Insurrection avortée

 

Cirkus

Par contre au moment du départ de la Fete de la Danse a Geneve, nous étions servis en termes de stress et impondérables sortant largement de l’ordinaire. Mais cela n’avait rien à avoir avec nos hôtes, que nous avons quittés en on ne peut de meilleures termes. C’est de l’étape suivante qu’il s’agissait. Il était convenu qu’après Genève nous monterons à Paris pour donner deux spectacles au Cirque Romanès, dans le cadre du « Tchiriklif », leur manifestation culturelle tsigane plus ou moins annuelle, à la quelle nous avons déjà pris part par le passé. C’est Délia qui nous a contactés, le Tchiriklif, c’est son affaire de cœur, manifestement elle y tient beaucoup, alors nous acceptons de faire ce détour considérable, qui prolongera notre tournée d’une semaine, mais nous en profiterons pour organiser aussi quelques ateliers avec les Intermèdes. Le tout était convenu assez longtemps à l’avance, les Romanès se sont engagés à participer à la couverture de nos frais de transport et Délia a mise en branle une bonne campagne de communication pour l’événement, comme elle en a le secret. Les choses se sont gâtées déjà, lorsque nous avons appris que le Château de Buno ne pouvait pas nous recevoir, un contre temps fâcheux avait fait qu’il y avait déjà un autre groupe de prévu dans ces dates. Les jeunes cadres du Nouveau Parti Anticapitaliste de Poutou ont réservé tout le château pour y bûcher sur les textes de Marx et Engels afin d’être prêts pour la lutte finale. Manifestement, un cadre idéal pour disserter sur la lutte des classes… Bien que d’obédience prolétaire, nous aurions du mal à faire bon ménage avec ces fins intellos de la révolution ouvrière, il n’était pas question de partager le même espace, la révolution tsigane ayant des particularités au niveau des décibels, que le bras armée de la révolution prolétaire aurait sans doute du mal à digérer. Bref, nous nous sommes mal organisés, et nous nous retrouvons dans une vraie galère pour trouver vite fait un hébergement de remplacement. Avec Laurent on essaie toutes les pistes possibles, partout c’est une question de sous, il faut payer, et en plus les endroits ne sont pas très alléchants. Après avoir fait le tour des associations humanitaires, c’est sur un Formule 1 que nous jetons notre dévolu, on en réserve un pas loin des Intermèdes, pour qu’on n’ait pas de longs trajets à faire pour aller aux ateliers. Le plus simple pour nous, aurait été d’annuler le passage à Paris, mais Délia a déjà fait toute la pub pour sa soirée et on ne voulait pas lui faire de sale coup en se désistant à la dernière minute. Il nous fallait encore trouver un complément de financement pour les frais de transport, l’apport des Romanès ne couvrait pas tout. Alors nous avons accepté la proposition de l’association la Voix des Rroms, qui organisait le même jour une manifestation de rue à Saint Denis, dans le cadre de la Commémoration de la Journée de l’Insurrection Gitane. Cela fait déjà plusieurs années qu’ils nous sollicitent pour, mais jamais nous n’étions disponibles, alors là c’était l’occasion parfaite d’y passer. Ils n’ont pas beaucoup de moyens, mais peuvent quand même dégager un petit cachet, juste ce qu’il faut pour nous permettre de rentrer dans nos frais et dans notre pays… Leur manifestation était prévue dans le courant de l’après-midi, de Sait Denis à la Porte Maillot, ce n’est qu’un saut, nous pourrons tranquillement rejoindre le châpiteau des Romanès pour le spectacle du soir, en s’arrêtant même au MacDo sur la route. Tout le monde mériterait bien cette récompense…
 
 
Je savais bien qu’un léger différend opposait Délia à Saïmir, le responsable de la Voix des Rroms, une association militante rrom du 93, qui nous invitait militer à Saint Denis. Elle voudrait juste l’assassiner, mais ce n’était pas méchant, d’autres bénéficient des mêmes preuves d’affection de sa part, et ne s’en portent pas plus mal. A l’origine de ce trop plein de l’amour de son prochain, et rrom de surcroît, était soi-disant, un projet de Centre culturel tsigane, que Délia aurait enfanté par écrit, et que les vils Voix des Rroms lui auraient volé pour le proposer moyennant grosses finances au Conseil de l’Europe, qui n’a pas hésité une seconde, a ouvert larges les portes de ses coffres et a submergé Saïmir d’espèces trébuchantes… Bref, je passe les détails, une histoire qui ne tient pas debout, mais en l’occurrence a le mérite de nous construire le décor d’un véritable guet-apens dans le quel nous sautons les pieds joins, sans avoir rien demandé…
 
Alors que notre séjour genevois touchait à sa fin, je passais un petit coup de fil à Paris, pour se mettre d’accord sur les détails de notre passage au Cirque. Et, je découvre au bout du fil, une Délia furieuse, donc en excellente santé, m’enjoignant de supprimer immédiatement notre passage à Saint Denis. Alexandre n’est pas en reste, il veut que je lui passe le numéro de Saïmir, pour qu’il puisse lui tirer dessus avec son pistolet. Par téléphone. Je ne pensais pas que la situation se dégraderait de la sorte. Je les avais bien prévenus que nous passions aussi à Saint Denis, ce n’était qu’une participation à une manifestation de rue, qui ne pouvait en aucune manière mettre en péril, ni concurrencer la production qui était prévue au Cirque, ce n’était pas la peine de faire tout ce cirque pour cela. J’étais sûr que cela s’allait s’arranger, et, doux délire, que cela pourrait être même l’occasion d’enterrer la hache de guerre entre les deux chapelles de la tsiganitude et rromitudes réunies. Que neni. J’essaie de raisonner Délia, mais, après une semaine de tournée, sympathique mais physiquement quand même assez éprouvante pour moi, je suis complètement aphone, et je ne tiens pas le coup devant Délia qui faillit me faire exploser mon portable de sa voix suave de dompteuse de fauves sourds muets. Oui, je suis pratiquement muet, et je n’arrive qu’à extraire quelques soupirs du fond de mes poumons, qui n’ont aucun effet sur la tornade au bout du fil. Effet comique garanti. Moi, chuchotant, l’autre vociférant. Mais il n’y avait aucune caméra ni témoin pour filmer ces tendres échanges de bons procédés, il est dimanche matin, tout le monde dort, et lundi nous devons monter à Paris. Vers midi je découvre sur le facebook des Romanès que notre spectacle est annulé. Sans commentaire, ni préavis et encore moins de consultation d’aucune sorte. Impossible de joindre Délia, et Alexandre est aussi aux abonnés absents. J’annonce la saugrenue nouvelle à  Saïmir, ça lui complique aussi la vie, lui aussi il a fait un peu de pub pour sa Commémoration de l’Insurrection gitane, alors je lui propose les Intermèdes en remplacement, car je ne vois pas comment je pourrais aller me fourvoyer dans cette galère. Et surtout, avec 30 jeunes. Déjà qu’on n’avait pas où dormir, maintenant on n’a plus où jouer. Saïmir arrive à contacter les Romanès, mais ils ne veulent rien entendre, aucun compromis, aucun dialogue n’est envisageable. Ils sont victimes d’un complot planétaire, c’est une aubaine qu’ils ne peuvent pas laisser passer.  La Voix des Rroms a beau proposer de participer aux frais de notre séjour parisien, afin que les Romanès ne se sentent pas floués, il n’y a rien à faire. Arrive le lundi, on fait les adieux à nos amis genevois, et on prend la route. A la première bretelle de l’autoroute il faut bien finir par faire un choix. Soit aller au nord, sur Paris, ou prendre sur l’Est, direction Vienne et Bratislava. Avec Helena, nous opterions volontiers tout de suite pour la seconde option. Malgré tout le succès de ce séjour sans problèmes, nous sommes tous les deux complètement fatigués, épuisés. Helena sort d’un long congé maladie, normalement elle n’aurait même pas du partir, et moi, je ne valais guère mieux. Mais le reste des troupes était en parfaite santé, une ambiance de tonnerre, tout le monde s’accorde à dire que c’est la meilleure tournée de l’histoire des Kesaj… Alors on tente encore l’impossible. On se gare sur une aire d’autoroute, et on passe en revue tout ce qui nous passe par la tête. On appelle Isabella, notre ancienne danseuse de St Denis, qui est maintenant chez les Romanès, pour qu’elle passe le mobil à Délia. Elle refuse de le prendre. On joint Misa, juge de la Kriss, le tribunal tsigane, expert en ce genre plaisanteries à se taper la tête contre le mur. Il refuse d’y aller, Délia est impraticable d’après lui. Impossible de dompter une dresseuse de fauves. Il est trois heures de l’après midi. Si on veut respecter les temps de conduite des chauffeurs, il ne faut plus traîner. Alors on part. Pour la Slovaquie.
 
Bien sûr, j’en ai lourd sur la patate, pour parler simple. Helena est furieuse. Normalement, on n’aurait même pas du avoir de quoi rentrer, l’apport financier des spectacles au Cirque devait compléter le budget au transport. Et là, on nous laisse avec trente mômes, sur une aire d’autoroute, sans le moindre souci de comment que l’on va s’en sortir. Heureusement, nos amis suisses, sans être même au courant de tout ce cirque, nous ont donné une petite rallonge sur notre cachet. Ils avaient fait un peu de bénef, alors ils nous l’ont versé. Comme ça. Sans histoires. Sans que l’on n’ait rien à leur demander. Ca change et dénote par rapport à tout ce qui est en train de nous arriver. Et cela nous évite de faire du stop ou la manche pour rentrer… Mais, somme toute, il y a pire dans la vie… Ce genre de réactions à fleur de peau, complètement dingues, illogiques dans leur démesure, pouvant porter une atteinte grave aux gens proches, qui ne le méritent pas le moins du monde, est plutôt courant dans notre environnement, dans notre monde, entre deux mondes, entre la terre et le ciel, des fois si près de l’enfer.  Heureusement que la musique éléve les esprits… Alors, yek, duj, trin, directement au ciel.
 
Je n’arrive même pas à être complètement furax contre les Romanès. On a vécu plein de trucs très sympa ensemble, la vie qu’ils mènent n’est pas de la tarte. Ils sont enfermés dans leur gypsy tour d’ivoire, et tout enfermement fait mal. Alors, bonne route aux roulotes qui font du surplace depuis belle lurette. J’envoie juste ce petit pamphlet à quelques copains qui sont au courant et qui ont compati. Et la vie continue…
 
Je reste sans Voix devant tout ce Cirque... Et je ne suis pas Rom, et encore moins Rrom.
 
Pour des causes indépendantes de notre volonté... est la formule consacrée. Elle n´est pas vraiment applicable dans ce cas, puisque c´est bien moi qui ai pris la décision de me produire chez les uns et chez les autres (en toute transparence). Je ne pensais pas provoquer un tel cataclysme. Je savais qu´un différent opposait nos partenaires, et j´osais espérer adoucir les angles, peut-être même trouver un terrain d´entente... Oui, je tiens du Don Quichotte. Bon, c´est raté, et c´est peu dire...
 
J´en suis désolé pour les Romanès, avec les quels nous avons un passé commun fait d´amitié et de respect. Voir partir en fumée plusieurs mois de travail sur la programmation de notre ensemble est navrant.
 
J´en suis désolé pour notre public, qui, me semble-t-il, était au rdv, et tout présageait un châpiteau bien rempli pour les deux soirées programmées.
 
C´est vrai qu´on aurait aimé passer par Paris, voir la Tour, comme disent nos gamins... Ça sera pour une autre fois.
 
Pourtant, à mon sens, il n´y avait pas de contre-indication pour les deux événements. On aurait pu très bien participer à la Commémoration de l´Insurrection Gitane dans l´après midi à Saint Denis et nous produire ensuite le soir au Cirque à la Porte Maillot, ce n´est pas si loin, en 3h on aurait pu faire le trajet, même avec des bouchons...
 
Contre mauvaise fortune, bon coeur.  Allez, ouste, au boulot, à l´école! On rentre de notre tournée plus tôt, et ce contre-temps nous permet de moins grignoter sur le temps scolaire des mômes, donc bosser plus à l´école! La Tour, on la verra une autre fois, et j´espère aussi, les uns et les autres, en de meilleurs dispositions et circonstances.
 
Puisque je vous le dis, Don Quichotte est mon cousin.
 
Ivan Akimov
 
Responsable du groupe Kesaj Tchave
 
Échange de courier et d´infos par fb
 
   
Delia Romanes
8 máj, 1:16
 
Le masque est tombé ! 
 
La ̏Voix des Rroms̋ a le souci de combattre les injustices que vivent les Tsiganes qu’ils appellent « Rom » et de faire connaitre sa culture…. 
Il y a 5 ans avec Délia mon épouse, nous avons créé TCHIRICLIF, le Centre Artistique Tsigane et Gitane et chaque année à Paris nous organisons pour Tchiriclif, une très jolie programmation. Cette année les 12 et 13 mai nous avions prévu les Kesaj Tchavé. 
La ̏ Voix des Rroms̋ puisque qu’ils défendent notre culture, nous leurs avions demandé d’annoncer sur leur réseau notre programmation. Non seulement ils n’ont rien annoncé, mais en catimini ils ont engagé le même jour les Kesaj Tchavé ! 
Pour beaucoup d’homme et de femme de ce pays les « Roms » sont des voleurs ! 
La ̏ Voix des Rroms̋ censé défendre notre culture nous oblige à annuler cette programmation prévue depuis plusieurs mois. Nous en sommes désolés… 
 
Cette triste affaire ne va pas n’améliorera pas l’image des Roms. Les responsables de cette triste affaire, Saimir Mile (Président de l’Association) et Madame Anina Ciuciu, il paraît qu’elle veut devenir juge. Je n’aimerai pas être jugé par elle... 
 
Alexandre et Délia Romanès
 
 
 
Bonjour Saïmir,
 
je viens d´apprendre via le fb que les Romanes ont annulé la programmation de nos spectacles chez eux.
 
Dans ce cas, je ne suis plus en mesure de monter avec toute notre troupe à Paris. Sans l´apport financier du Cirque, cela n´est pas possible. Donc nous ne pourrions pas participer à votre événement le samedi prochain. J´en suis désolé.
 
La troupe Aven savore, qui est à votre affiche, va pouvoir très bien apporter de la culture vivante, fraîche, dynamique, rom... comme nous aurions aimé le faire. Je te donne encore une fois le contact de leur responsable, Laurent Ott : 06 61 48 21 98
 
Je savais que les Romanes étaient très remontés contre vous, à cause de la "cause" du Centre culturel tsigane... Je ne connais pas les détails de ce litige, je considère en privé que vous tous, auraient pu trouver un terrain d´entente sur ce sujet, mais je n´en connais absolument pas les détails, et  je ne peux prendre aucune position publique la dessus. Et surtout, cela ne doit pas m´empecher de communiquer ni avec vous, ni avec les Romanes. Dit simplement, je trouve que tout cela, c´est de la connerie...
 
Hélas, c´est comme ca... J´esperais, en prenant le "risque" d´accepter ton invitation, de pouvoir implicitement intervenir pour arrondir les angles, hélas, il n´en est rien. Il faut pas rêver :)
 
Saïmir, s´il te plaît, quoi qu´il en soit, j´aimerais rester en dehors de cette triste affaire qui reflète l´état des relations entre les Romanes et La Voix des Rroms et qui ne me concernent en aucune manière. Je suis désolé pour ce contre-temps, j´espere ne pas causer trop d´ennuis par notre absence. Nous sommes actuellement à Geneve, nous nous apprêtions à monter aujourd´hui sur Paris, nous allons rentrer chez nous...
 
Stp., si tu as un moment, passe moi un coup de fil dans la journée, nous prenons la route avant midi.
 
Ivan