2024

Samedi 18 mai 2024, Saint Denis
 
L´Insurrection Gitane 
La commémoration de l´Insurrection Gitane à Saint Denis, par l´association la Voix de Rroms, fait partie de nos destinations traditionnelles depuis pas mal de temps. Le tout est organisé par Saïmir Mile, le directeur de ladite association, un militant de la cause rrom dans tous les sens du terme, qui, heureusement, après des années tumultueuses de sa jeunesse lorsqu´il n´était pas simple à cohabiter, a réussi à trouver un équilibre tout a fait praticable, et on peut se lancer dans des projets avec lui en toute tranquillité. Bien sûr, il y a toujours des imprévus, comme sa subvention de la Dilcrah, qui tout comme celle qui nous concernait, n´est pas passée, donc il n´y aura pas de cachet ni de défraiements, juste un ravitaillement sur place. Lorsque nous arrivons vers les 14h30 il fait un cagnard de tonnerre, le soleil bat son plein, il y a juste une tente à côté de la scène pour mettre ses affaires, mais pas pour s´y réfugier, car à l´intérieur on se croirait au Sahara, il n´y a pas non plus de toilettes, bref, tout pour plaire.
 
Mais, nous sommes habitués, les militants c´est toujours comme ça, sympathiques et dévoués, mais un peu à coté de la plaque en ce qui concerne la logistique élémentaire. Sur la scène il y a une rangée d´intervenants rroms et non-rroms, qui interviennent sur le sujet de l´antitsiganisme, autant dire que ça ne rigole pas, le micro passe des mains des uns et d´autres, en l´occurrence, des unes et des autres, car il y a une majorité de femmes, des romni comme il est de bon usage de dire en ces lieux de militantisme aggravé… 
Oui, là je charrie un peu. Du fait de mon appartenance à la gent du spectacle, j´ai toujours un petit à priori par rapports aux militants de tous horizons, c´est l´expérience des années qui parle, mais je suis conscient de ne pas être objectif, et je salue le mérite de ces gens qui s´engagent pour des causes qui leur tiennent à cœur, même si le tout n´avance que très lentement, si ce n´est pas du sur place. Et cela est tout aussi bien valable pour nous, qui sommes de la culture, que pour nos amis de la politique. Mes impressions proviennent toujours à cause de cette gestion défaillante de tout ce qui concerne la logistique et le matériel, dont font preuve nos amis militants, qui pour nous, qui sommes avec des enfants et des jeunes, est primordiale, et bien entendu pour des combattants révolutionnaires, ce n´est que du détail insignifiant, il y a bien des choses plus importantes au niveau universel à traiter. Mais en attendant, pas de toilettes, les cafés autour de la place refusent des clients non consommateurs, alors on commande des cafés pour palier au plus urgent. Par contre rien à dire au niveau de la restauration qui est assuré par un couple de Roms roumains, et dont les sarmelés sont plus que délicieux. 
Hélas, c´est un peu trop innovateur pour nos jeunes qui débarquent pour la première fois dans la gastronomie roumaine, heureusement il y a des poulets frites pour les frileux des découvertes culinaires balkaniques. Tout le monde doit manger, c´est un ordre ! On récupère les provisions que nous a apporté un bénévole, Jacques-Olivier, suite à l´appel qui a été lancé par la Fnasat et on se prépare pour le spectacle. Il y a quelques Roms roumains qui profitent de l´occasion de cette manifestation contre l´antitsiganisme ambiant pour récupérer ce qu´ils peuvent, qui sont outrés qu´on nous donne des provisions à nous, et pas à eux. Pourtant, il n´y a pas grand-chose, Jacques-Olivier a fait de son mieux, mais ça fait juste quelques sacs avec des rillettes et des yaourts, plus un paquets de couches pour les petits de Roman au pays, mais ce n´est pas passé inaperçu et ça va causer des problèmes au brave Jacques-Olivier, car ils se connaissent, puisqu´il essaie de les aider aussi, sauf aujourd’hui… bonjour l´antitsiganisme.
La scène est toute petite, encore plus petite que les années précédentes. La Mairie de Saint Denis n´a accordée qu´à la dernière minute l´autorisation à la Voix des Rroms pour leur événement, et ils font avec ce qu´ils peuvent. Donc on ne sera pas sur scène, on se produira sur le parterre devant, il y aura quelques rangées de chaises pour les spectateurs, heureusement, le sol est correct, on pourra évoluer sans danger. Pour le son, comme toujours, il n´y a rien à espérer. Il y a du matériel de sonorisation sur scène et un gars pour s´en occuper, mais il n´a reçu aucune information nous concernant, donc on fera avec ce qu´il y a, c.à.d. avec rien. Mais au moins il est sympa, il essaie quand même de faire quelque chose, il colle avec du scotch un micro contre notre petite enceinte, à la Kusturica, ça donnera ce que ça donnera. Par contre son patron, le propriétaire de la sono verrait bien les choses tout à fait différemment, sans savoir du tout qui et comment nous sommes, il veut prendre la direction des événements en nous installant sur scène, mais nous, vieux routards de ce genre de manifestations et connaissant parfaitement ce type de personnages pour les avoir pratiqués maintes fois, on fait à notre guise sans s´émouvoir le moins du monde, et ce n´est pas plus mal comme ça.
On attaque gaiement, j´ai prévenu et harangué tout le monde, que plus les conditions sont difficiles, plus il faut y aller à fond, surtout ne pas se ménager, car ce serait encore pire. Heureusement, il y a encore l´énergie débordante des premiers jours, et on envoie un spectacle tout ce qu´il y a de honnête, les jeunes se donnent sans se ménager, et tout se passe pour le mieux. Il y a une bonne foule de spectateurs acquis, qui suivent et même interviennent au fur et à mesure de notre production. Des vieux, des jeunes, des bébés, des blacks, des ceux qu´on connaît, comme Cassandra ou Camo, et bien sur Roxana avec sa fille Zuli, qui prendra part activement à tout ce qui se passe sur scène, sans oublier Joana avec sa petite Stella de 2 ans qui ont participées à tout le spectacle, et d´autres qu´on voit pour la première fois, mais qui s´intègrent dans notre production spontanément, comme s´ils nous connaissaient depuis toujours. 
Ça donne un bon mélange, un espèce de bazar universel, rempli de bonne humeur et de joie d´être ensemble. Mais, l´air de rien, derrière cette bonne humeur et joie de vivre qui sautent aux yeux, derrière cette facilité déconcertante à manier le public, à initier des scènes de partage spontané, il y a tout un travail de longue haleine que nous menons pratiquement lors de toutes nos répétitions, habituant nos jeunes à ces situations de contact direct avec le public, à avoir les bons réflexes, à ne pas avoir de craintes, pas d´inhibitions, d´aller au devant de l´autre, d´offrir et pas que prendre, de recevoir de l´amour autant qu´en donner…
Miro, qui nous a donné il y a bien des années nos costumes splendides est là, malgré son état de santé fragile il est venu, on profite pour lui refiler quelques robes en mauvais état pour qu´il les rapièce et nous les rapporte  au prochain spectacle. Helena me chuchote à l´oreille que ce serait bien de lui rendre un hommage en public, ce que je fais volontiers avec le seul micro qui est à notre disposition, il vaut mieux tard que jamais. A la fin on fait danser tout le monde, personne ne rechigne à l´appel, c´est une sacré ronde qu´on forme à la fin du spectacle pour la farandole tzigane finale. 
Quelques rappels sous les applaudissements, et on laisse la place à Marcela, qui investi la scène avec quelques musiciens pour la suite. Marcela est une chanteuse rom slovaque qui entame  une bonne petite carrière sur la scène tzigane française, ce dont nous sommes très heureux. Car Marcela, nous la connaissons depuis toujours, quand elle était encore tout petite, chez nous, et cela nous fait plaisir de la retrouver des décennies plus tard en France. D´ailleurs nous avons été souvent en contact lors de nos tournées, ou lors du tournage du film Cigan avec Šulik, au quel nous l´avons fait participer avec son mari, Miro. Marcela y va de son couplet, envoie ses tubes disco, nos jeunes suivent et dansent devant la scène, elle les fait monter ensuite à côté d´elle, cela donne une bonne ambiance sympathique, un bon prolongement de ce que nous avons fait quelques instants auparavant. 
Vers les 18 heures tout doit s´arrêter, c´est la Mairie qui en a décidé ainsi, ce n´est pas très pratique pour les organisateurs, la Voix des Rroms, ils ne peuvent pas profiter de la buvette pour faire un peu de recette, donc encore un mauvais point pour notre cachet qui passera ainsi complètement à la trappe. On repart vers le bus, le trajet à Gironville nous prendra le double du temps habituel, on mettra plus de trois heures pour rentrer, la circulation en région parisienne est devenue infernale, on en fera les frais lors de tous nos déplacements. Une fois au Château, comme d´habitude, la cuisine fait le bonheur de tous, heureusement il a encore de quoi faire, nous avons fait les provisions solides en partant de chez nous, alors tout le monde ira se coucher le ventre plein. 

p.s.

Deux mois plus tard, en juillet, nous avons recu un coup de fil de Saimir, nous annonçant qu'après avoir fait les comptes il est en mesure de nous envoyer 500 euros pour notre participation a l´Insurrection. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le virement est passé quelques jours plus tard, nous en remercions Saimir et la Voix des Rroms.