Jazz Manouche aux Tuileries
juillet 2010
Avec Colette nous nous souvenons que l’année dernière Marcel Campion avait organisé quelque chose aux Tuileries dans le cadre de sa Fête foraine. Nous n’en savons pas plus, à part que Mr. Campion est un homme d’affaires reconnu sur la place de Paris, toujours très pris et qu’il y a autour de lui pas mal d’artistes du milieu tsigane qu’il fait souvent travailler et qui, comme à l’accoutumé, même étant des connaissances du métier, ne vont pas se précipiter pour nous donner le contact pour l’approcher. Colette essaie de le coincer aux puces, à la Chope, mais sans succès. J’hésite à aller à sa rencontre seul, à l’improviste, craignant un refus illico, sans avoir le temps d’exposer le pourquoi de l’affaire. Alors, en désespoir de cause, nous envoyons Joana et Jenika, espérant qu’elles auraient la chance de le trouver et de lui transmettre notre proposition… Et le lendemain elles le trouvent aux Tuileries en train d’installer sa Grande Roue, il leur accorde 2 minutes et c’est ok pour un rdv avec moi! Aussi tôt dit, aussitôt fait.
Le jour suivant nous retrouvons Mr. Campion dans son café attitré de la rue de Rivoli, il écoute, il acquiesce, nous prend le spectacle pour le 13 ou le 14, comme on veut. Même au cinéma, il n’y a pas de pareils rebondissements. Cette fois-ci, c’est un réel sauvetage du débâcle total, de la catastrophe dans la quelle nous foncions. Notre euphorie n’est que proportionnelle au désespoir qui nous habitait quelques instants plus tôt, et dans une ambiance digne des tirages gagnants du loto nous quittons les Tuileries pour des lendemains radieux de la tournée qui vient d’être sauvée in extrémis. Je peux rentrer chercher mes troupes des bidonvilles et ghettos réunis. Une Justice existe, je l’ai rencontré au manège des Tuileries à défaut de l’avoir vainement attendu aux portes de la Mairie de Paris, via l’Europe de Bruxelles avec ses boniments pour lutter contre la pauvreté, la ségrégation, l’exclusion, la discrimination, et en veux-tu, en voilà… Bon, peut-être que je suis un peu expéditif avec la Mairie de Paris et Bruxelles, mais le fait est que nous aurions pu très bien donner quelques spectacles gratuits au Trocadéro, comme nous l’avions proposé dans notre projet Cultures sans Clôtures, cela aurait donné une vitrine aux gamins qui viennent des coins les plus miséreux de l’Europe pour se présenter sous un jour différent de l’accoutumée et aussi de leur donner à manger tous les jours, ce qui à mon sens n’est déjà pas si mal dans la Grande lutte européenne contre la pauvreté, comme ils disent…
...en effet, le spectacle du 14 juillet à la Fête foraine des Tuileries était pour nous capital. Vu que nous n’avions pour toute la tournée que deux productions officielles, il valait mieux ne pas en rater la moitié, donc il fallait que le spectacle aux Tuileries se fasse quoi qu’il arrive. Mais il est arrivé un gros orage et nos perspectives de jouer dehors partaient à l’eau, qui ne cessait de tomber par trombes du ciel. Au gymnase le toit commençait à fuir, mais nous étions prévenus et nous avons mis les lits de camp de l’autre côté, où c’était plus étanche. Au Tuileries il n’y avait aucun endroit à l’abri du mauvais temps, la municipalité a même fermé l’accès aux jardins à cause de l’eau de pluie qui n’arrivait plus à s’évacuer. Ne pas pouvoir honorer cet engagement aurait été pour nous catastrophique. Déjà, après notre accord au café, je n’arrivais plus à joindre Marcel Campion pour nous mettre d’accord sur les détails de notre intervention et surtout pour une confirmation, que je n’ai réussie à avoir juste le jour de mon retour en Slovaquie par sa secrétaire. Bien qu’il ait une renommée d’homme de parole, je craignais quand même qu’il se rétracte à cause du mauvais temps, et objectivement, on ne pourrait rien lui reprocher, le temps était pourri ! J’étais aux abois. Si ce spectacle tombait à l’eau, c’était le cas de le dire, notre tournée virerait à la catastrophe. Je n’en menais pas large. Nous nous sommes quand même pointés avec notre bus aux Tuileries à espérer une éclaircie, mais c’était tout le contraire, plus le jour avançait, plus le ciel s’assombrissait et la pluie n’en finissait pas de tomber. J’ai retrouvé Marcel Campion à son café habituel, certain qu’il allait me dire poliment que pour des causes indépendantes de sa volonté le spectacle était annulé… Mais non. Il était là, serein, me disant : « Monsieur, attendez un peu, dés que la pluie va s’arrêter vous ferez votre spectacle avec vos enfants. » Pour moi c’était pareil comme si j’étais en plein milieu du Sahara et que l’on me disait qu’il va se mettre à pleuvoir ! Mais je respirais enfin, puisque l’espoir était de nouveau permis, et que manifestement Mr. Campion ne se désengageait pas vis-à-vis de nous. J’essayais d’implorer les cieux pour que la pluie s’arrête, ça ne pouvait pas finir comme ça, tout a si bien fonctionné à la dernière minute, des miracles se sont produits à la chaîne, et maintenant nous resterons là, plantés devant les Tuileries immergées, avec ce qui était pour nous ce jour-là le contrat du siècle. Non, il faut que ça s’arrête ! Nous attendons une heure, deux heures, trois heures dans notre car, affamés, fatigués, sans pouvoir faire pipi, sans d’autre alternative que d’espérer que la météo devienne folle et change d’une minute à l’autre. Et c’est ce qui est arrivé. Mes compétences chamaniques que je ne soupçonnais pas jusqu’à lors ont dues êtres reconnues en haut lieu, tout à coup les nuages se sont dissipés, le soleil est apparu, et sans perdre une minute nous nous sommes rués sur l’espace des manèges pour vite tout de suite chanter, danser, avant que le soleil ne se ravise. La police est intervenue de suite pour nous calmer et Mr. Campion nous a gentiment dirigé vers la scène sur la quelle devait avoir lieu le concert du soir pour faire une rapide balance et commencer à jouer. Ce n’est que là que j’ai compris qu’en fait il s’agissait d’un Festival de Jazz Manouche au quel allaient prendre part aussi d’autres artistes, que nous allons participer. La scène était trempée, il n’était pas question de jouer avant au moins une heure. Peu importe, on en a vu d’autres, nous sommes prêts à jouer n’importe où, même à la piscine, donc pourquoi pas sous la scène, sur le gravier, sans micros, mais si, finalement le technicien du son nous en installe en vitesse quelques uns, mais nous avons déjà commencé, dansant sur le tapis de Dusan qui nous a déjà servi à Letanovce. Nous sommes sidérés de voir le public affluer je ne sais d’où, ravi de ce spectacle sous le soleil après le déluge qui vient de passer.
Ravi, nous voyons aussi Marcel Campion derrière la table de mixage suivre debout tout notre spectacle. Dans le public j’aperçois aussi d’autres musiciens qui viennent petit à petit pour le concert du soir. La plupart que je n’ai pas vu depuis des années, voire des décennies, mais qui ont fait partie de ma jeunesse des cabarets, et voir notamment Serge Camps avec un sourire émerveillé au fin fond du public, suivre attentivement nos jeunots avec à ses côtés Pierre Prokoudine Gorski me fait sacrément chaud au cœur. Nous envoyons un bon spectacle. Tout le monde était conscient des enjeux, et tout le monde était content aussi de ne plus croupir au fond du car et enfin bouger au soleil. Sans parler que j’ai fait miroiter à tous l’éventualité d’un tour aux manèges si tout se passait bien. Et tout s’est bien passé. Le spectacle et les « mini » artistes archi rodés, tout en conservant le côté spontané. Les défis mutuels en claquettes entre les grands et les petits, la grâce et la beauté des filles, les tempos et changements de rythmes comme à Broadway. Après une bonne heure, sans s’attarder aux compliments de tous côtés nous fonçons aux manèges pour encore un peu d’animation musicale, qui se prolonge avec des tours sur les attractions qui mettent le groupe en extase. Il y en a pour tous les goûts, les petits et les grands, et c’est pris en vidéo par le cinéaste attitré de Mr. Campion qui filme tout ça pour les besoins d’un document qui sortira en un temps record sur le net. Une autre heure passe ainsi très vite, les pieds dans la boue, mais les têtes dans les cieux, encore une aubade à Mr. Marcel devant la guinguette de la Fête foraine et après des remerciements mutuels chaleureux nous partons en vitesse pour Saint Denis où nous sommes attendus impatiemment à la soirée de soutiens aux Roms roumains expulsés la veille du Hanoul. Finalement ça a été tout le contraire de ce que je craignais. Marcel Campion est non seulement un homme de parole, mais aussi de cœur, nous l’avons très bien senti à la façon dont il a apprécié la présence de notre groupe. Il ne renie pas les Tsiganes et au contraire, il cherche à les mettre en valeur, à les aider. Si d’autres, de son rang, pouvaient le suivre…