient pas tous, et de loin, toujours très fréquentables. Émmechés, ils réclamaient bruyamment qu´on les fasse entrer sans payer. Mais nos jeunes, sortis de la même marmite, ne se laissaient pas faire et ont assuré un solide service d´ordre en les envoyant balader. On a pris juste les plus jeunes et les petits.
Le Festival, de très haut niveau, avec Bregovic comme tête d´affiche, nous avait donné deux accompagnateurs à temps plein pour nous éviter tout désagrément. Il se trouve que les deux jeunes gens étaient deux Roms roumains qui se sont portés volontaires comme bénévoles du festival. Des Roms, benévoles, plutôt incongru comme image. En fait ils étaient nés en Belgique, de parents de l´émigration, mais étaient parfaitement intégrés, étudiaient en fac, et ils s´engagaient dans des associations qui oeuvraient pour leurs semblables moins bien lotis. Ils se sont occupé de nous, pendant tout le festival ils étaient à l´écoute du moindre de nos soucis.
Nous avons fait aussi un rapide tour touristique de la ville, le Manneken-Pis, l´Atomium, et lorsque nous avons traversé la Grand-Place, inondée de Roms roumains, mendiants à tout va, ils savaient tout de suite trouver les bons arguments en romani: „Hé, grand-mère, tu me demandes une pièce, alors que tu te fais construire un palais en Roumanie, tu es plus riche que moi...“. Nous avons ainsi discuté avec la tribu des mendiants, qui n´arrivaient pas à comprendre ce que l´on faisait là. Des Tsiganes touristes?! Un concept inconcevable pour eux... Les médias se sont intéréssés à notre présence, d´une part notre prestation était très remarquée du point de vue artistique, mais aussi, dans le context social et politique, la participation d´une troupe tsigane nombreuse, venant des bidonvilles, à un événement artistique majeur de la ville, ne passait pas inaperçue et interpellait les journalistes. Les journaux, télévisions, CNN, ont largement, en termes positifs, relayés la présence de notre troupe à Bruxelles. Rtbf titrait: „Kesaj Tchave redonne de la fierté aux Roms de Bruxelles“.
Kesaj Tchave redonne de la fierté aux roms de Bruxelles
dimanche 26 avril 2015 à 18h26
La troupe Rom Kesaj Tchave ce samedi à Bruxelles - © Tous droits réservés
Le concert du groupe Slovaque Kesaj Tchave (traduction : les enfants de la fée), ce week end à Bozar, a donné une autre image de la culture rom, loin des clichés répandus dans nos villes occidentales. La troupe est composée d'une vingtaine de jeunes roms issus des bidonvilles de Slovaquie.
C'est le musicien Franco-Slovaque, Ivan Akimov, qui eu l'idée, il y a quinze ans de fonder le groupe Kesaj Tchave. Son épouse est rom et éducatrice de rue. Le couple propose alors à des jeunes roms particulièrement défavorisés de Slovaquie de participer à un projet un peu fou, celui de créer une troupe de musiciens, chanteurs et danseurs. Le projet devait durer trois mois...il existe toujours et cela, même si les jeunes artistes s'entrainent toujours dans un couloir dépourvu de chauffage l'hiver.
La troupe est régulièrement invitée à l'étranger
Chaque fois qu'il se produit, l'ensemble séduit par l'énergie et le rythme de la musique, par l'émotion des chants nés sur les routes ancestrales. Dans le public, plusieurs associations de roms, des enfants qui vivent ou qui ont vécu dans la rue sont aux premières loges. Face à Kesaj Tchave, ils retrouvent des émotions profondément enfouies. Une jeune femme nous confie sa fierté de voir enfin sa culture reconnue et admirée, elle qui a souvent eu honte de sa propre vie à faire la manche sur les trottoirs de Bruxelles. Ivan Akimov, le directeur de la troupe refuse pourtant tout angélisme. Beaucoup de roms sont déconnectés de leur culture mais devant un violon, beaucoup retrouvent les gestes, les déhanchements, les chants enfuis depuis si longtemps.
Une magie qui opère à chaque fois que les enfants de Kesaj Tchave montent sur scène, en particulier en dehors des frontières slovaques.
Véronique Fievet