Way2Roma
Les Roms de Gent, originaires de Košice, que nous avons eu l´occasion de rencontrer lors de notre concert, ont gardé la même structure sociale qu´ils avaient lorsqu´ils étaient encore en Slovaquie. Ceux qui étaient intégrés avant de partir, l´étaient aussi bien dans leur nouvelle patrie, et ceux qui étaient dans la marginalité en Slovaquie, le sont restés même en Belgique.
Lorsque, peu avant minuit, nous rentrions à l´auberge de jeunesse, nous étions accompagnés par une dizaine de jeunes roms slovaques d´ici, qui prenaient le même chemin que nous. Nous étions à l´arrêt du bus, eux, ils étaient de l´autre côté du trottoir, en face de nous, et manifestement, c´était à leur tour de se donner en spectacle. Ils y allaient de leur mieux dans la provocation – ils vidaient ostensiblement des canettes de bière, fumaient, crachaient, criaient... triste spectacle, alors que les plus jeunes n´avaient pas plus de neuf – dix ans. Il n´y avait personne d´autre que nous dans la rue, et nous leur servions de auditoire malgré nous. Bref, ils s´imposaient à notre attention d´une manière pas des plus civiles. Avec Helena nous sommes allés les voir pour essayer de leur parler, de les calmer. Au début sans succès, mais petit à petit nous avons réussi à nouer le contact, de toute manière c´est ce qu´ils recherchaient – et finalement il s´est avéré qu´ils sont comme tous les gosses à la dérive, en manque flagrant de reconnaissance et d´attention... On a pris le bus et puis le tramway. Toujours tous ensemble. Les slovaquo-roms belges, lorsqu´ils se sont trouvés de nouveau en spectacle devant les passagers, n´ont pas pu résister, ils ont repris leur cirque. Les nôtres, ils regardaient ces drôles de compatriotes, et ils avaient honte.
Pourquoi avoir fuit son pays en se plaignant d´avoir été les plus malheureux, maltraités, repoussés, discriminés... Pour que ici, dans leur nouveau pays d´acceuil, alors que personne ne les maltraite, ils font de nouveau tout pour qu´on les repousse, discrimine, ...pour qu´ils soient de nouveau malheureux? Quelle image d´eux-mêmes (et de nous) sont-ils en train de projeter aux yeux des Belges, qui ne les connaissaient pas plus que ça jusqu´ à lors?
A Gent nous sommes attendus au Way 2 Roma festival pour un workshop samedi et un spectacle le dimanche. Gent est une ville belge flamande, dont on dit que ce sont des Košice bis. Si l’on se promène dans les rues, c’est pareil, on peut y rencontrer les mêmes gens qu’à Košice – les Tsiganes de Košice. En effet, pour des raisons mystérieuses et inconnues du grand public, donc de nous, une importante colonie rom de Košice principalement, s’est établie depuis une vingtaine d’années dans cette petite ville qui n’a pourtant rien demandée à personne... Je me souviens avoir servi de traducteur il y a fort longtemps, lorsqu’un groupe parlementaire d’élus et sénateurs belges est venu en Slovaquie constater sur place les conditions de vie de nos Roms, suite à un premier rapatriement qui a mal tourné parce que les douaniers belges, pas très bien inspirés, ont marqués les enfants par des tampons à l’encre indélébile afin de les reconnaitre… Cela a fait un scandale politique. Le gouvernement en place a failli carrément tomber. Une famille a portée plainte au tribunal européen et ils ont gagné. Moi, je me souviens des gosses qui se marraient en repassant au stylo bille les restes de leurs cachets sur les bras qui s’effaçaient peu à peu… Le fait est, que depuis de nombreux Roms sont installés là bas, certains intégrés, d’autres moins. Un groupe de travailleurs sociaux de la municipalité de Gent a fait un voyage d’études à Košice récemment, et a initié une séance de travail avec leurs collègues slovaques sur le suivi médical des populations roms… Donc apparemment il y a de quoi faire. Et nous le constatons de suite en arrivant à De Centrale, l’endroit où nous devons faire notre atelier, où déjà, bien que 3 heures avant le début, une famille avec plein de marmots traîne en nous attendant. A première vue, et cela sera confirmé par la suite, il s’agit de Roms citadins, qui étaient très pauvres, et ont choisi l’immigration avant tout pour des raisons économiques. Cela faisait juste trois mois qu’ils étaient à Gent, mais ils s’y trouvent bien, pris en charge par le service social et n’ont nulle intention de rentrer. Pourtant ils étaient là, à attendre un contact avec des gens de chez eux. C’était sympa qu’ils soient venus. Au moins il y avait un peu de monde à ce qui était censé être notre atelier de danse. A part eux il y avait encore une dame belge, seule, qui pratiquait le flamenco et qui avait un plaisir manifeste à danser avec nous. Nous avons donc, malgré la fatigue due au voyage et à la boum d’hier, lancé l’atelier, qui consistait comme d’habitude en une répétition à notre façon – à fond et sans ménagements, comme ça on sent moins la fatigue et ça passe plus vite… Les marmots de Gent/ Košice sont pris dans notre tourbillon, manifestement ça leur fait du bien de se retrouver parmi les leurs, et manifestement aussi, notre première impression est confirmée, ils font partie des couches les plus paupérisées des populations urbaines, coupées de leur culture d’origine, ne jouissant pas du cocon social et culturel de leur classe et ethnie, comme c’est le cas des Roms des bidonvilles slovaques campagnards. Autrement dit, ils étaient plutôt dissipés, indisciplinés, dispersés, et manquaient de repères, quels qu’ils soient. Mais nous étions en majorité et en force par l’engagement et la puissance qui se dégageaient de notre répétition et instantanément, sans s’en rendre compte, ils étaient pris par la transe collective, par nos filles et les garçons qui étaient encore plus débridés qu’eux, mais arrivaient à canaliser leur incroyable dynamique par la danse et le chant. Voilà ce qu’il leur faudrait. Et le reste s’en suivrait. C’est sûr que ça a l’air du doux délire, mais on a les faits et l’expérience de notre côté, et ce ne sont pas des symposiums ni colloques internationaux qui vont arriver à avoir les mêmes résultats que nous…
Bien, après ce coup de brosse à reluire, on regagne notre hébergement dans un super gîte dans la forêt, c’est parfait, dommage que pour une seule nuit, qu’est-ce que l’on aimerait bien revenir un jour… Dimanche sacrée grasse matinée, pour certains jusqu’à midi. Il n’y pas de raison, s’il y a des performances réelles sur scène, autant que tout le monde récupère comme il se doit. Le spectacle est prévu à 16 heures. La salle est comme il faut et un ingénieur de son fait au mieux avec du matériel solide. Un groupe local de Roms slovaques doit passer avant nous en première partie. Ce sont de bons musiciens, j’en connais plusieurs, des anciens du théâtre Romathan (de Košice, bien sûr), du temps lorsque je les amenais encore en tournées… Ils produisent un programme similaire à de nombreux groupes tsiganes qui veulent plaire au public en jouant un pseudo jazz composé de standards de tous bords, mais finalement, malgré leurs qualités avérées d’instrumentistes confirmés, ils jouent une musique qui n’est pas la leur et qui généralement finit par ennuyer le public. Il en est de même cette fois-ci, mais heureusement ils n’insistent pas trop, et au bout d’une heure nous pouvons prendre le relais. La salle est bien remplie, il y a aussi pas mal de ces fameux Roms de Košice. Ils sont du même acabit que ceux que nous avons rencontrés la veille, bien qu’il y en ait quand même quelques uns qui se démarquent et manifestement sont beaucoup mieux intégrés que d’autres et ont réussi à se trouver une place honorable et non problématique à Gent. Il en était sans doute de même lorsqu’ils étaient encore à Košice. J’ai pas mal de mes anciens collègues musiciens qui ont choisie la même voie. En général, ils reproduisent le même schéma qu’en Slovaquie. Ceux qui étaient bien intégrés, avec un certain niveau d’éducation, le sont aussi dans leur nouveau lieu de séjour. Et ceux qui étaient en marge, continuent sur la même voie, peu importe où ils se trouvent. Donc une volonté de collaboration des services sociaux des pays d’origine et d’arrivée est plus que pertinente. D’ailleurs il est tout à fait incompréhensible qu’il n’en soit pas de même dans le cas des Roms roumains, qui représentent une frange de population hors frontières bien plus importante que les Roms slovaques et sont laissés leur sort par les instances nationales (pardon, à part la police…).
Piet, qui a servi de relais pour cette étape est là. Nous nous sommes rencontrés il y a de cela pas mal d’années lorsqu’il venait avec des amis belges au bidonville de Rakúsy et a par la suite essayé de mettre en place un projet d’amélioration de l’habitat. C’était assez loufoque, cela a tourné court, mais peu importe, il n’en était pas le responsable et nous nous sommes encore rencontrés plusieurs fois par la suite. Il est musicien. A l’époque il a même réussi à sortir Laci Karel Gott et Alena de Rakúsy pour qu’ils se produisent en Belgique. Pareil que le projet d’habitat, cela n’a rien pu donner pour des raisons évidentes de décalage socioculturel des principaux protagonistes, et Piet a par la suite fondé un autre groupe d’inspiration tsigane, Mek Yek, avec deux jeunes chanteuses roms de Košice (encore) installées à Bruxelles. Cette formation tient la route, ce qu’ils produisent est plutôt chouette, et nous ne désespérons pas de les voir un jour revenir à Rakúsy…
Nous envoyons un bon spectacle archi dynamique qui fait son petit effet sur le public, qu’il soit rom, belge, wallon ou flamand… Après, nous ne nous attardons pas trop, on a du chemin devant nous et la météo n’est pas trop engageante. Coup de bol, c’est un payement en liquide, vite encore trouver de quoi manger pour la route et on est partis. Avec les adieux de Rosita, notre nouvelle copine, danseuse de flamenco de Gent. Les frontières – invisibles, à partir de l’Allemagne la neige, nous arrivons en fin de journée à Lomnica et à Kežmarok. Chez nous c’est la Sibérie. De la neige partout. Il faut déblayer l’entrée de la maison de Margita pour pouvoir sortir tous les bagages et les costumes. C’est le grand froid. La nuit il fait moins 24. Le lendemain pourtant, lorsque je vais à Lomnica pour apporter tous les vêtements que nous avons reçus, tout le monde est dehors, en maillots de corps, il fait que moins seize, de grands sourires, je dois repartir le jour même…