narratifs

Service civique

L´année 2016 a commencé par un projet ambitieux, qui germait depuis quelque temps entre nous et l´association Intermèdes-Robinson de Chilly – Mazarin. En effet, fort des expériences positives que nous avons eu tout au long de l´année, et qui allaient en crescendo – ateliers, stages, résidences avec leurs jeunes, nos amis de l´Essonne nous ont proposé de prendre chez eux un de nos jeunes en mission de service civique, afin qu´il puisse mieux, et sur du long terme, travailler sur place. Il faut dire que le terrain était très favorable, les jeunes des différents camps roms avec les quels les  Intermèdes travaillent, ainsi que les jeunes des cités et les autres membres de l´association ont pris vraiment goût aux activités des Kesaj Tchave, ils étaient en demande de poursuivre des formations, pratiquement plus qu´un prémice de groupe était né. Devant ce succès, Laurent Ott, le président des Intermèdes nous a proposé une place supplémentaire pour un de nos jeunes. C´était une très bonne idée, cela leur permettrait de découvrir de plus près le travail des Intermèdes, qui est basé sur la pédagogie sociale. L´association développe tout au long de l´année des activités pédagogiques sur les terrains de l´Essone, presqu´une vingtaine de jeunes stagiaires, de bénévoles et des salariés de l´association y prennent régulièrement part, sous la direction d´éducateurs expérimentés. Ils font du très bon travail, un engagement réel  sur le terrain,  accompagné d´un vrai travail de réfléxion et d´analyse intellectuelle.

Une mission de service civique, d´une durée moyenne de 6 mois, constituait une excellente occasion pour nos jeunes de se former au sein d´un collectif dynamique et créatif, tout en mettant à profit leur propre expérience et acquis qu´ils ont grâce aux années passées chez nous. Toute une pléiade de nos jeunes pourraient parfaitement correspondre au profil rechérché. Il faudrait quelqu´un ayant l´expérience de nos activités, possédant bien le répértoire tzigane du groupe et sachant le transmettre aux autres. Tout en ayant assez de maturité et d´autonomie pour pouvoir rester tout seul plusieurs mois en dehors de son pays, de sa famille, de sa communauté. Ce dernier point n´est pas négligeable, car nos jeunes ont beau avoir beaucoup d´expérience de l´étranger, grâce aux innombrables tournées internationales à notre actif, ils sont malgré tout toujours très encrés dans la conception de vie communautaire, tout ce qu´ils font est conçu au départ comme une action de groupe, l´individuel y a très peu de place. Cela se traduit par exemple par le fait qu´ils sont d´accord pour partir, mais pas tout seulś,  de préférence au moins à deux... Mais un autre cas de force majeure se présentait, tous les candidats potentiels à la mission de service civique, étaient aussi candidats au baccalauréat, qu´ils devaient passer au printemps, et il était hors question qu´ils s´absentent à ce moment crucial de leur parcours scolaire. Il y aurait eu encore d´autres prétendants, mais ils n´avaient pas encore 18 ans, l´âge nécéssaire pour partir. Et notre Cyril national, qui aurait était parfait dans le rôle de l´instructeur, était de nouveau perdu dans la nature, du côté de Bratislava, sur des chantiers, du moins c´est ce que nous espérions, n´ayant pas plus de nouvelles de lui que ça...

 

Averell

Alors, qui envoyer en mission de service civique? Après avoir fait le tour de tous les candidats potentiels, ne restait que celui auquel nous n´aurions pas pensé du tout – Domino. Domino, Dominique Čonka de son vrai nom, est le semi – cadet de la grande fraterie des Čonka. Semi – cadet, parce que ses grands frères, Jaro et Šnurki, devenus adultes,  ont déjà quittés le groupe,  donc le rôle de l´aîné lui revenait, puisqu´il y avait encore une flopée de frangins plus jeunes que lui, les Matej, Jakub, Tomáš, et leurs cousins Romanko, Erik, étant comme ses frères, cela en faisait une bonne  lignée, copie conforme des célébres Dalton de Luky Luke. Et Domino, qui assumait parfaitement le rôle d´Averell, le plus grand, mal dégourdi, pas très finaud, dont tout le monde se moquait avec déléctation. Donc, la question était, prendre le risque d´envoyer celui qui était en dernier de la liste des candidats? Celui qui était le moins déluré, le moins „intello“, celui qui était le plus encré dans sa communauté, le plus „tsigane“ de tous les roms...? Domino avait quand-même un atout pour lui, et c´était son relative autonomie. A la différence des autres, il était plus individuel, on pourrait dire presque solitaire. Lors des tournées, le matin, il était le premier à être debout, à mon grand désespoir, car cela me gâchait mes rares moments de quiétude matinale, quand, tout seul, révéillé en premier, je me délectais de la paix ambiante lorsque tout le monde dormait encore. Mais non, Domino était là, il ne pouvait pas dormir non plus. Sans pitié aucune ni compassion, mais aussi poussé par le simple instinct de survie, car il me fallait absolument quelques instants d´autonomie et de traquilité absolue pour récupérer afin d´avoir la force d´ être présent ensuite 20 heures sur 24, je ne m´occupais pas de lui et il faisait avec, il s´occupait de soi tout seul. Ce qui n´était pas plus mal, et au fil des années a développée chez le garçon une certaine autonomie, que les autres n´avaient pas forcément. Je pense aussi, qu´il recherchait des temps de solitude pour la bonne raison, que c´étaient les seuls moments quand personne ne se payait sa tête, ce dont ses frérots ne se privaient pas dès qu´ils ouvraient les yeux...

Donc quand nous avons proposé à Domino de partir tout seul, cela ne lui a posé aucun problème, il était prêt dans l´instant même. Il faut dire qu´il n´avait pas grand-chose à regretter au pays, à la colonie il était un peu la risée de tout le monde, à la maison, le souffre-douleur, à l´école, moins que rien. Il venait de finir le cycle obligatoire de l´école spéciale pour les déficients mentaux, avec un diplôme qui lui donnait la qualification d´aide de l´aide ouvrier. RMI-ste à vie. Il gagnait 60 eu par mois en ballayant les rues de son village  4 fois par semaine, dans le cadre du programme national de réinsertion des chômeurs de longue durée, afin qu´ils acquiérent des habitudes de travail et fassent baisser les courbes du chômage... Aussitôt dit, aussitôt fait. Pas de bagages à plier, ne possédant rien, il n´avait rien à emporter, il achéterait ce qu´il lui faut sur place, une fois touchée sa première paie. Juste une baguette pour la route et qques eu pour les cigarettes. Et je le laissais à la gare des bus de Poprad, pour que son cousin Dushko le récupére à Gallieni, à Paris. Je lui ai acheté une baguette pour le trajet, il l´a consommée tout de suite, tant pis pour le voyage, il faudra se contenter des cigarettes. Mais il en a vu d´autres, à la maison les repas n´étaient pas non plus servis aux heures fixes. Les journées sans repas du tout n´étaient pas rares non plus... C´est avec un petit pincement de coeur que nous le voyons partir au loin, ne sachant pas parler aucune langue, il faudra qu´il change d´autocar à Vienne, comment  va-t-il faire, ne vas pas-t-il se perdre à la première pause du bus...? Heureusement, que Dushko devait l´attendre à Paris, car le métro aurait été trop ardu pour lui.

 

Dushko

A propos de Dushko. Dushko c´est notre ancien clavier. Depuis ses 11 ans il fait parti du groupe, intensément, avec toute sa famille, avec des hauts et des bas, avec toute une histoire commune, qui est la sienne, la nôtre. Il y a un peu plus de deux ans, il s´est expatrié à Montreuil pour suivre Joana, une franco-roumaine-rom, qui a fait partie de notre groupe en externe lors de nos tournées en France. Ils se sont connus ainsi, elle est venue chez nous, et puis il a décidé de faire le grand saut, d´essayer la douce France, avec ses douceurs, mais aussi avec ses  rudesses, car tout n´est pas rose pour un jeune qui doit faire le grand écart non seulement entre les deux pays, mais surout entre les deux modes de vie, celui de la colonie dans la quelle il a vécu jusqu´à lors, et la vie au sein de la société majoritaire, qu´il n´a pas encore vraiment connue, mis à part les sorties avec le groupe. Soutenu dans son effort d´intégration par la maman de Joana et par Joana, il se défend plutôt bien, s´applique à suivre des cours de français intensif, sur la longue durée, essaie de travailler quand une occasion se présente, de faire ce qu´on attend de lui. Il réussi à passer pas mal d´obstacles, surtout d´ordre psychologique. Il y avait toute une prériode de rejet de son milieu d´origine, ce dont nous souffrions, car nous étions logés à la même enseigne que tout le bidonville... Mais les choses se sont peu à peu tassées, et nous avons pu reprendre contact et de nouveau se retrouver sur nos tournées. Quand nous lui avons proposé la première fois, en été 2015, d´intégrer l´association des Intermèdes pour y faire de l´animation musicale, il refusait catégoriquement. Manifestement, il ne voulait pas faire du „kesaj“, il ne voulait pas de nouveau retomber dans l´univers tzigane. Ce n´était pas la peine d´insister. Par la suite sa situation ne s´arrangait pas trop, il n´arrivait pas à trouver du travail, et visiblement, il ne voulait pas rester à la charge de la famille de Joana, bref, il a décidé de rentrer au pays. Ce qui n´était pas une panacée, car cela voulait automatiquement dire revenir au bidonville, qu´il a renié il n´y a pas si longtemps encore. Et surtout, il n´y aurait rien à faire, aucun travail, aucun moyen de valoriser ses acquis, et toute l´expérience enrichissante dont il a profité au cours des dernières années. Mais sa décision était prise. Il rentrerait juste après le révéillon. Juste au moment du débarquement de notre Domino à Paris. Alors nous avons prié Dushko de différer un peu son départ, afin qu´il puisse accueillir son cousin et s´occuper de lui les premiers jours. J´aurais pu accompagner Domino à Paris, mais je devais partir pour des raisons personnelles une semaine plus tard, et à vrai dire, passer 24 dans le bus avec le clône d´Averell, ne m´emballait pas plus que ca. Donc c´est Dushko qui devait prendre soin du bébé, et moi, je les rejoindrais une dizaine de jours plus tard. Et c´est là qu´il y a eu un retournement subit de la situation. Dushko, en voyant son cousin „béta“ débarquer, pour aller travailler, gagner de l´argent, ce que lui, n´a encore jamais pu réaliser, eh bien Dushko s´est dit, si lui, il y arrive, pourquoi pas moi! On en a parlé avec Laurent, et au lieu d´une mission de service civique chez les Intermèdes, il y en a eu deux. Dushko et Domino. Il faut dire que ca tombait très bien pour tout le monde. C´était quand même préférable que Dushko puisse accompagner les premiers pas de son valeureux cousin, et les Intermèdes ont ainsi bénéficié d´une petite équipe dans l´esprit Kesaj - toujours être à plusieurs, pas d´action strictement individuelle. Et surtout, ca a évité à Dushko un  retour prématuré au pays, où il n´aurait rien fait, alors que là, il pouvait enfin pleinement mettre au service d´une bonne causse tous ses acquis, toutes ses compétences et talents. Et en plus cela allait tout à fait dans le sens de ce qu´il aimait faire avant tout, jouer de la musique, de la musique tsigane, en valorisant sa culture, sa culture tzigane, il n´y a aucune honte à cela, au contraire, c´est une richesse, une exception dont il peut être fier, et dont il peut tirer profit et en faire profiter les autres. Rapidement, il est devenu un membre à part entière des Intermèdes.

 

Domino

Mais le plus étonnant dans tout cela, c´était Domino. En effet, instantanément,  il s´est parfaitement adapté à sa nouvelle situation, moulé dans son nouveau rôle. Mieux encore, tout ce qui au départ jouait contre lui, en un mot toute son appartenance viscérale à la culture rom, à la culture de la vie des communautés rom des colonies-bidonvilles, tout ce qui aurait pu être considéré comme négatif ou rétrograde, ou au mieux, juste risible,  tout cela, au contraire,  dans ce contexte particulier, a été hautement positif, valorisant et bénéfique pour tout le monde. Car Dominik a apporté en lui toute cette richesse de sa communauté, dressée par des siècles d´ostarcisme et de rejets à faire face aux épreuves de la vie par une philosophie et une approche de la réalité bien particulière, qui a permi de survivre avec moins que rien... juste avec sa culture. Parfois une chanson vaut plus que de l´or, ou plutôt la faculté d´évacuer ses émotions et le stress permet de ne pas sombrer complétement, et de sauvegarder le bien le plus précieux, l´essentiel – l´existence, la vie. Une anecdote pour illustrer ce rapport a la culture : Domino, lors des es moments de détente, lorsqu´il avait du crédit sur son forfait de téléphonne, appelait ses freres ou cousins pour passer des coups de fil interminables, de 20, 30 minutes, non pour leur parler, mais pour chanter avec eux. Au téléphonne...

Dans la pratique, nous avons assisté, sidérés, à une transformation incroyable de Domino. Du garçon un peu bé-bête, négligé, toujours parmi les derniers, il est tout à coup devenu un jeune homme bien de sa personne... parfaitement à l´aise dans son nouvel environement social et professionnel, au sein d´une équipe dynamique, intelligeante, éduquée, qui avaient toutes les qualités et compétences, à part celles dans les quelles excellait Domino, à savoir la parfaite connaissance du milieu rom des colonies. Et de plus, il excellait dans la pratiques des codes sociaux, que sont le chant et la danse. Et puisque l´objet de travail de toute l´équipe en question était justement la communauté rom, Domino a été d´emblée, naturellement reconnu comme un véritable expert, ses compétences et qualités ont été reconnues, appréciées à leur juste valeur... et Domino a pu enfin, s´apprécier lui-même à  sa juste valeur. Il n´était plus cet éternel Averell des Dalton, dont tout le monde rigolait, ses frères en premier, mais était devenu un membre à part entière de son nouveau collectif de travail, de son nouveau milieu social, qu´il  a parfaitement intégré, comme un caméléon, il a fondu avec ce nouvel environnement. De l´éternel dernier de la classe il est passé au premier rang. Et pourtant, au départ, tout, à première vue, jouait contre lui...

La semaine suivante j´ai rejoint Domino qui a déjà parfaitement pris ses quartiers au sein des Intermèdes. Il a fallu vite mettre en place un minimum pédagogique sur le quel il pourrait travailler avec les jeunes sur place, afin que cela ait un sens, afin qu´un nouveau groupe puisse se former. Car autant Domino, ainsi que nos jeunes possédent parfaitement le répértoire, mais s´ils maîtrisent les façons de faire, ils ne saisissent pas forcément les façons de procéder, la méthodologie pour arriver à un but détérminé. Ils sont dans le moment présent, se laissent complétement guider par les anciens, Helena et moi, mais n´ont pas l´expérience de mener un travail d´apprentissage artistique dans la durée.

 

La méthode

Il fallait expréssément donner à nos jeunes sur place, Dushko et Domino, et aux éducateurs des Intermèdes, des outils, des instructions, des clés leurs permettant de palier au plus préssé, afin qu´ils puissent maîitriser la situation nouvelle dans la quelle ils vont se retrouver, à savoir guider un groupe de jeunes vers   la maîtrise des pratiques artistiques, afin qu´au bout d´un certain temps ils puissent, rapidement acquérir des habilités qui vont leur permettre de se présenter au public, et, chemin faisant, acquèrir aussi des sociabilités élémentaires, la discipline, l´assiduité, mais aussi le plaisir du travail bien fait, de la récompense... La reconnaissance du public, de la majorité, est pour ceux qui n´ont été de toute leur vie que rejetés, et reniés, la reconnaissance donc, le succès, est la meilleure des récompenses, car elle permet de combler le plus grand des déficits, à savoir le déficit de la dignité humaine, de l´estime de soi. Sans avoir le respect élémentaire pour soi-même, on ne peut pas en avoir pour les autres. C´est là tout le  „secret“ de la „méthode“ kesaj, il ne suffit pas d´apprendre à un gamin à se laver les mains, si on ne lui donne pas envie de se le laver, jamais il ne se les lavera...

Et il va de soi, que dans une équipe artistique, ou une autre, sportive par ex., pourquoi pas, mais en occurrence, sur scène nous sommes tous dépendants les uns des autres, et je suis le premier à affirmer que sans ces gamins je ne pourrais pas faire ce que je fais, donc nous sommes partenaires à parts égales. A expériences  non égales, bien entendu, l´âge et le vécu jouent un rôle prépondérant, donc  une discipline de fer, intransigeante est toute naturelle, mais cela n´empêche pas, ou même conditionne, un raport de respect mutuel, d´égal à égal, malgré les différences d´âge, d´origine, etc...

Rattrapé par la réalité, je ne suis de passage à Paris que très peu de temps, je ne dispose en tout que d´une après-midi, dans la réalité d´un peu plus d´une heure pour transmettre, expliquer et apprendre aux nouveaux instructeurs sur place, ce qu´ils vont faire durant les mois à venir, ce qu´ils vont appliquer lors des ateliers dans les camps, avec les gosses des cités, les enfants des migrants. Pour Dushko et Domino, secondés par Jenica et parfois Cassandra, c´est tout ce qu´ils ont vécu durant toute leur enfance avec nous. Pour les jeunes éducateurs des Intermèdes, c´est tout à fait nouveau, bien que des bases de maniement de groupe sont identiques quelques soient les origines des protagonistes. Vu le manque absolu de temps, il faut aller à l´essentiel. Pareil, ce qui est négatif, devient positif. Le négatif, c´est le manque horrible de temps, mais ca a l´avantage de nous empêcher  d´inventer des procédés trop compliqués, nous n´avons pas d´autre choix, que d´aller strictement à l´essentiel. On n´a qu´une heure en tout et pour tout. Alors on va à l´essentiel. Une de nos chorégraphies des plus simplistes, mais appliquant déjà  des concepts fondamentaux, indispensables pour s´investir dans un travail collectif : se mettre en fil, attendre son tour, déambuler ensuite en rond et puis tous sur une ligne au devant de la scène. Même pas de pas de danse spéciaux, le tout est dans le travail du groupe, du respect des autres, de se fondre dans la dynamique collective, de faire parti du collectif. Que des choses élémentaires, relevant du programme de la maternelle. Mais que ces enfants, tous provenant de situations sociales extrêmes, déscolarisés, n´ont jamais connues ni pratiqués. Donc nous en sommes à un programme d´une simplicité rudimentaire à toute épreuve, qui aurait toutes ses chances auprès des enfants de 3 à 5 ans, mais qui va être appliqué à des jeunes agés  de 10 à 16 ans, et qui, au niveau des apprentissages sociaux élémentaires, en sont au niveau des 3 – 5 ans. Alors comment faire, pour que cette tranche d´âge, des ados ou des pré-ados, et pas des simples, mais des jeunes qui sont confrontés aux dures réalités de la vie, donc ce qu´on appelle communément des ados à problèmes,  acceptent de leur plein gré de se soumettre à des jeux puérils, à la limite déhonnestants pour eux?

Pour réaliser nos objectifs, nous avons besoin d´une plus value qui va permettre de surmonter ces obstacles. Ces bases de mouvance coordonnée en groupe dans un espace défini, prennent une toute autre allure, si les procédés sont appliqués, ou servis sous un couvert de pratiques artistiques (dans la culture rom, des codes sociaux) hyper valorisantes qui vont permettre d´atteindre des sommets de gloire, de sortir de son ghetto, de découvrir le grand monde, de devenir une vedette à ses yeux et aux yeux des autres. De faire comme les Kesaj, qu´on a déjà vu sur scène faire des prodiges. Les jeunes des Kesaj Tchave sont des jeunes roms, vivants dans les colonies, sortant des bidonvilles, pareils, ou même lotis encore pire que la plupart des nouveaux protagodonistes, et pourtant les Kesaj sont des dieux de la scène. Donc les premières prises de contacts sont très importantes. C´est pourquoi avec le groupe Kesaj Tchave nous allons toujours au-devant de nos publics, en nous produisant directement dans les endroits de vie de ces populations, qui n´ont aucune chance d´accéder à la culture vivante, et à nos spectacles ailleurs. Donc ceux, qui vont participer aux ateliers, ont la plupart de temps eu déjà l´occasion de voir le spectacle de Kesaj Tchave chez eux, au bidonville, ont été complétement séduits, et veulent à tout prix prendre part aux activités qui vont leurs permettre d´accéder au même stade que les Kesaj. Mais il n´en reste pas moins, que ces enfants et jeunes, sont très désocialisés, ou plutôt n´ont jamais été socialisés selon les concepts et codes de la société majoritaire, sont souvent acculturés, étant nés en France, et n´ayant plus de contact direct avec leur culture d´origine. Donc il faut les prendre en leurs inculquant les bases fondamentales, non seulement au niveau artistique, mais avant tout, au niveau des rapports et de la cohésion sociale suivant les concepts en cours dans la société majoritaire, mais aussi selon les concepts de vigueur dans les communautés rom slovaques. Si tout le groupe Kesaj Tchave est sur place, ca se fait „tout seul“, on fait participer les nouveaux aux répétitions ou aux spectacles, et naturellement ils sont pris par la dynamique du groupe, prépondérante dans la méthodologie „kesaj“.  Lors des ateliers qui ont démarrés aux Intermèdes en janvier 2016, le groupe Kesaj a été remplacé par deux ou trois instructeurs, qui ont strictement appliqué le programme défini, extrêmmement simple et ciblé, et des éléments comme, en premier lieu Domino, très fortement imprégnés de leur culture, ayant à charge de suppléer tout le groupe, et par leur présence active apporter toute la force de cette culture authentique dont ils sont porteurs. Ainsi, des simples exercices de déplacements basiques coordonnés, deviennent des chorégraphies poussées, des portes ouvertes sur la réalisation de soi par la pratique des arts de scène émanat des cultures populaires, de la culture tzigane en l´occurence. Et dans cette méthodologie, un garçon comme Domino, avait une place privilégiée, tout à l´oposé de la place d´étérnel looser à la quelle il était originellement relégué.

Nous avons fait déjà des incursions dans des différents camps auparavant avec les Intermèdes, et profitant de ma présence, nous avons fait une intervention au camp rom instalé à côté de la gare SNCF de Chilly-Mazarin. Les Intermèdes y ont leurs entrées, font des ateliers de jeux pédagogioques pour les préscolaires, mais sans plus. En principe, je préfére entamer des premiers contacts avec tout le groupe, profitant de l´effet de surprise, entrer en force. Au départ on n´avait prévu qu´une visite de „politesse“ au camp, histoire que Domino se familiarise avec les lieux. Mais sur place, il fallait bien faire quelque chose, et faute de mieux, comme d´habitude, nous n´avions que notre outil artistique à disposition. Et nous nous en sommes servis. Heureusement, il y avait avec nous aussi Jenica, une rom roumaine des campements de Montreuil, qui a intégrée notre groupe depuis longtemps, et elle a pu nous être d´une aide très précieuse par sa spontanéité, et aussi, un peu comme Domino, par sa très profonde immersion dans sa culture d´origine, la culture rom roumaine. Avec le concours de Dushko aux claviers, qui démarrait ainsi sa mission de service civique, nous avons pu mener une animation très dynamique, comme nous en avons l´habitude, et faire participer la majorité des habitants du camps. Le but était atteint, on a marqué énergiquement notre présence, noué une relation de confiance, marqué des points positifs. En principe, on peut revenir quand on veut, et faire participer les jeunes à nos activités.

Au pays nous étions confrontés au calendrier, qui annonçait les examens du baccalauréat pour les mois de mai et juin prochain. Il fallait se mobiliser au maximum pour préparer les étudiants à cette épreuve, et aussi songer aux débouchés dans des universités et facultés, une fois les examens passés avec succés, comme nous l´espérions malgré tout.

 

Le stage

Les ateliers aux Intermèdes continuaient avec Dushko, Domino et Jenica, mais il était indispensable de venir  leur donner un coup de main, afin que l´ethousiasme du départ ne s´estompe pas et que le projet ait toutes les chances de réussir. A cet effet nous avons organisé une sortie avec un groupe plus restreint d´une dizaine de personnes, durant les vaccances de février pour organiser un stage à Buno et dynamiser ainsi tout le groupe. Nous avons pris les jeunes ados, les plus performants, les plus en phase avec ceux des Intermèdes, et aussi non impliqués par le bac cette année. Puisqu´il s´agissait d´un petit groupe, et les dates étaient arrêtées, nous avons pu effectuer le voyage par avion, les compagnies lowcoast proposant des tarifs avantageux.  C´était aussi une excellente motivation pour les participants, qui se voyaient ainsi récompensés pour tout leur travail et investissement dans le groupe. Les Intermèdes nous mettant à disposition le château de Buno à Gironville pour l´hébergement, la Banque alimentaire subvenant à la restauration, nous avons pu réaliser cette résidence à peu de frais. De plus, les Intermèdes maîtrisant la logistique des allées et venues des enfants des camps et des cités, nous avons pu nous concentrer sur l ´essentiel, les ateliers, et la résidence a été très intense et profitable à tout le monde, avec des répétitions et plusiers interventions dans les camps et dans les cités. Le séjour a duré du 19 au 25 février.

Au pays, la préparation aux examens du baccalauréat allait en s´intensifiant. Une fois par semaine, un groupe de cinq étudiants faisaient le chemin jusqu´à Bratislava pour suivre des cours de rattrapage à l´Université de l´Économie, grâce à un programme financé par les fonds européens. En cas de réussite au bac, ils seraient admis au concours d´entrée, et pourraient avoir des chance de le réussir s´ils restent assidus aux cours. En ce qui les concernait, le bac était la priorité absolue, et les répétitions ont du aller, bien sûr, de côté. Nous poursuivions  nos activités avec tous les autres, de même, les ateliers aux Intermèdes suivaient leur programme quasi quotidien sous la direction de nos expatriés du moment. J´ai profité d´un voyage à Paris en mars, pour venir dynamiser le nouveau groupe sur place à Chilly-Mazarin et encourager les frais apprentis instructeurs. Il faut signaler que si tout se passe bien, c´est aussi grâce dans une très grande mesure à l´encadrement sur place. En premier lieu le président de l´association, Laurent Ott et son épouse, qui sont des chercheurs en pédagogie sociale expérimentés et reconnus, et aussi grâce à leur équipe des éducateurs et de stagiaires. Parmi eux aussi plusieurs roms, habitant le bidonville de Ballainvilliers, qui s´investissent d´une manière très professionnelle et hautement qualifiée. Tout cela constitue un excellent cadre de formation pour les jeunes stagiaires roms slovaques, qui y découvrent un univers nouveau, totalement inconnu pour eux, et surtout, ils sont pris par la dynamique du groupe en place, dans la même démarche et philosophie collective, telle qu´ils l´ont vécue dans Kesaj Tchave. Pour nous, il est essentiel de maintenir le contact et de garder le moral au plus haut, c´est pourquoi nous gardons un calendrier de rencontres et d´événements tout au long de l´année, pour aller de l´avant, et ne rien relâcher. D´où la raison de ma venue en mars. La prochaine étape était prévue en mai, avec deux spectacles sur scène, dans les MJC d´Igny et de Savigny sur Orge. Nous laissons notre équipe avec  l´objectif de faire le maximum pour être prêts à leur grande épreuve, et nous, continuer de nous concentrer sur notre épreuve à nous tous, le bac.

Selon le bon vieux précepte en cours chez les roms, les préparations se poursuivent pratiquement exclusivement en groupe, tout le monde se serre les coudes pour être prêt au grand jour.

 

Le bac – la préparation

Mais le mois de mars était porteur d´un événement de la plus haute importance, décisif pour tout notre collectif. Le 15 mars ont eu lieu les examens écrits du baccalauréat. Il y a 4 ans, lorsque les futurs candidats au statut de bachelier, entraient en première année de notre lycée, nous n´étions pas sûrs du tout d´arriver un jour à ce stade. Tellement d´incertitudes et de problèmes accompagnaient le lycée au jour le jour. Nous y faisions face au jour le jour, surmontant les obstacles un à un, à chaque jour suffisait sa peine... Les problèmes étaient avant tout d´ordre matériel. Nous avons du changer 4 fois de locaux, à chaque fois pratiquement expulsés du jour au lendemain, obligés de chercher des solutions en catastrophe. Les solutions, elles tenaient du miracle. A chaque fois nous étions à un doigt de fermer l´établissement. Les étudiants venant tous d´un autre monde, des bidonvilles, où les études n´ont aucun sens, aucune signification, aucune justification rationnelle aux yeux de ses habitants, il était très difficile de persuader les jeunes roms de  s´engager sur des études supérieures, et de les maintenir ensuite dans le cursus scolaire. A cela s´ajoutait un manque de moyens financier cronique et permanent, ce qui faisait que constamment, l´épée de Damoclés,  que tout pouvait s´arrêter du jour au lendemain, planait au dessus de nos têtes. Donc, on peut dire que nous étions les premiers à être surpris et étonnés de voir arriver le grand jour, l´étape ultime, le jour des examens pour les premiers candidats bacheliers de notre lycée.

Au départ, il y a 4 ans,  il y avait 22 étudiants en première année, à l´arrivée nous en avions 18 présents à l´appel le jour des examens, ce qui n´est pas si mal. Parmi ceux qui ont abandonné,  il y a des garçons partis travailler au loin et des jeunes mamans. Des mamans et des travailleurs, nous en avions aussi parmi ceux qui sont restés, mais ils ont été un peu plus résistants et sont restés dans le giron de l´école. Cette fournée des bacheliers était assez exceptionnelle. Il y avait parmi eux plus de la moitié de nos anciens du groupe, donc des jeunes que nous connaissions de près, bien avant qu´ils ne viennent au lycée. Grâce à cette relation privilégiée, nous étions proches d´eux, nous connaissions parfaitement leur milieu familial, leur parcours scolaire et personnel depuis leur tendre enfance. Et nous avions toujours une certaine emprise sur eux. Il y avait aussi un groupe de 6 jeunes qui étaient des nouveaux venus dans notre collectif, mais ils jouissaient d´excéllents antécédents. Dans le passé pas si lointain, dans leur enfance, il y avait un curé dans leur paroisse qui était très actif, faisait beaucoup de choses avec eux, et ca a laissé des traces positives, les jeunes ont eu une bonne formation de base, et avaient donc naturellement des prédispositions pour s´investir  dans les  études. Mais cela n´empêche pas que dans l´ensemble nous avions quand-même affaire à des éléments  nécéssitant un soin particulier, une approche personnalisée et une attention constante. Leur environnement naturel, les colonies-bidonvilles rom,  a laissé une forte empreinte sur le niveau de leur instruction générale, qui laissait à désirer dans de nombreux points, et aussi sur leur approche aux études, aux devoirs, sur leur assiduité et constance dans l´effort. Il serait malhonnête et stupide de nier les énormes carrences et difficultés rencontrées  pratiquement à tous les niveaux. Mais c´est pour ca que nous avons ouvert notre établissement, pour pouvoir s´attaquer aux problèmes de face, et ne pas les ballayer sans cesse sous le tapis, ne pas se cacher derrière le poliquement correct du tout égalitarisme. Naître au bidonville, ou naître en ville, ne peut pas donner les mêmes chances au départ, même si nous sommes tous égaux aux yeux de la constitution... Affirmer sans cesse le contraire, en ne faisant rien pour bouger les choses dans la réalité, ne fait que perdurer, et empirer la situation.

Donc nous avions 18 étudiants, dans leur grande majorité motivés, qui s´investissaient dans leurs études. A très grand renfort d´investissement aussi de notre côté pour maintenir la motivation au lycée, et aussi, tout simplement pour maintenir les jeunes physiquement au lycée. Car il y avait toujours d´innombrables raisons pour faire autre chose, que de venir étudier à l´école. La constante, c´était les problèmes financiers, pas d´argent pour venir en ville. Les famillles sont dans un tel état de misère, que régulièrement arrivaient au fil des mois, des périodes quand il n´y avait même pas un sou à la maison pour faire l´aller-retour en bus. Ou quand les jeunes n´avaient pas de vêtements,  pas de chaussures, sans parler des fournitures scolaires... et pour palier à tout cela, dès qu´une occasion se présentait, les garçons partaient travailler au noir, quelques soient les conditions qu´on leur propose. Combiné à une tendence à ne pas trop se surpasser à l´école, égale dans toutes les couches sociales et ethniques de la population, mais enrichie chez les roms par une nonchalence qu´on pourrait qualifier de culturelle, il en résultait une assiduité qui souvent laissait plus qu´ à désirer.  Mais, bon an, mal an, nous arrivons à l´étape ultime, le bac dans toute sa splandeur, face à la réalité, face à l´examen de la maturité. On a peur des désistements à la dernière minute, on motive, on entretient le moral. Je fais encore le tour des jeunes mamans qu´on a pas vu depuis longtemps, mais qui se sont quand même laissées entendre qu´elle viendraient.  Parmi elles une fille qui est sortie de l´orphelinat à l´age de ses 18 ans, dans toute sa splendeur, très bien élevée, propre, impeccable, les roms auraient dit, comme une blanche... Elle était parfaitement bien éduquée, n´avait pas de lacunes dans sa scolarité, elle pouvait parfaitement intégrer notre lycée. Nous connaissions aussi très bien sa famille, qu´elle devait retrouver à sa sortie de l´orphelinat. Des pauvres bougres, qui vendaient des journeaux de SDF dans les rues. Eh bien, notre brillante étudiante n´avait pas d´autre choix que de s´intégrer vite dans sa nouvelle ancienne famille, et les choses sont allées ensuite aussi très vite, elle attend maintenant son deuxième enfant, et l´habitat dans la quelle je vais la chercher s´apparente plus à une grotte, qu´ à autre chose...

 

Le bac – l´écrit

Les examens du baccalauréat ont lieu dans les locaux de notre petit lycée. Tout est organisé selon un protocole très strict, ordonné par le Ministère de l´Éducation nationale. Outre nos professeurs, des intervenants extérieurs doivent être présents, ainsi que la présidente de la comission des examens, tous avalisés par l´Académie scolaire. Les examens auront lieu en deux parties, en mars, l´écrit, et ensuite, fin mai, début juin, l´oral. L´écrit comprends les langues, le slovaque, l´anglais et le russe. Le romani fera partie de la session orale. A 8h tout le monde est là, nous attendons encore les membres de la comission des examens, qui viennent de Košice et Detva. Les jeunes mamans font garder leurs progéniture par les grandes-mères, personne ne manque à l´appel. Il va sans dire que tous sont habillés impeccable. Du top. Les Roms, fidéles à eux-mêmes ne ratraient surtout pas une pareille occasion pour se mettre sur leur 31 et l´arrivée des jeunes filles ressemble plus à un défilé de mode qu´à autre chose. Les garçons ne sont pas en reste. Le moral est bon, un peu tendu, on rigole, ils vont encore fumer une dernière cigarette en douce, et montent dans la grande classe dans la quelle auront lieu les testes de slovaque. On les laisse seuls, nous sommes en bas, dans la salle des profs, à attendre les membres de la commission. Tout à coup j´entends une musique à fond, à casser les enceintes,  alors  je monte vite pour dire de calmer le jeu. J´ouvre la porte de la classe, et je découvre tout le lycée à danser sur les bancs de classe. Du disco tsigane, il n´y a rien de tel pour se décontracter. J´ouvre la bouche pour y aller de ma remontrance, mais je me ravise, me disant que finalement, ce n´est pas plus mal comme méthode antistress. Tant que la comission n´est pas là... Je descends faire le guet, les laissant se défouler. La présidente de la commission nous passe un coup de fil, comme quoi ils sont en route, ils ne vont pas tarder, on a pas à s´inquiéter. Tant mieux, comme ca ils ne vont pas nous surprendre dans la pratique de notre méthode particulière de disco antistress sur les tables des examens. Mais tout à coup je réalise que l´on n´entend plus rien de là haut. De nouveau j´enjambe les escaliers, inquiet de ce silence brusque. Il ne manquerait plus que tout le monde ait pris la poudre d´escampette par la fenêtre... J´ouvre la porte, et là, un tableau à l´opposé de celui de tout à l´heure s´offre à mes yeux – tous assis comme un seul homme, dans la même posture, les mains jointes en train de prier et déclamer le Pater noster et Vierge Marie... La suite nous dira que le procédé est efficace...

La commission vient d´arriver, les examens peuvent commencer, tout le monde est prêt.

C´est une longue journée qui commence. D´autant plus longue, que tout peut arriver. Nous sommes confiants, du moins nous nous astreignons à le paraitre. Parmis les étudiants, il y en a qui sont assez  bien préparés, qui ne devraient pas flancher, mais il y en a d´autres, dont on ne peut pas dire la même chose. Pourvu qu´ils arrivent tous au moins à sortir quelques lignes en slovaque. Que va-t-il se passer s´ils rendent des copies absolument blanches! Et surprise, même les moins prédisposés, pour ne pas dire les plus cancres, arrivent à aligner non seulement quelques mots, mais des pages entières de copies. Ouf! Ca commence pas trop mal. Après une courte pause à midi, suivent les langues. La moitié des élèves ont l´anglais, l´autre le russe. Le romani sera à l´oral. Tout compte fait, cela se passe pas trop mal non plus. La commission doit corriger les épreuves des langues sur place, et les copies de slovaque seront scellées et envoyées pour êtres corrigées au Ministère. Avec les langues, on voit que ce n´est pas la catastrophe que l´on redoutait, et les rapides coup d´oeil qu´on a jettés sur le slovaque nous permettaient d´être optimistes aussi dans cette direction. On en n´espérait pas tant... On va pouvoir souffler un peu en attendant l´oral, mais pas trop, car il faudra être prêt, au mieux de sa forme, dans deux mois.

 

Journée Internationale des Roms

Autant nous sommes très actifs en ce qui concerne nos activités à l´international, les occasions de se produire en Slovaquie sont, hélas, minimes. Pourtant, nous sommes bien établis sur la scène tzigane et slovaque, d´une part nous jouissons d´une belle notoriété, acquise au fil des années, d´autre part, il faut bien le dire, hélas, il n´y a pas pratiquement pas de concurrence. Maintenir un groupe de jeunes sur du long terme est financièrement pratiquement impossible, à moins d´avoir un soutien conséquent de la part des parents, ce dont il ne peut être question dans le cas des communautés roms, beaucoup trop paupérisées pour se permettre le luxe d´offrir aux enfants des distractions ou activités autres que celles de la survie élémentaire. Donc les rares groupes roms qui se créent disparaissent plus ou moins rapidement, faute d´avoir des soutiens et des débouchés. Les jeunes sont demandeurs de ce genre d´activités, mais l´aboutissement de leurs efforts doit être une présentation sur scène, devant le public. Cet aspect est très important chez les jeunes tsiganes, qui souffrent du déficit de reconnaissance sociale. Sans spectacles, sans la reconnaissance de leur mérite, rapidement ils finissent par s´éssouffler, et lâchent prise, abandonnent. Nous, si nous n´avions pas nos sorties extraterritoriales, nous aurions subi le même sort. C´est pourquoi nous étions très agréablement surpris lorsque nous avons reçu des demandes de spectacles venant de plusieures écoles pour leurs commémorations de la Journée Internationale des Roms. Il s´agissait des établissements à forte majorité d´élèves roms, ou ayant exclusivement que des écoliers roms. Ces cas n´ont rien d´exceptionnel, dans la région de l´est slovaque cela tend à devenir la norme. Avec plaisir nous avons accepté, nous sommes toujours contents de pouvoir nous présenter devant des publics rom, et dans ce genre d´écoles nous rencontrons en général des enseignants qui connaissent parfaitement leur travail et toutes les spécificités relatives aux commuanutés tsiganes. Cela nous fait respectivement du bien de pouvoir échanger sur la problématique avec des gens compétents et motivés. Il n´était pas possible de jouer partout à la fois le même jour, alors les interventions sont étalées sur tout le mois d´avril. Cela nous a permi aussi de garder la forme, car au niveau des répétitions nous  avons du relâcher un peu, le bac étant  la priorité absolue. Les spectacles se sont partout très bien passés. Les productions devant ce genre de public sont tout ce qu´il y a de plus motivant pour nos jeunes, c´est un échange d´énergies mutuelles formidable. Et nous sommes tout à fait conscients du bien-fondé de nos actions et de l´impact qu´elles ont auprès des jeunes roms qui n´arrivent pas à se rassasier de notre spectacle.

 

Aven savore

En France, Les Intermèdes Robinson continuaient aussi de plus belle, un groupe, à l´image du nôtre, se profilait, avec un nom tout trouvé : Aven savore – Tous ensemble. La motivation était au plus haut, d´autant plus que se présentait une occasion de se produire enfin sur scène, devant un vrai public, pas seulement des amis ou des copains présents lors des répétitions, comme jusqu´ à lors. Laurent Ott a mobilisé son réseau des MJC,  les salles d´ Igny et  Savigny sur Orge étaient prêtes à nous accueillir pour deux spectacles consécutifs.  C´était une occasion formidable qu´il ne fallait pas rater. Pour les jeunes des Intermèdes ces deux journées allaient être la consécration de tout le travail et labeur qu´ils ont fourni au cours de ces derniers mois. Cela ne leur est encore jamais arrivé. Il faut absolument que ce soit une expérience positive, motivante, qui leur donne envie de s´investir encore plus. Il était évident que pour la petite troupe fraichement formée, malgré tout son investissement et bonne volonté, il lui serait  impossible en si peu de temps d´être pleinement capable d´assumer une prestation de qualité sur scène. A la différence de nos enfants, qui baignent littérallement dans leur culture originelle, les jeunes des Intermèdes, n´ont pas ce capital culturel. Ni les roms roumains, et encore moins les jeunes africains ou maghrébins qui constituent la nouvelle troupe. Ils ont énormément de bonne volonté, sont gonflés à bloc, mais du point de vue du pur spectacle, cela laisse, bien sûr, à désirer. Mais il ne faut surtout pas qu´ils ratent cette première occasion, il serait très dur, voire impossible de rattraper une éventuelle déroute. C´est pourquoi nous avons décidé de venir en renfort, pour assumer au mieux cet événement, pour éviter tout risque d´accident artistique lourd de conséquences.

C´est très rare que nous venions pour une période aussi courte, mais l´enjeu en valait la peine, alors nous nous sommes mobilisés sur un gros weekend, en partant jeudi et revenant le lundi suivant. Le Château de Buno étant toujours à disposition, ainsi que la Banque alimentaire, la logistique n´était même pas trop contraignante pour cette mini-tournée. Vendredi, à peine descendus du bus, nous avons encore le temps de faire une grosse répétition génerale, plus destinée à tranquilliser les troupes qu´à un travail de fond, ce n´est pas la veille de la première que l´on peut changer quoi que ce soit.  Surtout avec une troupe qui n´en est pas encore vraiment une. Sur des périodes aussi courtes il n´est pas question de se ménager ni économiser l´énergie. Tout le monde est sur les nerfs, tous sont exités par une telle aventure. Le lendemain, samedi, nous avons la première prestation à la MJC d´Igny. Nous rejoignons les lieux déjà en début d´après midi, pour retrouver de nouveau tous les Intermèdes, et aussi pour rencontrer la troupe de Tamèrantong. Cela fait plusieurs mois que nous essayons de nous retrouver, les occasions sont très rares, alors il faut saisir cette opportunité.  Les Tamèrantong sont formidables. Depuis vingt ans ils s´investissent dans les quartiers difficiles en faisant faire du théâtre aux jeunes des cités, des banlieues...  Et leur dernière pièce, c´ est „La Tsigane du Lord Stanley“, il fallait que l´on se rencontre, enfin cela a pu se réaliser. Donc à Igny, il y avait foule. Nous étions trente, les Intermèdes pareil, et les Tamèrantong nous ont rejoints au moins tout aussi nombreux. Heureusement, le temps était splendide, et nous avons pu profiter de la verdure juste derière la salle pour improviser un piquenique géant, ainsi que des ateliers spontanés qui ont vite tournés sur une discothèque intercontinentale. En effet, avec les migrants, les roms, les africains, les asiatiques, c´était pratiquement la terre entière qui s´est retrouvée sur ce petit lopin de terre francilien. Nous étions sensés de faire un spectacle avec les Intermèdes, mais les lieux ne s´y prêtaient absolument pas. La salle, et la scène étaient horriblement petites. Beaucoup trop exigües pour une seule des troupes présentes, il était impensable de monter tous sur scène. Surtout que le technicien avait eu la bonne idée de la monter sur deux niveaux, ce qui était carrement périlleux même pour une troupe expérimenté comme la nôtre, sans parler des novices qui nous rejoignaient. Normalement, on aurait du déclarer forfait, et refuser de jouer dans de telles conditions. Bien sûr, il n´en était pas question. On a pas fait tout ça pour faire les difficiles. Mais j´avais vraiment peur qu´un accident puisse arriver, chuter sur cette scène en escalier relevait de l´évidence, je ne voyais pas comment éviter le pire. Ce n´était pas la peine de s´énérver, de toute façon cela ne changerait rien à l´affaire, Laurent Ott, comme tous les militants, et en plus chercheur en pédagogie sociale, ne pouvait avoir aucun sens de la scène, puisqu´il n´en avait aucune expérience, pour lui tout allait bien, j´étais le seul à paniquer devant le défi qui se présentait à nous – ne pas finir aux urgences avec un plâtre!  Et puis, quoi faire avec autant de participants, qui remplissaient non seulement la scène, mais aussi la toute petite salle. Plus aucune place pour le public... Peu importe, la seule solution est que tout le monde participe. Et tout de suite. Nous sautons le passage de faire connaissance, présentations et discussion, dont étaient très demandeurs les Tamèratong, on saute aussi la mise en place qu´auraient souhaité avoir les Intermèdes, on va directement au but, sans rien demander à qui que ce soit, ni explication aucune, nous démarrons instantanément le spectacle, en y incluant au fur et à mesure tout le monde, bien sûr, sans que les intéréssés se rendent compte vraiment qu´on est en train de les mener, manipuler dans le bon sens, afin que tout le monde ait le sentiment d´avoir participé spontanément, naturellement à notre spectacle, à une fête, une fiesta, d´avoir été le champion du monde d´un soir. Bref, du pur Kesaj Tchave, le public avant tout, dans un contact à fleur de peau, sans aucun artifice, que de l´authentique. Car c´est ça, la spécificité Kesaj, assumer une authenticité, un naturel à tout épreuve, tout en étant „professionnel“ et performant au maximum sur scène, comme dans le travail en dehors de la scène. Toutes nos interventions ont en elles un côté spontanné, improvisé, les gens croient que ça sort comme ça, tout seul. Pour arriver à cette sensation il faut beaucoup de travail, pour que les jeunes sachent ce qu´il faut faire, qu´ils soient à tout moment en contact visuel avec moi, attentifs à mes directives, mais qu´ils restent spontanés, naturels, qu´ils gardent  un véritable plaisir à faire ce qu´ils font, et qu´ils arrivent à faire partager ce plaisir. Là, avec cette foule, c´était une véritable épreuve de force, un examen de baccalauréat du spectacle anticipé... Heureusement, tout s´est très bien passé. Déjà, il n´y a eu aucun accident, nos anciens assuraient le derrière de la scène pour que personne ne trébuche ni ne tombe, et surtout, pris dans la dynamique collective de cette foule surdimentionnée, il y a eu un effet de transe, tous conscients de vivre un moment unique, ont crée ensemble un événement exceptionnel, de ceux qui resteront à jamais dans les mémoires de tous. Et surtout, la mission première a été remplie – cette expérience servira de motivation formidable pour tous pour continuer de travailler, pour vouloir à tout prix se retrouver et recommencer. Notre première rencontre avec la troupe de Tamèrantong s´est ainsi très bien passé. J´ai été heureux d´avoir pu donner à ces jeunes le meilleur de nous, toute la spontanéité, le plaisir de faire de la musique non stop, de danser sans arrêt, cette sensation de fête infinie. Du tsigane pur. Ils le méritent bien, tous se sont investi pleinement dans le sujet rom, leur pièce est un vrai acte militant. Nous les avons ainsi raccompagné au soir, jusque dans leur bus, en musique, naturellement.   

Le lendemain, la même chose, mais à Savigny sur Orge. C´est toujours très périlleux que  devoir réitérer un événement exceptionnel tout de suite après l´avoir vécu. L´exceptionnel est constitué aussi par une grande part d´imprévu qu´on a réussi à maitriser dans le bon sens, alors comment faire pour retrouver les mêmes ingrédients, imprévisibles par définition. A Savigny les conditions matérielles sont bien meilleures que la veille. Un espace scénique  plus important, plat, pas de risque d´accident aussi prononcé qu´ à Igny. Plus de place aussi pour le public, qui devrait être plus nombreux qu´hier. Pareil, toujours la même constante, le même défi, il ne faut surtout pas décevoir les interprètes, qui ont connu hier une apothéose, un peu mouvementée, mais très réussie pour tous les participants. Aujourd´hui, les conditions seront plus „professionnelles“, on va pouvoir jouer le spectacle plus professionnellement. En tout cas, il faut essayer. Et réussir. On n´a pas le choix.

L´espace scénique aidant, et aussi un moral à toute épreuve après le méga-succès d´hier, finalement tout s´est très bien passé, juste un peu moins fou qu´ à Igny, mais très peu, il y avait aussi un solide brin de folie, indispensable aux mouvements de masse en géneral, et tsiganes en particulier. L´apothéose cette fois-ci, c´était ma main ensanglantée, j´ai réussi à me déchirer la peau de l´index droit en tapant sur la timbale déchirée qui me sert de percussion et de métronome... une vraie scène d´horreur. Mais, pris dans le vif du spectacle, j´ai continué comme si rien n´était, ce n´était qu´un petit plus à la punk... Tout de suite après le spectacle, fidéles à nos habitudes,  nous montons dans le bus pour faire la route du retour dans la nuit, épuisés, éreintés, mais avec ce sentiment irremplacable, de travail bien fait...

Un spectacle réussi, c´est bien plus qu´une déambulation et articulation plus ou moins savante ou performante sur scène.  Nos productions et activités artistiques ne sont pas une fin en soi. C´est avant tout un moyen pour entrer en contact et surtout le maintenir par la suite, avec des groupes en exclusion et les inclure sur du long terme dans un processus de socialisation et d´intégration(mais pas d´assimilation, puisque notre terrain d´action, c´est leur culture originelle). Ce processus passe par la découverte des concepts fondamentaux de cohabitation, l´appropriation des bases élémentaires de communication dans les rapports humains, jusqu´à une forme suppérieure d´investissement dans l´effort, à travers un travail en collectif sur un projet en commun – celui d´une production artistique présentée en public, dans des conditions réelles de la pratique artistique professionnelle. Derrière tout ce travail sur les habilités artistiques, la maîtrise de la scène, la maîtrise de soi, du comportement devant les spectateurs, de l´autodiscipline, etc., est la volonté unanime d´influer sur la construction des jeunes personalités et charactères, la volonté de forger une saine confiance en soi, le courage d´aborder les questions identitaires, sur l´éthnicité, sur l´inclusion dans la société majoritaire.

Génetique sociale

Depuis ses débuts, Kesaj Tchave épouse cette ligne de conduite. Que ce soit soit dans les colonies-bidonvilles tsiganes des Carpathes slovaques, ou dans les camps des migrants rom des Balkans sur le territoire français. La coopération avec les Intermèdes Robinson nous a donné une ouverture sur  des publics nouveaux et différents de ceux que nous connaissions déjà, qui correspondent à la diversité de la population française d´aujourd´hui. Nous avons pu ainsi inclure dans nos activités aussi des enfants et des jeunes des cités, des migrants africains, des filles musulmanes de l´Afrique subsaharienne, des asiatiques, des maghrébins. Toute cette diversité qui fait désormais partie du paysage européen. Les populations que nous rencontrons ont en commun l´exclusion, la précarité, l´absence d´un projet de vie à long terme, puisque leur existence est rythmé par le changement incessant de lieu d´habitat, de déménagement continuel, au gré des expulsions, des aléas de l´exil. Les enfants ne sont jamais responsables de la situation administrative de leurs parents, et ne doivent en pâtir d´aucune sorte. L´accés a l´éducation est un droit universel...

Dans cet environnement, il est  très difficile de maintenir un contact sur du long terme, puisque ces populations sont constamment dans un mouvement perpétuel, imprévisible. Un autre obstacle majeur dans la communication est la différence fondamentale des concepts des valeurs et priorités, résultante de l´environnement spécifique des jeunes que nous rencontrons.

Les événements tragiques dont nous avons été témoins récemment, dont sont les acteurs les jeunes des cités, mettent en exergue l´absence des repères, de valeurs, des populataions résignées, incapables de résister, de se défendre contre des influences malveillantes. Autrement dit, ce sont des gens „éteints“, sans ressort, sans espoir, sans foi dans l´avenir, indifférents, apathiques. Des victimes idéales pour toutes sortes de dérives extrémistes.

La dynamique culturelle et sociale que véhiculent en eux les roms slovaques, est en occurrence un excellent outil d´éducation sociale, une faculté de communication rare. L´expérience du combat pour la survie au quotidien, forgée au cours ces siècles, a produit une perception de la réalité très simple, très pratique, de la réalité de tous les jours, dans la quelle la résignation n´a pas de place. Il faut se battre. Se battre pour la survie au jour le jour, pour trouver de quoi manger, pour construire sa cabane que le bulldozer a rasé le matin.

Nous ne voulons pas nous complaire dans des mirages romantisants à l´eau de rose. Nous sommes trop en contact direct avec la réalité du terrain pour nous permettre un tel luxe. Nous constatons juste que les roms slovaques originaires des colonies-bidonvilles, qui de par leur exclusion subissent une vie en autarcie très prononcée, eh bien ces Roms, éternels reclus de la société, exclus, marginaux chroniques, aux quels jamais personne, ni eux-mêmes d´ailleurs, n´arrive pas à trouver quelque chose de positif, eh bien, pour une fois  ces Roms, ils ne sont plus la matérialisation de « l´éternel négatif universel », mais apportent ici, ce que les autres n´ont plus, leur soif de vivre et la capacité viscérale de profiter pleinement du moment présent. La vie. Leur faculté d´extérioriser leurs sentiments et leurs émotions par la pratique spontanée du chant et de la danse, qui, plus que de simples pratiques artistiques, sont des vecteurs de cohésion sociale. Et, le plus surprenant est, que malgré les différences culturelles, linguistiques, sans parler d´origines géographiques (il s´agit en fait de rencontres de jeunes de continents différents), ça prend. Une espèce de génétique sociale intercontinentale agit de sorte que les  africains ou des européens de l´ouest arrivent à s´approprier ces comportements  sociaux positifs, propres aux roms slovaques. Et ceux-ci se retrouvent à l´exact opposé de l´image de rebut qu´ils véhiculent habituellement. Cette opportunité de représentation  positive est rare et mérite d´être soulignée.

 

Le bac – l´oral

Après l´immense stress et l´immense succès des examens de l´écrit du mois de mars, il est inutile de dire que tout le monde était comme sur un nuage... Mais l´oral approchait à grands pas, et de nouveau, il fallait faire face à l´implaccable réalité, et tout faire pour éviter une dégringolade vertigineuse du haut de nos cumulus. Car, si l´écrit s´est bien passé, cela ne voulait pas dire qu´ à l´oral il en sera automatiquement de même. Le seul remède, c´est le travail, au quel nous avons, comme d´habitude, un peu de mal à astreindre nos étudiants, qui se voyaient déjà leur diplôme en poche.  L´oral comportera de nouveau les langues, avec en plus le romani et aussi la géographie. Alors nous organisons, fidéles aux coutumes ancestrales, des ateliers de rattrapage de groupe, pour tenter de remédier au carrences de toute une scolarité... Ce n´est pas en quelques semaines que nous allons réussir cet exploit, mais pareil, il faut motiver les troupes, pour qu´au moins tout le monde se présente aux examens,  qu´il n´y ait pas de désistements inutiles. 

C´était à nous de fixer la date pour l´oral, nous avions le choix entre la fin mai ou le début de juin. Nous avons opté pour la seconde solution, espérant un peu de répit pour étudier encore. Mais, mal nous en a pris, et cela, nous l´avons compris que plus tard. Car, reculant l´échéance de l´examen oral, nous nous sommes exposés, sans le savoir,  à une autre épreuve, pour ne pas dire calamité, d´une toute autre envergure. En effet, au fur et à mesure que le temps passait, la commission nationale a eu le temps de corriger toutes les copies de l´écrit, et en tirer des conclusions. En ce qui nous concernait, après la joie et l´immense satisfaction de découvrir que tout le monde a réussi à l´écrit, ce qui était inespéré, et que notre quotient de réussite était même supérieur à la moyenne nationale, ce qui était inconcevable, et nous enivrait de bonheur, s´en est suivi un dégrisement des plus cruels, quand nous avons appris deux jours avant les examens, que nous aurons la visite d´une inspection académique durant les épreuves à l´oral. Hiroshima. Nagasaki. Le ciel nous tombait sur la tête. Ce n´était même pas la peine de pleurer sur notre sort et d´accuser le Ministère de l´Éducation de parti pris contre les Roms, il était évident, que devant les résultats incroyables que nous avons atteints à l´écrit, les autorités de tutelle ne pouvaient réagir qu´en envoyant une inspection pour vérifier sur place cet incroyable fait qui relevait du surnaturel... Et, en reculant la date des examens, nous leur avions laissé le temps de faire les analyses  qui s´avéraient à la suite de notre succès magistral et en tirer des conclusions.

 

Le bac – l´Inspection académique

Une inspection académique. Constituée de deux inspecteurs, un homme et une femme, venant de l´Académie scolaire de la Région de Prešov, envoyés pour veiller au bon déroulement des examens, et aussi, par la même occasion, pour jetter un coup d´oeil à toute l´administration et paperasserie de l´école. Bonjour les dégâts! A nos yeux, cela voulait dire que les chances que notre établissement soit fermé sur le champ, n´étaient pas minimes, mais au contraire, bien réelles et concrètes. C´est comme si c´était fait. En effet, l´administratif est notre point faible par excellence. Astreints à la longueur de l´année à des activités qui dépassent largement le champ d´imagination académique, du fait de la spécificité de l´habitat et de l´environement social de nos étudiants, nous négligeons parfois, il faut bien le dire, ou nous n´arrivons pas à être toujours à jour ni au niveau de toutes les innombrables formalités administratives, dont raffollent et regorgent les buraucraties scolaires de par le monde. C´est partout pareil, les profs sont submergés par des tonnes de rapports, analyses, papiers, et encore du papier, le régne de la paperasserie, que dis-je, le dogme, idolâtrie du tout bureaucratique...  Connaissant parfaitement nos lacunes en ce sens, nous sommes parfaitement conscients, qu´il suffit d´un peu de „bonne volonté“ à l´inspection, et elle peut décider de fermer notre établissement sur le champ. Tant pis pour le bac. Inutile de dire que notre moral est endessous de zéro, la salle des profs a tout d´une chambre mortuaire, difficile de positiver dans de telles conditions. Mais il ne faut surtout rien dire aux élèves, il ne faut pas qu´ils aient le moindre soupçon de la situation, on risquait de ne pas les voir du tout. Dans cet atmosphère lugubre, soudain un rayon de soleil, l´inspectrice nous passe un coup de fil, comme quoi il n´arriveront que l´après-midi, le matin, hélas, ils ne pourrons pas être là. Ouf! Ce sursis inattendu remet un peu d´espoir et du baume au coeur. Le matin ont lieu les matières les plus délicates, l´après-midi,  il n´y aura plus que l´anglais, le slovaque et le romani, cela nous laisse quelques chances tout de même. Et puisqu´ils ne seront là que moins de temps, logiquement, ils auront moins d´espace pour éplucher nos papiers administratifs à hauts risques. Ravivés par cette excellente nouvelle, nous pouvons attaquer le russe et la géo, le slovaque et l´anglais seront pour tout à l´heure,  avec les inspecteurs.

Pareil qu´à l´écrit, cela se passe pas trop mal. Hormi nos profs, il y a la commission extérieure, c´est les mêmes qu´ à l´écrit il y a un mois, les étudiants les connaissent déjà, ils sont en confiance et il n´y a pas de stress inutile.  Nous sommes un peu plus sereins pour recevoir les inspecteurs, mais quand ils arrivent, personne ne se bouscule au portillon pour les accueillir, c´est à moi que revient ce privilége héroïque, je suis quand-même un homme du spectacle, alors, je n´ai qu´à faire mon boulot, faire paraître que tout va bien dans le meilleur des mondes. Je n´ai pas trop de mal à m´affranchir de cette mission, à la scène, comme à la vie, avec un grand sourire professionnel pour le meilleur des dentifrices je vais à l´encontre de nos inspecteurs qui garent leur voiture.  On échange les propos de politesse. Le voyage n´a pas été trop long? Non, tout va bien et vous? Nous aussi, parfait, bla bla... Et tiens, me demande l´inspecteur, avec un beau sourire, qui sait, peut-être a-t-il fait, lui aussi, du spectacle dans sa vie... Monsieur Akimov, c´est quoi cette bouteille qui est derrière la voiture, là devant nous? Ah, c´est ma voiture, réponds-je tout affable, oui, c´est certainement des étudiants qui ont laissé traîner une bouteille d´eau minérale entre deux épreuves, les malotrus, il faut que je fasse tout après eux... je m´exclame, plein de bonne foi. Mais non, ce n´est pas une bouteille de d´eau minérale Mr. Akimov. Ah, vous croyez, Mr. l´inspecteur. Mais oui, Mr. Akimov,  regardez, là, de plus près, c´est une bouteille de congac...!

Excellente entrée en la matière! Bien sûr, il avait raison. Ces enfoirés d´étudiants, épuisés après leurs épreuves du matin, ont eu la bonne idée de siffler en catimini une petite bouteille de fernet, et de la laisser magnifiquement traîner derrière la roue avant de ma voiture, en plein devant les yeux des inspecteurs à leur descente de la voiture. Quel accueil! Heureusement que mon sourire professionnel était de béton,  sinon j´aurais avalé ma cravate de travers... Mais l´inspecteur était un homme d´expérience, il a du en voir d´autres au cours de sa carrière, tout compte fait le petit incident qui aurait pu être une grosse gaffe tragique a contribué à détendre l´atmposphère, du moins c´est ce que je m´astreignais à me persuader  en mon for intérieur...

Mais, finies les civilités, politesses et surprises pittoresques, l'inspection est venue pour inspecter, alors que notre destin s' accomplisse! L'inspecteur demande  les notes administratives, les rapports, les fiches, les factures, les... bref, toutes les paperasses relatives à l' année  en cours. On a passé tout le weekend à mettre de l´ordre dans tous ces trésors de la bureaucratie scolaire, alors on lui livre, tout fiers, une pile de dossiers d'un bon mètre de hauteur, de quoi l'occuper pour le restant de la journée. Advienne ce qu'il adviendra. L'inspectrice, une prof de slovaque et d'anglais, s'en va inspecter directement dans la salle des examens. Nous sommes déjà un peu plus sereins, car les matières à problèmes ont eues lieu le matin. Le slovaque et l'anglais ne devraient pas poser trop de problèmes dans l'ensemble, sans parler du romani, qui sera une sinécure... Et là, une autre surprise attendait notre inspectrice, encore plus inattendue et incongrue que celle de tout à l'heure, avec la bouteille près de ma voiture. Qui sait à quoi s'attendait notre brave académicienne d´inspectrice lorsqu'elle venait s´assoir derrière le bureau de la commission des examens. Elle en a vus, des étudiants passer leur bac. Des slovaques, tchèques, ruthènes, hongrois, des ukrainiens, des polonais, des croates, toutes les nationalités et minorités éparpillées de par notre beau pays du coeur de l´Europe... Mais des Tsiganes, non, jamais. C' était une première pour elle, tout autant que pour nous tous. Alors, comme elle nous l'a relatée après, elle s'attendait à voir déambuler des ados plus ou moins délurés, comme tous les ados, pas très affables, morts de trac, sans la moindre trace de politesse, et encore moins de sourire. Bref, des ados, comme tous les ados, peu importe qu'ils soient tsiganes ou non, mais sachant que ceux qu'elle allait voir sortaient tous des bidonvilles, obligatoirement, elle ne s' attendait à rien de bien vaillant...

Le premier à passer était Tomas. Habillé comme s'il sortait de Harvard, grand sourire aux lèvres, parfaitement décontracté, dans un anglais tout à fait correct, à l'aise, naturel, lui disant d'abord Hello, ensuite how are you... etc. De la politesse élémentaire, du savoir vivre,  un charisme naturel. On en oubliait complètement qu'il sortait du bidonville... Venait ensuite Klaudia. Pareil, la même avenance, un sourire de star, mais sans en rajouter, une confiance en soi rassurante, une aisance et un bien-être communicatifs. Et à cela s' ajoutait une pratique de la langue tout à fait honorable. L'inspectrice en chef n'en revenait pas. Du haut de ces plus de trente ans de carrière, elle n' à jamais vu cela. Tout le contraire de ces malheureux, mal dégourdis qu'elle côtoie habituellement aux examens, qui correspondent parfaitement à l'image internationale de l'ado sous toutes les latitudes du globe, pas trop éveillé, sans la moindre notion de politesse ou du savoir-vivre élémentaires... Dire bonjour, et quoi encore?! Et là, ils lui ont même demandé comment allait-elle et lui ont offert des fleurs. De la courtoisie sur les bancs des examens. Elle n´a jamais vécue cela!

Inutile de dire que nous étions pas peu fiers! Enfin, nos années d'efforts et de labeur récompensées. Avant d'apprendre les maths et la géo, apprendre à dire bonjour, merci... Une pédagogie à la papa, maman, familiale, de proximité... avec le bac à l'arrivée, tout en partant du bidonville.

Nous étions rassurés par ce départ en positif, pour les autres ça se passait pas trop mal, non plus. Restait à savoir les résultats de l'inspection administrative. Tout pouvait arriver, on ne le saurait que dans quelques semaines, avec le rapport écrit qu'ils nous enverront. Mais peu importe. L'essentiel était, que suivant la pratique de rigueur  en Slovaquie, le résultats des examens devaient être prononcés le jour même, donc en l'occurrence, le baccalauréat était obtenu par l'ensemble de nos étudiants. Qui plus est, 6 ont eu la mention excellent et 3 très bien. Et avec l'aval de l'Inspection académique, présente lors des examens, donc certifiant du sérieux et bien fondé de notre promotion 2016. Nous étions tenus de consigner officiellement les résultats, des les faire suivre immédiatement au Ministère, et d'écrire les diplômes afin de les distribuer le lendemain. Ça, c'était l'essentiel. Peu importe, même si l'Académie venait à fermer notre établissement suite à l'inspection administrative qui venait d' être effectuée, et dont nous ne connaîtront les résultats que plus tard, en aucun cas, personne ne pourrait plus jamais retirer les diplômes à nos étudiants. Ça, c'était le principal!

Un truc pareil, ça n'est encore jamais arrivé ! Forts de nos expériences antérieures, nous n'en faisons pas trop écho, le succès attire toujours la jalousie, ce n'est pas la peine de provoquer. Mais il va sans dire que le lendemain, lors de la remise de diplômes, nous fêtons dignement, comme il se doit, à la tsigane, avec musique et une énorme tarte au chocolat avec „Vive le bac“ écrit en lettres de caramel, cet événement planétaire, dont nous sommes parfaitement conscients  de l' exceptionnel, on pourrait presque dire du surnaturel...

 

L´allocution

Bien sûr, la nouvelle se répend comme une traînée de poudre. D'autant plus qu'un événement, bien qu' anecdotique, mais non moins exceptionnel pour cela, venait couronner le tout. Nous avons invité à la remise des diplômes quelques uns de nos amis et supporters demeurants dans la région. Parmi les quels, Igor Ludma, un de nos fans de nos premieres heures, journaliste au quotidien Novy Cas, le journal le plus lu dans notre pays. Plutôt populo et people sur les bords, mais peu importe, Igor nous a toujours fait des excellents articles. Bien que nous ne voulions pas faire trop de bruit avec cette affaire, craignant des répercussions négatives de la part de notre entourage professionnel proche (nous avons déjà souffert par le passé de dénonciations anonymes, et la dernière inspection était paraît-il aussi du même acabit), nous ne pouvions pas le refuser, tellement il insistait pour partager avec nous ces instants de bonheur. Sérieux, insistant sur le côté officiel et solennel, nous avons passé la consigne que tous soient présents pour cet acte mémorable,  fixant la remise des diplômes à 10h précises. Tout le monde était là. Les frais bacheliers, le corps enseignant, quelques amis, de la famille... Je cherchais encore Igor, puisqu'il a tellement insisté pour être là. Ça serait bête qu'il rate maintenant le moment crucial. Mais il n'arrêtait pas de traîner dans les couloirs à passer des coups de fil. Et tout le monde était déjà là, tous, assis sagement, attendaient avec impatience ce moment grandiose. J'ouvre encore une fois la porte du couloir. Igor, une fois de plus, le portable à la main, parle à un quelconque André, de l'autre main il me fait signe d'attendre. Bon, Igor, il est sympa, mais j'ai les nerfs, il a tout fait pour venir à la cérémonie et juste quand c'est le moment crucial il n' arrête pas de baraguiner avec son pote André! Tant pis, j'y vais, ça lui apprendra. Je ferme la porte, laissant derrière Igor raconter sa vie à Dédé, et je donne le signal à Dusan, le prof de la classe de bacheliers, pour qu'il inaugure le cérémonial avec son discours. A peine qu'il a commencé, la porte s'ouvre et Igor rentre, son portable à la main. Mais qu'est ce qu´il lui prend! Il a bu un coup, ou quoi?  Connaissant Dusan, et son trac pour parler en public, si maintenant l'autre vient pour l'interrompre, ça va être la cata... Je me tourne pour calmer Igor, mais celui-ci, brandissant son mobil réussit à dire : Mesdames, Messieurs, chers bacheliers, le Président de la République, Mr. Kiska tient à vous congratuler personnellement. Oui, son pote André, c' était Andrej Kiska, le Président de la République Slovaque en personne! Tout le monde se léve, et tous écoutent solenellement, c'est le moins qu'on puisse dire, tous en garde à vous, écoutent pieusement le Président leurs adresser ses félicitations à travers le portable d´Igor, que je brandis à la vue et l´ouïe de tous, copie conforme de la Statue de la Liberté avec sa troche à l´entrée de NY. Il ne me manque que l´auréole, mais ma tignasse jamais peignée peut faire l´affaire.... La tête de l´État, de l´exécutif, le chef des armées, en direct, en personne. Inutile de dire, qu'un instant pareil, ça ne s'oublie pas. C' est un souvenir pour la vie. Igor a la bonne idée de filmer le tout, et le soir même c'est dans les infos de la plus grande chaîne des info en prime time et le lendemain il y a une double page en couleur dans Novy Cas. Toute la Slovaquie est au courant! Bon, pour la discrétion, c'est un peu râpé, mais peu importe, il était capital que cette information soit parvenue au plus grand nombre. Que tous sachent que des Tsiganes peuvent aussi bien postuler au bac, qu'ils l'ont eu, et que c'est comme ça! Notre cher Igor a excellemment bien fait les choses. Cet événement dépasse  notre stricte cadre personnel et individuel. Cet exploit appartient à tout le monde.

La semaine suivante nous devons partir en tournée. Heureusement, car tout le monde avait besoin de changer d'air, de décompresser. Avant, il fallait encore passer au Conservatoire supérieur de Košice pour les examens d'entrée de Stefan, Rasto, Vladko et Tomas. Klaudia et David font un aller-retour à Bratislava pour l´inscription à la Fac d'Économie. Les autres sont admis à la Fac des Sciences sociales à Levoča et Mario veut entrer au séminaire.

Tout cela constituait un bilan super positif. Inouï. Seule petite ombre au tableau, nous n' avons toujours pas reçu le rapport de l'Inspection académique et nous étions toujours dans l´expectative quand à notre sort. Allons-nous pouvoir continuer à enseigner, ou va-t-on nous fermer? Tout est possible. Mais nous gardons quand même un lueur d'espoir. Ça serait bête de s' arrêter en si bon chemin...   

Nous profitons encore du passage de l´Atelier d´écriture Caracole, qui nous aide à organiser un spectacle scolaire à Hranovnica et vite fait un  dernier spectacle pour une foire populaire à Sabinov, la veille du départ. Et c´est le départ. Vu les événements qui viennent juste d´avoir lieu, nous n´avons pas le temps ni la disponibilité de nous occuper des problèmes qui surviennent habituellement avant les départs. A savoir les éternelles questions qui va partir ou non, qui n´a pas de chaussures ou sous-vêtements... bref, les habituels petits chantages qui sont de rigueur avant les départs n´ont pas lieu, tout le monde sent qu´on a pas les nerfs à ça, viendront ceux qui viendront, tels quels, sinon ils peuvent aussi bien rester à la maison. Alors tous viennent, sans rechigner ni demander quoi que ce soit.