été 2012

 

Eté 2012

 

Laborieuse. C´est l´adjectif qui convient le mieux à cette tournée d´été que nous venons d´effectuer. Déjà le trajet était costaud, nos nouveaux chauffeurs, fort sympas, mais visiblement inexpérimentés au niveau international, ont pris, guidés par un GPS polonais, un trajet sensé d´économiser des péages, mais manifestement pas les km, alors on est passés par la Hongrie, Slovénie, Croatie et l´Italie et on a mis 32 heures pour venir jusqu´à Montpellier. Là, nous nous sommes d´amblé perdus dans les dédales des rues et ruelles tordues et impraticables en bus et nous avons ainsi raté de peu la première partie d´un spectacle gitan au quel nous aurions pu participer. On a quand même distribué des tracts 5 minutes avant le début du flamenco, mais il n´était plus question de monter sur scène. Les braves Gitans ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait et manifestement, la déférlante Kesaj ne les rassurait pas trop. Mais le message est quand-même passé, et les médias ont ensuite relevé la belle fraternité de la famille gitane...

 

Ce n´était que le début des décalages légers et divers qui allaient suivre. Cette tournée s´annoncait déjà difficile avant même que l´on parte. Nous venions de traverser une période de turbulences aussi incompréhensibles qu´imprévues. A peine revenus de la dernière tournée de Pâques, qui s´est plutôt bien passée - nous avons vécu des choses merveilleuses et fini en apothéose au Romanès..., nous avons assisté à toute une série de problèmes incongrus, tous tournés autour de l´éternel – "je m´envais,.. non, je reste,.. lui, il prend de l´argent, et pourquoi pas moi,.." etc. Bref, toute une suite, ou plutôt carrément une symphonie de ragots et calomnies internes ayant pour conséquences des désistements pour des causes aussi variées que futiles. Le premier à se manifester était Duško, blessé dans son amour-propre après que l´on ait remis en place gentiment suite à son agression sur sa soeur, Perla. Déjà sur le chemin du retour il a déclaré qu´il ne veut plus faire partie du groupe et il a tenu plus de deux mois, malgré que tout le monde l´ait désapprouvé, ses parents en premier, qui sont dans la délicate situation de dépendre de nous dans les moments de crise (hélas fréquents) tout en n´étant pas capables de raisonner leur fiston, qui tout en faisant sa forte tête ne rechignait pas à puiser dans la gamelle familiale, en grande partie assurée par nous.... Duško est suivi de près par Bohuš, jusque là excellentissime et exemplaire danseur et chef de file des ados de Rakusy, qui, tout à coup a commencé à divulguer que nous lui avons donné en douce beaucoup d´argent, et que les autres sont bêtes de ne pas profiter de nous comme lui. Bien sûr, ce n´était pas vrai, jamais nous ne lui avons donné quoi que se soit, mais ça a eu l´effet escompté, les ados aussi se sont mis en opposition, un jour ils étaient là, le suivant non, ce qui me met, évidement, hors de moi. Impossible de connaître la raison de ce revirement soudain. Bohuš était notre homme de confiance à Rakusy, il s´investissait beaucoup dans l´organisation des répétitions, était toujours en première ligne, son changement de comportement soudain est pour nous un mystère encore maintenant (aux dernières nouvelles, il attend que l´on appelle pour revenir...).

 

Donc c´est particulièrement affaiblis que nous avons dû quand-même mettre tout en oeuvre pour assurer la continuité des répétitions, amoindris surtout par l´absence de Duško, qui a fait que notre "orchestre" s´est retrouvé réduit de moité, puisque nous n´étions que deux à jouer, lui et moi. Donc, me retrouvant tout  seul (Jaro et Šnurki se la coulent douce chez Fred),  il fallait prendre la relève avec les petits, qui n´en demandent pas mieux, gonflés à bloc qu´ils sont en permanence, mais reprendre tout de suite en route tout le répertoire, les arrangements et les tempos démentiels est une sacrée gageure et me contraint à des efforts supplémentaires que je qualifierais en toute modestie d´"inhumains". Alors on fait avec, en fin de  compte on y arrive toujours, mais au niveau du moral ça fait mal, dire le contraire serait mentir. Je n´arrive pas à être immunisé contre ce genre de réactions tout compte fait banales et ordinaires, mais dans la démesure et le "non-ordinaire" qui nous est propre, mes réactions aussi, sont démesurées, et je vis mal ce genre de caprices. Peut-être que je finis moi-même par devenir capricieux, je n´en sais rien, j´ai beau me torturer par des questions sans fin, je subis plus qu´autre chose ces remue-ménage caractèriels, qui après coup peuvent paraître  futiles, mais dans l´action sont destructeurs et bouffent une énergie incroyable ...à reconstruire sans cesse un édifice qui a déja bien du mal à tenir sans toutes ces histoires abracadabrantesques,... comme dirait l´autre. Mais ça a beau aboyer de tous les côtés, la caravane passe, et nous aussi nous devons faire face à nos engagements, et ce n´est pas plus mal, l´action vient toujours à la rescousse lors des casse-tête insolubles et apporte la solution à tous ces problèmes insurmontables..

 

Dans le concret, pour l´été, hormis l´invitation au Festival du Rouergue qui datait encore de l´année dernière, il n´y avait aucune autre proposition sérieuse. Juste un weekend de festival en juillet, mais ensuite il restait encore 20 jours à remplir, et nous n´arrivions pas à trouver de spectacles pendant toute cette période. Hélas, le projet Caravanes et Jardins, qui a si bien fonctionné l´année dernière n´a pas pu être réitéré cette fois-ci. Nous en sommes restés à une excellente collaboration avec le village de Sainte-Croix-la-Vallée-Française, dans les Cévennes, où nous avons passés deux nuits et donné une représentation, et tout compte fait le Festival du Rouergue touche aussi le monde rural, mais le projet initial qui consistait en investissements et échanges entre la campagne et le monde tsigane a pris des formes virtuelles qui nous échappent et qui nous dépassent. Donc, échappés et dépassés, nous avons quand-même sillonné cette France profonde, rurale à souhait, mais hors d´atteinte et de portée ...et hélas des retombées (financières) des louables intentions formulées par Caravanes et Jardins. 

 

Nous arrivons quand-même à partir. Dans la compliqué haute mathématique des équations infinies sur la composition du groupe pour la tournée, la quantité finit par prendre le dessus (c´est de toutes façon toujours mon objectif, que de remplir le car au maximum), nous atteignons un honorable 37 au moment du départ. Qui deviendra 39 avec Meklesh et Duško (qui est revenu sur ses positions qques jours avant le départ), puis 41 avec Spartakus et Cassandra, pour atteindre 42 avec Jenica qui nous rejoindra en dernier. Malgré ce chiffre record, j´ai fait une tentative pour faire venir aussi un groupe de Saint-Denis avec Micha, mais nous ne pouvions pas les accueillir à 10 ou 12 comme les  années précédentes, alors ils ne sont pas venus, incapables de se mettre d´accord sur un nombre plus restreint de participants. Heureusement, sinon on serait vraiment débordés... 

 

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A Montpellier, nous avons repris nos quartiers au bar-concert de la Pleine Lune. Christophe, le patron, nous a fait savoir pratiquement une semaine avant le départ qu´il pourrait nous héberger et serait prêt à se lancer dans une aventure de promotion du groupe, ayant récupéré le droit de production des spectacles, qu´il a perdu pednant un certain temps. Chez nous les répétitions deviennent de plus en plus compliquées et fastidieuses à organiser. Les voisins nous font des misères, et faire venir tout le monde à Kezmarok a aussi un coût, que nous avons de plus en plus du mal à assumer. Alors partir équivaut au moins à pouvoir pratiquer plus aisément qu´ à la maison et c´est aussi un argument qui pèse dans la décision de se lancer dans cette tournée périlleuse. Donc c´est plus dans un esprit de résidence que de production à proprement parler que nous nous sommes retrouvés là. Mais malgré tout, c´est à un rythme de deux représentations journalières que nous avons abordé ce séjour, et il n´en était pas autrement jusqu´à la fin. 

L´hébergement s´est fait dans une école de danse fraîchement acquise par Christophe, donc à dormir tous ensemble par terre, sur des matelas, comme à Montreuil, au gymnase, à la seule différence qu´ici il y avait des voisins névrotiques qui ne supportaient pas le bruit et cela allait être difficilement conciliable avec notre présence. Ce léger handicap mettait un sérieux bémol à notre séjour, qui sans cela se déroulait tranquillement au rythme de nos interventions à la Pleine Lune, des sorties à la plage et des rencontres avec un groupe de jeunes Gitans français (catalans!) de la cité voisine, qui ne nous ont pas lâchés durant tout le séjour. Le premier jour, en nous voyant arriver faire notre production à la terasse où ils étaient assis, ils se sont levés ostensiblement, crâneurs, jouant les gros durs - ils n´allaient pas s´abaisser à regarder un spectacle tsigane... mais dès le lendemain ils étaient là, scotchés, ils ne nous ont plus quittés jusqu´ à notre départ, et encore après, ils n´arrêtent pas de téléphoner en demandant les nouvelles d´Alégria, le nom qu´ils ont donné à Aurélia...

Les représentations à la Pleine Lune étaient des excellentes répétitions grandeur nature, suivies de discothèques qui ravissaient les jeunes et le public, dont les fameux Gitans qui n´ont pas raté un seul de nos spectacles durant tout notre séjour… Nous avons aussi partagé les soirées avec des groupes qui étaient programmés en même temps que nous, et qui tenaient bien la route, comme les chiliens Chico Trouillo, ou le balkano-parisien Ziveli Orchestar... et l´ineffable Fanfare Vagabondu marseillais, qui nous constituaient des partenaires de choix et un bon défi musical à relever. Nous avons fait aussi une intervention impromptue à la Cité gitane, qui a fait son petit  effet. Nos nouveaux potes gitans pourtant nous déconséillaient d´y aller, craignant que cela se passe mal (l´étérnelle négative image de soi-même...), mais tout au contraire, les habitants étaient surpris et ravis de nous voir débarquer à l´improviste chez eux. Pareil pour le directeur de la Salle des Fêtes locale, qui s´est trouvé gêné de ne pas nous avoir programmé. Qu´ à cela ne tienne, il pourra se ratrapper la prochaine fois... Tout cela était quand même très éprouvant, mes nuits ne duraient en moyenne que 3 heures, heureusement que l´équipe de Yepce, avec Johann, Cécile et Mélanie sont rapidement venus en renfort et nous ont donné un sérieux coup de main. 

Donc un bilan plutôt positif en terme d´investissement, d´investigations et aussi de recréation, mais financièrement tout le contraire, les rares entrées d´argent étaient constituées par le chapeau que Christophe faisait passer et ont servies à couvrir frileusement les frais de restauration que nous assurions en grande partie nous mêmes en cuisinant et achetant les denrées alimentaires. Il y avait aussi un budget à assurer en médicaments pour les nombreux bobos qui commençaient à se manifester avec la fatigue, et puis les incontournables achats de chaussures, dont tout le monde est en manque chronique. Le quart des effectifs est pratiquement pieds nus... Heureusement qu´ à la plage ce n´était pas comme à la piscine, aucune tenue n´était de rigueur et tout le monde s´est baigné en slip, jupes, survêtes, etc... et sans chaussures.

 

Le weekend suivant nous avons débarqué à Sainte-Croix, dans les Cévénnes. Toujours aussi bien reçu, logés dans la Salle des Fêtes, tout près d´un ruisseau de montagne avec un trou d´eau qui était génial pour se baigner et se défouler à fond. Grillades, foot, farniente. Le premier soir le spectacle a du être interrompu à cause de la pluie, pareil pour le coucher sous la tente des grands, qui, têtus, sous la direction de Stano, ont planté leur guitoune malgré les gros nuages menaçants, et puis ont du battre en retraite en plein mileu de la nuit au mileu des éclairs et sous les tonnerres. Des émotions garanties... Très inquiet, je les voyais vraiment mal barrés, avec le gros orage les eaux du ruisseau d´acôté pouvaient monter subitement, la foudre tomber, ...mais il y a eu plus de frayeur que de mal. Nous avons improvisé un couchage de fortune pour les filles dans la maison de Christophe dès que ça a commencé à tomber. Une évacuation sur le champ, heureusement qu´il était là, et sa maison, dont il ne se sert plus, aussi. 

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Le deuxième soir nous avons pu quand-même donner tout le spectacle et après une nuit sans tentatives de camping aux éclairs, nous avons repris la route le lendemain. Juste avant de repartir en allant dire au revoir à la troupe de théâtre qui partagait la scène avec nous, il apparaît que c´est une formation qui vient de Rennes, est dans la même démarche que nous, et que tout concorde pour que nous fassions un bout de route ensemble au printemps prochain à Rennes lorsque nous serons en résidence à la MJC de Brequigny, en plein pendant leur festival! Heureusement que l´on soit tous passés par Sainte-Croix-Vallée-Française  pour se rencontrer!

Les Cévennes sont ce qu´elles sont, et les routes pratiquement inpratiquables sont inévitables, nous avons eu de nouveau notre compte d´angoisse en prenant la route de la Barre des Cevennes qui n´a rien à envier aux sentiers de la Cordillère des Andes. Tout cela était filmé, documenté, par un duo de cameramans franco-espagnols fort sympathiques, Maria et Pau, qui nous ont rejoint déjà chez nous en Slovaquie, deux semaines avant le départ, et ont tout pris - les colonies, les préparatifs, les répétitions, etc., en vue d´un documentaire sur Kesaj, un vrai, de 1 heure. Ils filment absolument tout. Pas de problème, pas de censure chez nous, sauf que vers la fin du séjour je m´inquiétais quand-même un peu si le reportage ne va pas consister en une série interminable de gueulantes continues de Helena et moi, n´ayant pas toujours le temps ni la disponibilité de faire dans la dentelle avec notre chère marmaille, élevée dans un environement hyper-sonore, propre à tous les bidonvilles, mais pouvant surprendre un  observateur néophyte... Comme d´habitude, après la première semaine nous étions déjà complètement épuisés. Le rythme soutenu des spectacles, discothèques, déplacements, échanges, découvertes, faisait que nous étions complètement sur les genoux, et les deux jours de transition, sans représentations, allaient nous faire le plus grand bien.

Actualités

 

La Slovaquie fait partie des onze pays invités, cette année, au festival folklorique international. La Depeche du Midi

Le Festival du Rouergue est du CIOFF (Conseil international des organisateurs de festivals folkloriques) pur jus. Des gens très sympas, complètement investis dans leur mission au sein du bénévolat au service des autres. Nous avons retrouvés nos marques, telles que nous les connaissions des années précédentes, cette fois-ci avec Evelyne et Jacky, des accompagnateurs efficaces et dévoués, à notre entier service. Pareil pour la direction, Alain et Raymond ont bataillé pour que l´on vienne au festival, puisque déjà l´année dernière ils étaient prêts à nous recevoir, et ils ont persisté pour que l´on vienne quand-même cet été.

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C´était aussi l´occasion de retrouver Shnurki et Jaro, qui depuis plus de six mois se sont établi tout près, à Decazeville. C´est tout une histoire, qui nous a pas mal perturbée, et dont nous ne connaissons pas encore les aboutissements. Il y a un an, lors de notre tournée de Pâques, lors de l´étape de Decazeville, est apparu un certain Fred, très sympa, se mettant spontanément à notre service et disposition pour les menus problèmes logistiques inhérents à toute tournée, ce qui était plutôt appréciable et utile, d´autant plus que le personnage était avenant, efficace et apprécié de tout le monde pour sa générosité. Rapidement il est devenu fan du groupe, il nous a suivi lors de nos différents déplacements, et est même venu en Slovaquie, découvrir la réalité du quotidien des gosses, et très ému, il a déclaré qu´il a enfin trouvé le sens de sa vie...

Mais je ne savais pas que cela allait prendre de telles proportions. Il a établi des contacts de plus en plus étroits avec le bidonville de Lomnica, est revenu à plusieurs reprises, a commencé à apprendre le romani, en fait il s´est constitué un personnage, ayant soi-disant des ascendants tsiganes avec une grand-mère tsigane imaginaire, etc... Jusque là rien de très dangereux. Des projections, voir des phantasmes, sont le menu courant de beaucoup de personnes et personnages plus ou moins bizarres et fantasmagoriques que nous voyons côtoyer le monde tzigane. D´extérieur, ils se construisent tout un monde parallèle, qui correspond à leur manques et désiratas, mais qui est à mille lieux éloigné de la réalité. Peu importe, surtout dans le milieu artistique ce genre de démarches constituent parfois même le propre du propos artistique. Du moment que cela ne dérange personne, ce n´est pas grave. Et les innombrables prises de positions par rapport au monde tsigane, n´engagent que ceux qui les émettent... Mais notre Fred a voulu passer aux actes en aidant, en sauvant, en mettant sur la bonne voie les autres. Il a proposé aux hommes de la colonie de Lomnica de les faire venir en France et de les faire travailler avec son entreprise de bâtiment. Louable intention. Cela aurait été vraiment formidable. S´il y a une chose dont tout le monde a vraiment besoin, c´est bien le travail. Et qui mieux, qu´un patron d´une boite de bâtiment peut proposer du boulot à des Roms pour les quels la maçonnerie est une seconde nature... Tout le monde était enthousiaste, et moi-même j´encouragais vivement un tel projet. Mais les choses ont vite pris une toute autre tournure. Au lieu de se consacrer au travail et à son entreprise, Fred, au contraire, a tout lâché, sa boite a fermée, il s´est mis à parler le tsigane, à porter un chapeau à la Yul Brunner, il a fait venir Shnurki et Jaro en France, hélas pas pour bosser dans le bâtiment, mais pour monter un groupe de musique tzigane et se produire dans les restaurants. Bien sûr, nos deux jeunes n´en demandent pas plus, et partent au pied levé rejoindre l´Eldorado rêvé et les cachets prisés. Mais en réalité où trouver à Decazeville de quoi exister en faisant de la musique, et encore il faudrait savoir en faire, le bagage musical de nos protagonistes est plutôt modeste. Sans parler que jouer dans une pizza d´un copain une fois tous les 15 jours ne suffit pas à nourrir son homme, et encore moins sa famille. Bref, c´est Fred qui finance tout ça sur ses fonds personnels, et nos deux lascars servent de faire-valoir à ses mirages de musicien tsigane. Jusque là rien de très dramatique, c´est leur vie, et même si ce n´est pas bien vaillant, on ne peux pas leur reprocher d´avoir voulu suivre le bon filon, bien que nous ne sommes pas très heureux qu´ils viennent dans une région où nous nous sommes déja produits a maintes reprises (Festival des Langues - Mescladis), où nous avons nos marques, et leur errance ne va certainement pas amméliorer notre image, tout le monde les associe naturellement à nous, ils profitent de cela à notre dépense. Mais ce sont les retours et les interprétations de cette aventure au pays qui font des ravages. Car bien sûr, c´est un vieux truc de tous les émigrés et expatriés, plus on se porte mal, plus on galère, plus on décrit en termes élogieux aux autres du pays son amère réalité. Donc nous avons des nouvelles comme quoi c´est l´Eldorado, des cachets fabuleux, des concerts somptueux, etc, des photos en costumes blancs avec des guitares (dont il ne savent pas jouer) qui font rêver tous les bidonvilles...mais ce qui d´une manière détournée veut dire aussi que c´est possible de gagner des fortunes avec la musique, et que si les tournées de Kesaj ne rapportent rien, c´est que Helena et Ivan s´en mettent plein les poches... Tout cela est pris pour argent comptant par l´auditoire tsigane, avide d´histoires à dormir debout, à la Bolywood, surtout s´il est question de plein d´argent. Régulièrement nous apprenons que toute la famille va les rejoindre, qu´ils vont habiter une super maison, qu´ils font des cachetons à 3 mille euros... ce qui a pour effet que du jour au lendemain leurs frangins, Matej, Jakub, Domino et Tomas ne viennent plus en répète, croyant qu´ils vont partir le lendemain, mais leur mère est toujours là à me demander qques euro parce qu´ils n´ont rien à manger... et les deux grands frères ne sont pas capables d´envoyer un peu de sous pour remplir la marmite, pour la bonne raison qu´ils n´en ont pas et qu´ils galèrent au fin fond de l´Aveyron tout en racontant comment la vie est belle pour eux. C´est vrai que du moment qu´ils ont de quoi cloper et boire une bière de temps en temps, c´est déjà mieux qu´ à la maison... mais ce n´est vraiment pas dans notre démarche – "la vie, pas la manche", et là c´est plutôt navrant ce qu´il leur arrive...

Les choses se calment peu à peu, mais cela nous laisse un gros goût d´amertume, de voir des jeunes adultes partir sans un mot, pratiquement s´évader, comme si nous voulions les retenir, ce qui n´était absolument pas le cas, nous aurions simplement préféré qu´ils s´en aillent dans des  conditions décentes, pour aller bosser, travailler, comme ça leur a été promis. Et un au revoir fait toujours du bien. Mais il n´y en a pas eu, pas plus que de bonjour, lorsqu´ils sont revenus nous voir au Festival du Rouergue. Ils sont venus avec la femme de Fred, étant fâchés avec lui paraît-il, ils vivent maintenant sous ses ailes, tout cela dans un embroglio de couples faits et défaits qui a l´air plutôt sordide, que nous ne connaissons pas et ne désirons pas connaître. Toujours est-il que Marielle m´a appelée et on se met d´accord pour une rencontre dans le cadre du festival. Dès le premier jour de notre séjour à Rodez ils viennent, juste au moment d´une répétition. Retrouvailles, émotions, sourires, mais pas un mot ni geste envers moi ou Helena. Ignorer la politesse élémentaire par des jeunes que l´on sérieusement épaulés, dont on s´occupe actuellement à temps plein de leurs quatre frères, ça ne la fait pas. Au bout de dix minutes, exaspéré, je leur dis de partir et d´apprendre à dire bonjour aux anciens... Ce n´est pas très finaud, mais je n´ai pas le temps ni loisir de faire dans la dentelle, des perturbations inutiles je n´en ai pas besoin, alors je tranche. Toute cette histoire est un petit conte à dormir debout. Bien sûr, qu´au final cela nous fait de la peine plus qu´autre chose de les voir errer à la merci d´humeurs bizarres de leurs compagnons d´infortune. Mais cela n´excuse pas leur comportement irresponsable, alors on en reste là. Les jours suivants ils reviennent, nous n´allons pas les empêcher de voir leurs frères, mais au final ils ne s´ocuppent pas d´eux, passent juste leur temps à bavarder avec les grands,  à crâner  avec leurs histoires de fric... et n´ont pas de quoi se payer un paquet de clopes. Plutôt triste, mais aussi déstabilisant et surtout navrant de la part d´adultes censés être responsables... je parle de Fred et de son épouse.

 

Sinon le festival s´est parfaitement bien passé. Comme maintes fois lors d´autres événements Cioff, rapidement nous faisons la différence, mais dans le bon sens, tout le monde apprécie la spontanéité, l´énérgie et la joie de vivre des gosses, sans parler du spectacle qui est maintenant parfaitement rodé, et en jette... Les journaux en premier, nous font l´honneur de leurs premières pages. Ainsi le 8 août, le Centre Presse et le Midi Libre nous mettent à la une, et nous avons de splendides photos dans d´autres titres régionaux. Et ce même 8 août Libé aussi, sur sa une, tire une immense photo de Roms de misère avec comme titre: " Roms – Quelles solutions?"

Quelle belle coïncidence! On ne va pas refaire le monde, ni faire danser tous les Roms de France et de Slovaquie mais les solutions - donc les miracles, ce n´est pas la peine de les chercher, il suffit de les faire... ne serait-ce qu´en dansant et en chantant.

 

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Le festival en est à sa 57ème édition, tout est bien rodé, les temps de récupération ne sont pas occultés, les grasses matinées, suites aux rencontres-discothèques hyper-tardives pour ne pas dire matinales, entre les groupes, remettent d´aplomb toute la troupe. Nous arrivons même à récupérer deux tableaux noirs et un gros paquet de craies pour la rentrée par les bons soins d´Alain Pinchon,  directeur du festival, qui est aussi Maire de Pont-de-Sallars et réussit à nous dégoter cela juste le dernier weekend du festival, en plein final.  Juste une frayeur avec une visite nocturne aux urgences suite à des claquettes trop fougueuses ayant pour conséquences une entorse au pouce de Dalibor qui gémit comme s´il avait une triple fracture. C´est vrai que son pouce a l´air un peu tordu, alors à 2 h de mat´on se retrouve à l´hôpital de Rodez. Maintenant j´ai l´habitude des ressentis exagérés de la douleur de nos mômes. Un peu comme sur scène, c´est du hyper intense, émotionel, parfois démonstratif, et l´on croit facilement que la dernière heure du patient a sonné. Donc j´attends avant d´aller chez le médecin, car devant un tel état et une telle souffrance, le pauvre pratiquant français n´aurait d´autre alternative que l´hospitalisation immédiate, voir le bloc opératoire... Cela nous est déjà arrivé plusieurs fois et n´a servi strictement à rien, sinon à des relances infinies de non-payés de nuitées d´hosto. Là, c´est pareil, mais puisque le pouce a l´air bizarre, Dalibor est recroquevillé de douleur, je n´ai pas le choix, on y va quand même. Heureusement qu´il n´y a pas trop de monde, et rapidement la radio écarte tous les soupçons, tout va bien, une attelle pour la forme suffira à calmer les douleurs et les gémissements.

Le fait que cela arrive à Dalibor, un nouveau, n´est pas innocent. Ceux qui sont pour la première fois en tournée, comme lui, sont toujours plus fragilisés. Même s´ils sont avec leurs copains de la colonie, on sent quand même qu´ils sont déstabilisés, se retrouvant pour la première fois en dehors de leur milieu d´origine, de leur environnement familial, qu´ils n´ont jusqu´à maintenant jamais quitté. Nous avons plusieurs cas de primo- participants avec nous. Autant avec ceux de Strane, qui sont sur un niveau social plus élevé, ça se passe tout à fait normalement, ceux de Rakusy, venant de conditions extrêmes, ont manifestement, parfois des états d´âme  qui leurs pèsent. On les voit de temps en temps à l´écart, isolés, visiblement la tête ailleurs. Mais sans plus. Et de la part de Bodka, qui vient d´une famille de 14 frères et soeurs, il ne faut pas s´étonner qu´elle se sente tout à coup un peu seule, même en plein milieu des Kesaj. Mais tout cela aussi, fini à terme par se dissiper, et à la fin on peut constater que tout le monde a pris le plis. Au contraire, pour une fois j´observe avec plaisir qu´enfin, il n´y a pas de problèmes avec ces fameux relants de castes, du moins c´est comme ca que je les analyse. Les groupes de Rakusy, Lomnica, Strane font un bloc, tout le monde communique avec tout le monde, et il n´y a aucun problème majeur à signaler. Même la petite Maria de Rakusy, forte tête, a parfaitement intégrée le groupe, et arrive à communiquer avec moi comme si rien n´était, ce qui n´était pas toujours le cas, avant elle me tirait la langue et s´enfuyait dans la nature... En tout cas c´est elle la nouvelle star. Du haut de ses 12 ans et de sa frimousse blondinette elle attire tous les regards et tous les objectifs. Manifestement, ce n´est pas pour lui déplaire, et elle assume son nouveau rôle aussi bien sur scène qu´en coulisses... Mais Bodka aussi, à la fin, est sortie de son ulite et a intégré le collectif. Pareil pour Tomas, à la fin du séjour il n´y avait plus aucune trace d´agréssivité dans ses relations avec les autres, tout calme, c´est devenu un ado sympa, attentif aux autres – tout le contraire de l´ordinaire. 

 

Les petits ont tous pris du poids. Pour Matej et Kubo c´était carrément une cure d´engraissement, à grand renfort de tartines de Nutela à toute heure de la journée. On a soigné l´autite de Jakub, les dents d´Aurélia, les doigts de pieds de Cyril (il est à espérer qu´ils ne soient pas cassés suite à un coup de pied de Stefan), et une infinité d´autres petits bobos divers et variés. Mon passé d´infirmier-médecin durant les deux années que j´ai passé à l´équivalant de la Légion étrangère de l´armée tchécoslovaque m´est fort utile pour tous les pansements, cachets et surtout diagnostiques exprès sur le champ... A Montpellier je suis assisté par Laurent, un féru des huiles essentielles, qui monte vite une officine improvisée en haut du bar, ouverte tous les jours à partir de 1 heure de mat´. Mais il faut passer aux antibiotiques, et c´est le festival du Rouergue qui prend la relève pour venir à bout des cas plus coriaces. Babovka s´est fait même mordre par un poisson... mais ça en est resté juste à une intervention des secouristes de la plage de Palavas. Justement, dès notre première sortie à Palavas, au milieu d´une foule de dizaines de milliers de baigneurs, je vois Matej et les autres marmots jouer avec un petit gars de trois ans, et il se trouve que c´était le fils d´un des musiciens gitans avec les quels on devait jouer le premier jour. Il était là avec sa mère et ses soeurs, et on est tombé juste sur eux au milieu de la marrée humaine des vacanciers. Enfin, Matej est tombé sur eux... Au niveau de l´intendence cela se passe aussi bien. Dusan est là avec sa femme, Veronika, qui prend  part naturellement à tous les préparatifs de nourriture, avec les grandes filles. Stano assure avec Stefan du côté des costumes et Cyril a la charge des temps de recrées sportifs et les sorties nocturnes. Le festival passe vite. Il n´y a pas vraiment le temps de tisser des liens plus étroits avec les autres groupes. Il faut dire aussi, qu´à la différence des autres années, cette fois-ci il n´y a pas de sympathie débordantes manifestes, comme ce fut le cas avec des Martiniquais, Chiliens, Russes, Espagnols, et j´en passe, au cours de nos festivals antérieurs. Les groupes que nous côtoyons cette année sont un peu distants, les Américains des USA se plaignent même que des gosses viennent dans leurs chambres, alors que l´on ne les quitte pas des yeux, et que, finalement, nous ne sommes pratiquement pas présents sur le site, étant toujours en déplacements pour les spectacles. Mais il n´y a pas de mal, et nous quittons Rodez avec un très bon souvenir.

 

Direction Ouest, Sud-ouest. Nous filons vers la côte atlantique pour rejoindre  Capbreton, où  nous devons passer la dernière semaine de la tournée. Nous avons pris un peu de retard et nous voudrions nous arrêter encore vite fait à Lourdes, qui sont pratiquement sur notre trajet. Je passe un coup de fil à Michel de l´Association des Gadjés et Voyageurs de Boucau qui est notre partenaire sur place pour l´avertir que nous aurons un peu de retard, au lieu d´arriver à 18h comme prévu, je pense que nous serons là vers les 21h. C´est là qu´il me répond qu´on a tout notre temps, puisqu´ils nous attendent que jeudi – et nous sommes lundi! Le choc! Que faire? Dès le début de nos mises au point, il était question que l´on puisse venir de sorte à enchaîner directement sur le Festival du Rouergue qui finit le 12 août, donc venir à partir du 13. Ok, pas de problème, les spectacles sont prévus qu´à partir du 16, mais nous pouvons venir déjà le 13, comme ça on se prendra un peu de repos et nous pourrons nous consacrer aux ateliers avec les jeunes du terrain des Gens du Voyage que nous avons rencontrés l´année dernière, et que nous voulons revoir de nouveau. C´est comme ça que c´était prévu. Et là, je tombe des nues en apprenant que nous sommes attendus que jeudi. Il y a quelques jours, en plein festival, Michel m´a appelé pour me dire que le spectacle du jeudi était supprimé, ce qui ne nous arrangait pas, car cela faisait un cachet important en moins, et il n´y en avait pas tant que cela.... mais j´étais dans l´idée que le reste était comme convenu, que la prise en charge était assurée à partir du lundi. Sans doute en plein dans l´action au moment du coup de fil de Michel je n´ai pas bien saisi ce qu´il me racontait...

Et je me retrouve donc ce lundi 13 août, vers les 16 heures, ayant fait déjà pratiquement la moitié du trajet en direction du Capbreton, à apprendre que ce n´est pas la peine de continuer, il n´y a pas où  aller... Que faire? Dans le bus tout le monde dort, épuisés par le festival que nous venons de quitter. Si j´avais su un peu plus tôt que ce changement survenait, en quittant le festival du Rouergue, on serait certainement rentrés tout de suite sans hésiter directement au pays. Après deux semaines de tournée, fatigués, sans argent, rentrer une semaine plus tôt ne nous aurait vraiment pas déplu. Mais là, nous nous sommes déjà engagé au moins 4 heures en direction de l´ouest, rebrousser chemin voudrait dire de nouveau des heures de conduite supplémentaires, la Slovaquie était encore loin, très loin de Tarbes où  nous nous trouvions... Helene dort, je dois prendre une décision. Si je la réveille, c´est sûr, on fait demi-tour. J´essaie de rester calme, raisonner. Rentrer, c´est ce que, épuisé, je désirerais aussi. Mais ce serait supprimer l´étape de l´océan. Et je savais que l´hébergement allait être comme l´année dernière, superbe. Dans une colo de l´EDF, on se serait cru dans un quatre étoiles. Après tous ces bivouacs et autres solutions de fortune à dormir sur des matelas ou tatamis, je ne voudrais pas que les gosses ratent cela. Et puis je sais que nous sommes attendus sur l´aire des Gens de Voyage, et je sais que malgré cette ratée, tout le monde a fait au mieux... Mais que faire, où aller? Je rappelle Michel, lui explique le topo, il dit qu´il va chercher une solution, appeler tout le monde... La même situation que l´année dernière se reproduit. Nous nous sommes retrouvés exactement dans le même cas de figure lors de notre tournée de Pâques, avec un désistement de Michel en pleine tournée, qui finalement s´est résolu avec une prise en charge, mais le spectacle qui était prévu était supprimé, et le cachet avec, ce qui nous a fait un sacré manque à gagner. Et là, exactement la même chose. Je téléphone à qui je peux, je laisse des messages aux amis qui ont accès à l´internet pour qu´ils essaient de me dénicher un hébergement dans le coin. Nous sommes le 13 août, le 15 a lieu le pèlerinage annuel à Lourdes, autant dire qu´il n´y a pas beaucoup de chances de notre côté. C´est une situation totalement surréaliste. Le car file à toute allure en direction de l´ouest. La Conquête de l´Ouest! On ne sait pas où on va ni ce qui nous attend. On est 40. Il faudra manger et dormir quelque part ce soir.

Il faut bien s´arrêter pour une pause-pipi. Nous roulons depuis midi, il est 17 h, on se pose sur une aire d´autoroute. J´apprends la nouvelle à Helene. Elle veut rentrer. J´attends encore des coups de fil de Michel et des amis qui sont sur le net. Michel aura plus de précisions que le lendemain. Cécile me donne une adresse d´un Formule1 près de Tarbes. Nous pourrions faire une nuit dans le car, mais que faire pendant les 3 jours qui nous restent à couvrir? On décide d ´aller voir quand-même ce F1, et on verra après. Je crains que ce soit déjà tout vu. A cette date il y très peu de probabilité de trouver de la place. Avec le pépérinage tout est blindé. On trouve l´hôtel, plein de voitures autour. Ils ont 4 chambres libres. Pour 40, c´est un peu juste... Ils me conseillent, sans grand espoir, un motorest prés d´une bretelle d´autoroute. On y va. Ça ne paie pas de mine. J´y vais, tout seul. La gérante dit d´emblée qu´il n´y a aucune chance, mais j´y vais à l´émotion... trente gosses, le coup fourré... et ça marche. On arrive à se mettre d´accord sur une dizaine de chambres, elle nous fait même un prix. C´est bon. Les chambres sont plutôt coquettes, en tout cas beaucoup mieux que les sièges du bus dont nous avons notre compte... On a pas le temps de faire le deuil de nos finances, l´essentiel est d´avoir où dormir et avoir de quoi le payer. On improvise un repas à base de soupes chinoises en sachet à 15 centimes et tout le monde au lit. Le lendemain Michel m´apprend qu´ils ne peuvent nous prendre qu´ à partir du mercredi. Donc encore une nuit à caser. On est trop bien là où nous sommes et de toute façon  il n´y a pas où aller. Alors de nouveau je vais voir la gérante et on se met d´accord encore sur une nuit. Je sentais bien qu´au début, en nous voyant débarquer, ils étaient plutôt inquiets, mais malgré toutes les apparences nous sommes un groupe plutôt bien organisé, rodé, et les craintes se sont dissipées. 

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Nous partons pour Lourdes, que nous connaissons déjà de l´année dernière, mais qui est un point fort de notre parcours. Je réussis à joindre Lisette, le contact du CCFD sur place, et nous nous mettons d´accord pour une rencontre au siège le lendemain. En rentrant, près de notre hôtel, sous la rocade, on se tape un super match de foot jusque tard dans la nuit, on a  arrêté que quand on ne voyait vraiment plus le ballon. Le 15 août, c´est le pèlerinage annuel, et le 16 c´est celui des Gens du Voyage. Nous arrivons pour 15 heures, il n´y a pas trop de monde, nous atteignons sans difficultés le siège du Ccfd, où nous attend une bonne collation et un groupe sympathique de bénévoles pour les quels nous improvisons volontiers un petit concert. En repartant nous faisons de même pour un groupe de Manouches français qui sont garés avec leurs caravanes sur un parking, on rencontre même des vielles connaissances. Et nous repartons enfin en direction de ce Capbreton tant espéré.

 

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Sur le chemin nous apprenons que les locaux de la colo de vacances du Capbreton ne seront disponibles que le lendemain et que ce soir nous dormirons dans un dojo de Boucau. Un repas doit nous attendre, mais il n´en est rien, encore un malentendu. Alors l´adjointe à la Mairie, Monique, prend énergiquement les choses en main. Il faut faire manger les gosses, donc elle commande une quarantaine de McDo et le tour est joué. Nous allons voir les lieux d´hébérgement, le dojo de Boucau. En fait il y a le dojo et la salle de boxe. Entièrement équipée. J´imagine ce que ça fera avec les gars. On mettra alors les filles dans la salle de boxe, elles vont dormir carrément dans le ring, et les garçons seront sur les tatamis du dojo. Vers minuit tout le monde gagne ses quartiers et il n´est pas dans mon pouvoir d´empêcher un méga match spontané de catch géant, toutes catégories et styles confondus... En effet, la vue de tout cet équipement a eu carrément pour effet un délire collectif sur toute notre fine équipe, et en un clin d´oeil tous se sont accoutrés, les filles autant que les garçons, de gants de boxe, de casques, de maillots, shorts, pour se lancer dans un combat euphorique de tous contre tous. C´était un tsunami d´énérgie à la quelle je n´avais vraiment pas la force de m´opposer. Quarante gamins, ados, garçons, filles, Matej et Maria en tête, dans une extase totale sur le tatamis du dojo de Boucau à 1 h de matin. Bruce Lee aurait été heureux. Moi, j´étais heureux qu´il n´y ait pas eu de blessés et que nous n´avons pas eu à faire la connaissance de l´équipe des urgences de service ce soir... Vers 2 heures tout le monde au lit, donc au tatami et au ring et un petit somme en attendant enfin cette colo EDF de tous les espoirs.

 

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Nous atteignons enfin notre nouvel lieu d´hébergement en début d´après-midi. C´est parfait. Magnifique. Des locaux superbes, à deux pas de l´océan. D´ailleurs nous y allons tout de suite, impatients de faire trempette dans la grande bleue. Mais c´est un drapeau rouge qui flotte sur la plage, et les énormes vagues qui déferlent avec un bruit assourdissant ne laissent aucun doute quand au bien fondé de l´interdiction de baignade. Il n´est pas question de se risquer à tremper un doigt de pied dans l´océan sans risquer le pire. Les maîtres-nageurs nous mettent vite au parfum, la saison est particulièrement dangereuse, toutes les semaines il y a des noyés, il est hors question que nous nous y aventurions avec les petits. Alors on regarde un bon moment les déferlantes et puis nous regagnons la colo. Il faut de nouveau improviser un repas, car nous sommes seulement hébergés, les cuistos auraient été trop chers, nous serons nourris à midi à Boucau et le soir nous nous débrouillerons tout seuls. Bien que fatigués, nous partons après un repas frugal sur le terrain des Voyageurs où nous sommes déjà passés avec tant de succès l´année dernière. Cette fois-ci nous avons mis des costumes et c´est en grande pompe que nous investissons l´Aire de stationnement des Gens du Voyage de Boucau. L´effet ne tarde pas à se faire attendre. Au fur et à mesure que nous descendons et déambulons dans le camp en chantant, les Manouches sortent de leurs caravanes et se joignent à nous et nous arrivons au même endroit au milieu du camp comme la dernière fois, avec un bel attroupement de spectateurs enthousiastes... Tout se passe très bien, juste un gars légèrement illuminé se joint d´emblé à nous en invoquant Jésus à tout va en dansant, ou plutôt en essayant de danser en plein milieu de nos danseuses. Il n´est pas question de le maîtriser, il n´est pas maîtrisable, il est en pleine extase, alors on fait avec, et c´est pas plus mal, avec nos nouveaux chants sacrés on est plein dedans... Donc en fin de compte on le maîtrise quand-même, on en fait notre soliste, mais on préfère ne pas trop s´éterniser, les extases, on sait comment ça commence, mais on ne sait jamais comment ça finit... Alors au mieux de notre nouveau spectacle semi-mystique nous battons gentiment en retraite et nous regagnons le bus, toujours accompagnés par la presque totalité du camp.

 

Le lendemain matin le drapeau rouge est toujours de rigueur au Capbreton et il n´est pas question de se baigner. Mais ce serait malheureux de ne pas goûter l´océan, surtout après avoir fait autant de km pour venir. Les filles du camp nous ont rejoint avec une éducatrice de l´assoc, elles connaissent un endroit un peu plus calme, à l´ecart entre deux digues, alors nous tentons le tout pour le tout et on y va. La canicule est à son comble, il fait pas loin de 40, il faut que l´on se mette à l´eau, où que ce soit. Heureusement que l´endroit est un peu plus abordable que les plages du Capbreton. La digue sert de rempart, et les vagues, bien qu´impréssionantes, sont quand même pratiquables, à condition de rester que tout au bord et ne pas s´aventurer un mètre de plus. Gros risque avec toute cette marmaille avide de sensations fortes! Alors nous employons les grands moyens. Mobilisation et discipline absolue. Aucun écart n´est envisageable. Stano aura les filles, Dusan les petits et moi les ados. Tous les trois on servira de rempart et personne ne pourra nous dépasser. La plage n´est pas surveillée, les vagues sont quand même imposantes et pourraient facilement entraîner un gosse au large. Je suis sur mes gardes maximales, Helene est là aussi, je crie sans arrêt sur les grands pour qu´ils surveillent les petits. Mais tout le monde veille au grain et nous passons des moments inoubliables. 

 

Nous partons parce que l´on ne peut pas faire autrement. Il faut que l´on repasse encore par la colo avant le spectacle du soir. A ce stade la de la tournée, et même depuis une bonne semaine, je suis dans un état létargiquo - explosif, ce qui veut dire qu´étant donné le degré de fatigue accumulée, soit je suis à fond dans l´action dynamique, je joue, dirige, surveille, invective, cherche des solutions, bref je carbure à 200%, ou alors à la moindre occasion je tombe de fatigue, et même sans dormir je m´allonge et ferme les yeux n´importe où à n´importe quel moment dès que c´est possible. Les nombreux trajets entre Boucau et le Capbreton sont propices pour ce genre d´apnée. Le soir nous filons à St. Martin de Seignanx où nous découvrons une superbe scène avec une sono d´enfer. Mais ce n´est pas pour nous. Tout cela est destiné au groupe qui va assurer le spectacle de la soirée, nous on fait la première partie sur le bitume, devant la buvette. C´était déjà pas mal, nous étions heureux qu´une si petite commune prenne le risque de nous programmer. N´empêche que cela aurait été sympa de pouvoir utiliser quelques micros, mais la réponse du responsable du groupe est catégorique: 200 eu l´heure... on n´insiste pas et on fait à l´acoustique. Cela ne nous empêche pas d´envoyer une bonne énergie, et de participer et animer au maximum la soirée qui sans nous aurait été bien calme...malgré les décibels  dont disposent les gars sur scène.

Le lendemain nous ratons une prestation sur le marché. Nous nous sommes mal compris, on arrive à midi pile, mais il n´y a plus personne, c´est un marché qui finit à midi... C´est dommage, mais nous ne serions pas capables de venir à 10 heures comme l´auraient souhaité les organisateurs, donc c´est un coup de grâce qui est tombé à pile point. Nous proposons de passer en bas des bâtiments dans deux cités pour faire de la pub pour le spectacle du soir. On s´exécute, mais visiblement il n´y a personne à apostropher, les cités sont vides comme il se doit un samedi à midi, et on préfère filer droit à la maison de retraite pour une petite animation. Là, il y a du monde, et on fait ce qu´il y a à faire, suivis cette fois-ci par la caméra d´une télé locale, maniée par une petite jeune venue nous rejoindre pour consigner cette dernière journée. C´est dans des moments pareils que l´on peut mesurer le degré de professionnalisme de toute la troupe. Et en plus ils ne s´en rendent même pas compte! Je m´explique. Tout le monde est fatigué, c´est le dernier jour de la tournée, un spectacle nous attend le soir et ensuite directement le trajet de retour. Il va sans dire que les deux interventions dans les cités n´ont servies à rien, et l´animation dans la maison de retraite n´est pas non plus ce qu´il y a de plus folichon. Mais on fait les prestations avec toute la fougue, l´engouement et l´énérgie qui caractérisent notre groupe. Epuisés, éreintés, affamés, mais sérieux dans la production, ne se laissant aller à aucune concession. En rentrant chez nous je découvre sur Google le reportage fait par la journaliste. Il est super! Un des meilleurs que l´n´ait jamais eus. Tout y est. Les moments forts, les sourires des gosses, les sourires des vieux, les infirmières  enthousiastes. Décidément, la journaliste est douée.  Heureusement que l´on a fait comme d´habitude. A fond...

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On n´a plus le temps de repasser sur la plage comme nous l´aurions souhaité, on rentre à la colo, un bon coup de propre, on charge le bus et nous filons à Boucau, où nous devons donner un spectacle devant la Mairie. Pareil, juste le bitume d´un terrain de basket nous tient lieu de scène. Il n´y a pas trop de monde, deux micros en guise de sono, le soleil couchant comme projo... On lance la machine. Malgré mes défaillances visuelles relatives à mon âge... je discerne sous les pieds nus des filles des bouts de verre des bouteilles de bière cassées, et je réussis à les ramasser avant que Janka saute dessus. Un bon spectacle, digne de la dernière soirée. Nos filles manouches sont là , et aussi d´autres spectateurs enthousiastes qui ont fait le déplacement, et qui, visiblement ne le regrettent pas. Nous non plus, on en remet, jusqu´à ce que notre lumière, le soleil commence à se coucher et marque la fin de notre prestation. Parmi les spectateurs, un Manouche du terrain nous propose de passer prendre 10 cartons de vêtements et de chaussures. Super, c´est exactement ce qu´il nous faut avant de rentrer. Malgré les emplettes régulières nous n´arrivons toujours pas à satisfaire les besoins vestimentaires et surtout en chaussures de nos troupe, donc c´est une aubaine et nous nous arrêtons encore sur le terrain des Gens du Voyage. Le temps que l´on charge les caisses de nouveau un attroupement se fait devant notre bus. Chansons, chants, larmes et adieux....et direction la Slovaquie! Nous quittons Michel qui n´arrive pratiquement plus à bouger à cause de ses douleurs de dos, Monique de la Mairie souriante mais aussi épuisée après toutes ces journées à tout organiser pour que tout soit au mieux, bref une équipe qui s´est mise en quatre pour que notre séjour soit le meilleur possible. Nous emportons un superbe tableau fait par un Gitan représentant une danseuse gitane et des musicos sur une terrasse quelque part dans le Sud... on dirait une scène de chez nous. On l´accrochera dans notre école... Cela aurait pu être aussi bien une école manouche ou gitane. Il se trouve qu´elle est tsigane. Manifestement, c´est du pareil au même. En tout cas nous en avons tous fait l´expérience lors de ces jours passés entre l´Océan et la Méditerranée, la Côte d´Azur et les plages de l´Atlantique.

 

Le retour est pareil que l´aller. Le GPS polonais toujours aussi performant. Au lieu d´être à Vicenza,  en Italie, où  Andrea nous assure une restauration et une pause, à midi, nous y sommes qu´à dix heures du soir. Heureusement, nos hôtes sont patients, nous attendent, nous recoivent, on avale le repas, on regrette le retard qui nous prive de la piscine et nous partons chercher un endroit où se garer pour passer la nuit dans le bus à l´arrêt, celui-ci n´a plus le droit de rouler, ayant dépassé ses temps de conduite. Le lendemain de nouveau toute la journée dans le bus, et on constate que nos chauffeurs ne sont pas doués qu´à ´international, ils arrivent à se paumer aussi en Slovaquie, et au lieu d´arriver en fin de journée, ce n´est que le matin que nous arrivons enfin à bon port, à Kezmarok. Nous avons quitté Boucau samedi soir, nous sommes mardi matin. Une sacrée virée. Normalement il faudrait reprendre la route vers midi pour se rendre en Ukraine, comme c´était convenu avec nos partenaires hongrois dans le cadre des projets d´échanges de jeunes aux quels nous avons pris part ces derniers mois. Il va sans dire qu´il n´en est pas question. Je ne suis absolument pas en état de conduire et surtout de prendre la responsabilité d´un tel trajet avec des passagers. Ces fameux échanges, nous sommes tombés dessus tout à fait par hasard. Nous avons remplacé au pied levé des partenaires slovaques tsiganes hongrois qui se sont désistés à la derniére minute (il n´y a aucune  rémunération), et depuis quatre mois, à raison de une ou deux sorties par mois nous fournissons des participants aux projets européens centrés sur des Roms, qui manifestement, peinent à remplir les contingents. Ça fait des sorties pour nos jeunes, et le fait qu´ à part se restaurer, cela ne sert pas à grand-chose, dans le sens des énoncés ambitieux de fraternité, échanges, sauvetage, intégration, etc., des Roms, qui caractérisent ce genre de schmilblick européens, ne nous inquiète pas plus que ça. Ça fait exactement vingt ans que ce genre de plaisanteries fonctionnent, au début nous avons pris part à quelque unes, Helene dispose d´une belle colection de diplômes de formations européennes diverses (intégration, résolution des conflits, écriture de projets, etc), mais rapidement on a compris, et nous avons laissé ce domaine à d´autres, nous, on a autre chose à faire... Donc nous avons découvert ainsi des partenaires hongrois, polonais, roumains, turques, serbes, macédoniens, tchèques, ukrainiens et même allemands, tous unis dans le même objectif salutaire d´oeuvrer à l´intégration de cette population tsigane de par le vaste monde, toujours récalcitrante à ces salutaires desseins, et ce, malgré les efforts louables fournis par des hordes d´experts assermentés lors des conférences, colloques et symposiums aux quatre coins de notre chère Europe. Mais mes propos traduisent certainement aussi un désenchantement et désillusion face à des réalités que nous n´arrivons pas à maîtriser. Il faut reconnaître honnêtement que nos partenaires sont pleins de bonne volonté, et sans aucun doute ont encore tous leurs espoirs, pour ne pas dire illusions, sur le bon fonctionnement des institutions européennes – la preuve, ça marche, nous sommes tous là à parler pour ne pas forcément dire grand chose, mais peu importe, c´est comme ça que ça fonctionne en Europe! En réalité on se retrouve dans des espèces de colos de vacances un peu improvisées, dans les quelles dans le meilleur des cas on prend l´initiative et on apprend à tout le monde à danser kesaj et ça se passe plutôt bien, ou, dans l´autre alternative, on assiste à des séances interminables de lecture des traités européens, dans un anglais yaourt, à la façon des mezuins, qui sont des véritables supplices pour tous les participants et qui ne servent strictement à rien, tout cela est accessible sur le net, et tout le monde le sait bien. En l´espace des quatre derniers mois nous avons eu ainsi l´occasion de symposier en Serbie, Pologne, Hongrie, Allemagne et même Ukraine. Il y a eu qques moments de détresse, lorsque nous étions complétement perdus en plein  délire dialectique ambiant au cours d´interminables monologues savants sur l´"Art de dompter et d´intégrer les Roms", mais dans la plupart des cas c´était plutôt sympa, nos jeunes sont des pros de l´animation, on a réussi à passer au volet "identité culturelle"et cela c´est bien passé. 

Sauf en Allemagne, dans un petit patelin, les organisateurs n´avaient prévu rien d´autre que la lecture sur fond d´écran, et au bout de deux jours pour ne pas devenir fous nous nous sommes débrouillés pour organiser un spectacle pour des gosses d´une école allemande qui partageait le même hôtel que nous et pour sypathiser avec des Roms kosovars que nous avons rencontrés dans la rue. Donc nous avons réalisé ce dont tous parlaient sèchement pendant ces cinq jours  échanges, découverte, valorisation, etc., sans se douter que ces idées pouvaient aussi prendre une  tournure concrète, comme nous l´avons prouvé, et cela sans aucun financement ni préparation ni écriture ni évaluation, etc...

J´envoie un message à Šandor, notre partenaire hongrois, comme quoi je ne suis pas en état de reprendre la route immédiatement, et s'il pouvait se passer de nous en Ukraine, ça serait pas plus mal. Aucune réponse. Parfait, épuisé, complétement vidé, je n´ai pas plus envie y aller demain qu´aujourd´hui. Mais le lendemain, à 10h, je reçois  quand-même sa réponse, me demandant de venir coûte que coûte, de notre présence dépend le succès de la manifestation... Bon, c´est reparti! Vite, réunir les 6 irréductibles, en l´occurence Stano, Janka, Maria, Tomas, Domino et Duško, et on est de nouveau sur la route. Cette fois-ci avec notre Dacia et moi au volant. Il est quand même 13 heures et quelques lorsque nous quittons enfin Kezmarok. Et encore, il faut revenir chercher le passeport que Duško a oublié et acheter un pantalon parce que je n´ai pas eu le temps d´en prendre un à la maison et je ne voudrais me présenter au public ukrainien en short, sachant qu´ils sont encore assez vieux-jeu de ce côté de la frontière.  Mon GPS indique 4h de route, mais manifestement il est du même acabit que celui de nos chauffeurs, et à 17h, alors que je pensais être déjà sur place, nous ne sommes en fait qu´à la frontière, au fameux passage de Vyšné Nemecké, le seul point frontalier entre l´Ukraine et la Slovaquie, tristement célèbre pour ses temps d´attentes interminables, pouvant atteindre des journées entières. Cette frontière est entourée de tout un aura quasi mystique d´histoires incroyables, de légendes de trafiquants, de douaniers corrompus... et c´est loin d´être que de la pure imagination, il y a quelques jours on a découvert carrément un tunnel creusé sous la frontière, et l´année dernière un commando d´intervention spécial du Ministère de l´intérieur a du intervenir pour occuper manu-militari ce poste et mettre sous les verrous illico les vingt douaniers en service... Donc ce n´est pas sans une certaine appréhension que nous nous mettons dans la file d´attente que constituent les voitures devant le check-point. Heureusement il n´y en a pas trop, et nous fondons des espoirs que ce ne sera que l´affaire de qques dizaines de minutes. A la frontière le temps s´est arrêté. Au figuré, comme au propre. On se croirait 40 ans  en arrière, au bon vieux temps du rideau de fer, et dans le présent, visiblement le temps n´avait pas plus d´importance pour les douaniers qui s´affairent au ralenti, à la mode des lémuriens... Néanmoins, au bout d´une bonne heure, après les brimades d´usage, obéissantes sans doute au culte de la conservation d´un folklore d´antan, nous réussissons à passer le poste slovaque. Reste encore les Ukrainiens. Rebelote. Pour vérifier le numéro du moteur le gars en service crache sur son pouce, essuie l´endroit en question et compare avec ma carte grise. Comme rempart cotre le trafique des voitures volées dans toute l´Europe c´est parfait. Et tout compte fait, assez sympathique et pas trop inquiétant, que l´on ait une voiture volée ou non... La bonne surprise, c´est qu´ils parlent tous russe, et se soucient bien peu de l´ukrainien, à la différence de leurs députés qui se sont mis, il y pas longtemps, plein la figure en pleine session parlementaire, et ce sous les caméras du monde entier, à cause d´une loi voulant égaliser les deux langues au niveau national... Nos interlocuteurs n´ ont manifestement rien à cirer de la loi sur les langues, et dans un russe usuel autant que habituel, ils nous laissent enfin entrer sur le territoire de l´ancienne République Socialiste Soviétique  de Ukraine, Ukrajina d´aujourd´hui. Tout de suite nous sommes apostrophés par un Rom trafiquant de devises pour nous proposer  du change. Je n´ai aucune idée du cours officiel ou officieux, j´aurais préféré passer par un bureau de chage officiel, je demande aux employés où  je pourrais en trouver un. Ils me montrent le brave tsigane, avec sa grosse liaisse de billets à la main – c´est lui le bureau de change. On a pas le choix, on a besoin de hryvni, alors je change quelques 20 eu sous son oeil méprisant de me voir aussi peu dépensier. Il s´adoucit un peu en voyant les autres, et passe même au romanés, mais ce n´est pas ca qui le ferait baisser son taux de change... Nous devons filer, car il nous reste encore une centaine de km à faire, et les routes ukrainiennes ne sont pas consignées dans mon GPS. Sandor nous appelle, inquiet, cela fait au moins deux heures que l´on aurait dû  être sur place et animer ce fameux festival tsigane, au quel j´imagine rien ne manque - à part les Tsiganes.

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Nous arrivons enfin, vers les 20h30, tout de suite on se change dans la voiture et il faut attaquer, bientôt il fera nuit et il n´y a pas d´éclairage. Il n´y a pas que les lumières qui manquaient! Visiblement, ou plutôt à l´aveuglette, car la nuit venait de tomber et on n´y voyait plus rien, nous avons réussi à effectuer un voyage dans le temps à la Jules Verne, en reculant allègrement d´une bonne quarantaine d´années. Nous nous trouvions en plein milieu d´un luna-park qui a du vivre ses beaux jours sous Brejnev, et depuis, il n´a pas bougé d´un pouce, est resté conservé tel quel, ...à l´abandon complet. La perestroika, il ne connait pas. Heureusement il fait nuit, et ce n´est que le lendemain matin que nous découvrons les splendeurs quasi archéologiques de l´endroit. Mais là, point n´est le temps aux distractions touristiques et considérations historiques, il faut jouer, et tout de suite, cela fait 4 heures que tout le monde nous attend. Nous sommes surtout ardemment désirés par nos partenaires qui doivent clore ce fameux festival par nous avant de pouvoir enfin rentrer à la maison. Pour clore, il faut d´abord innaugurer, alors sans hésiter nous nous lançons en direction de ce qui est supposé être une scène, et à tâtons nous montons dessus. Il y a pas mal de monde, assez excité, les organisateurs les calment en leur racontant en hongrois que les stars tsiganes slovaques sont enfin arrivés, on y verra que dalle car il fait nuit, il y a pas de lumière, mais c´est pas grave, tout le monde est impatient, et juste le temps qu´un ange passe, - il fallait trouver en urgence une rallonge pour brancher le sinthé, ce qui était loin d´etre évident, mais le miracle s´est produit, notre hôte, un ancien capitaine de l´armée soviétique, regrettant la dissolution de l´empire, mais n´en étant pas moins efficace pour cela, a réussi à dégoter un rouleau de 100 mètres de câble qui suffit amplement pour brancher le sinthé dans la prise électrique, distante de qques 3 mètres. On commence. A fond. Nous discernons à peine le public. Il y a une masse compacte, enthousiaste et coopérative selon toute sinon apparence, on les voit pas, donc selon toute présentence. Visiblement nous sommes tous sur la même longueur d´onde, et c´est dans une bonne et saine ambiance d´un concert hard-rock-rom que nous affrontons le publique tsigane ukrainien hongrois. Heureusement que tous parlent le russe, et manifestement sont fadas de la musique tsigane russe. Et pour cause, c'est tous des tsiganes russes... On y voit rien, c´est pas grave, ça chauffe, au bout d´un moment quelqu´un, sans doute notre pote capitaine du KGB, a la bonne idée de diriger les phares de sa bagnole (Ziguli, bien-sûr) sur nous. Ça éclaire juste les pieds, mais c´est mieux que les portables avec les quels nous illuminaient les spectateurs en délire jusqu´à maintenant. J´essaie d´expliquer à un des organisateurs qui ne parle que le hongrois que ce serait bien si une petite fille de l´assistance montait sur scène pour danser avec nous. Il ne pige rien du tout. Ce n´est pas grave. Juste à ce moment il y a un gars qui réussit à escalader la scène et se se met à danser avec nous comme un dieu. On lui fait la place illico, il est suivi par des  mamies qui dansent tout aussi bien, ensuite des gosses, puis les vieux, les couples, même  les bébés, bref tout le monde veut monter en haut et ils y arrivent... A ce moment on apporte un projo récupéré sans doute d´une batterie antiaérienne du temps de Chroushtchev. On le balance au dessus du filet en acier qui flotte au dessus de nos têtes. Nous sommes tous dans une espèce de cage géante, le lendemain j´ai compris que nous étions en fait sur une ancienne piste d´auto-tamponneuses, donc il y a au dessus de nos têtes le filet électrique, mais hors d´usage depuis belle-lurette. Heureusement les maillons tiennent sous le projo, et même sous le poids du gars, qui à la spider-man, grimpe là haut pour braquer le projecteur sur nous. Enfin sous les feux de la rampe! Là on ne peut pas se plaindre du manque de lumière, nous sommes comme sur une table d´opération, et nous constatons que la majorité du public est à nos côtés à danser à fond la caisse, comme des vrais tsiganes russes hongrois ukrainiens post-soviétiques qu'ils étaient. C´était super. Il n´y avait aucune agréssivité ni rivalité. Le super danseur est tout modeste, pas du tout prétentieux, un vrai komsomol du disco tzigane. 

Avec Jana il réussi des prouesses coréographiques improvisées inouies. On voudrait ne pas partir. Ils ne veulent pas qu´on parte. On fait tous des photos avec nos portables, on réussira s´expliquer qu´ils sont des deux camps voisins, on s´en serait douté, ils sont pareils à l´identique  aux nôtres... Mais il faut bien s´arrêter. Notre copain post-aparatchik  récupère son câble  et nous conduit à la buvette où un excellent repas nous attend. Au menu, sarmélé, il ne faut pas oublier que nous sommes à deux pas de la frontière roumaine, ou plus exactement à l´intercession des frontières roumaine, hongroise et ukrainienne. Dieu reconnaitra les siens. A l´intérieur de la salle ça  commence à chauffer. Les public est en grande partie là aussi. Mais trés révérencieux, malgré leur état passablement éméché et enthousiaste, il ne viendrait à l´idée de personne de nous importuner. Nous sommes à table avec le capitaine, on apprend que c´est aussi l´ancien Maire de la bourgade et tous lui manifestent le respect qu´il se doit. Ce qui n´empêche pas que la musique disco tsigane qui rugit des enceintes fait son effet, le parquet se remplit rapidement et tous s´éclatent comme sur une bonne discothèque tsigane de chez nous. Et que de la bonne disco, tsigane, bien balancée. Je suis heureux de constater que tous les Tsiganes russes ne sont pas talibanisés par Romen, et qu´il y a tout un répertoire splendide, riche, vivant, populaire, qui n´est pas confiné aux seules quelques chansons du classique Romen que les artistes reconnus n´arrêtent pas de nous rabâcher depuis 1917 (le Theatre Romen a été crée peu après  la Révolution d´Octobre… et n´a pas trop bougé au niveau du répertoire depuis…).

 

 

Normalement nous aurions du dormir sur place la nuit précédente, ce soir ce n´était pas prévu, mais on trouve vite une solution de repli à la maison du curé, et c´est bien reposés que nous prenons le chemin du retour le lendemain. Pour éviter notre fameux passage ukraino-slovaque, nous passons par la frontière hongro-ukrainienne. Mais on ne perd rien au change. L´officier de service, un petit jeunot, veut en savoir plus sur notre association. Que´est-ce qu´on fait? De la culture? Est-ce que j´ai une preuve que  la voiture appartient à l´association? Visiblement le fait que les papiers sont fait au nom de l´association ne satisfait pas notre Sherlock Holmes crypto-stalinien. Mais il s´avère que ce n´étaient que des exercices de style. Bon joueur, le douanier nous laisse passer, après qu´un gars à la Mercedes voulant doubler tout le monde, double tout le monde, tout simplement en déposant avec son passeport quelque-chose que le douanier ne prend même  pas la peine de dissimuler, et sous les yeux de tout le monde glisse tranquilement les biftons sous la table... Aussi simple que ça. Peu importe. L´essentiel est que l´on passe enfin, nous aussi. Partout il y a des numéros verts pour appeler les autorités en cas d´abus, mais ça  ne viendrait à l´idée de personne, et nous non plus, d´abuser de ce service...

Nous rentrons en fin de journée. Enfin. Cela fait un mois que nous sommes sur les routes. Pratiquement 8 000 km derrière nous. Nous avons fait danser des Gitans catalans, des Manouches basques, des Basques, des Catalans, des Français, des Occitans, des Bretons, des Espagnols, des Arabes, des Ukrainiens, des Hongrois... et j´en passe. Et dire que l´Europe ne bouge pas le petit doigt pour nous soutenir un peu. Pas étonnant qu´elle parte en ......!

 

 

 

 

 

 

Fotogaléria: été 2012, océan