Interruptions
Ivan Ostrochovský et Pavol Pekarčík
tournage les 29, 30 et 31 mai 2024 a Kežmarok et Rimavská Sobota
29, 30. 5. 2024
A peine rentrés de notre tournée de printemps, nous nous sommes mis au travail en participant au tournage du prochain film d´Ivan Ostrochovský et Paľo Pekarčík. Au travail, c´est le cas de le dire, car les deux journées de tournage étaient bien remplies. Nous étions devant les caméras du matin au soir, à répéter à l´infini les mêmes scènes, avec des cadres différents, affûtant au mieux les prises d´images pour que le résultat soit au top. Du vrai travail de professionnels, mené par une équipe des plus expérimentées. Ivan et Paľo ont en ce moment le vent en poupe, leur dernier film, la Photosynthèse, qui parle des enfants ukrainiens réfugiés dans le métro de Kharkov, récolte que du succès et des prix un peu partout. Nous avons déjà eu l ́ occasion de tourner ensemble, à chaque fois ce sont des moments uniques et très enrichissants, du fait de la grande expérience professionnelle des réalisateurs et aussi de l'amitié qui nous lie. Spécialistes de sujets sensibles, Ivan Ostrochovský et Paľo Pekarčík ont abordé cette fois-ci le thème de la stérilisation forcée des femmes roms dans les années 80 du siècle passé. Ce sujet est encore en grande partie tabou dans la société slovaque, notre participation relève du spectacle, nous intervenons dans le domaine qui nous est propre - des scènes de chant et de danse, mais nous sommes heureux de participer à notre manière à la sensibilisation de ce sujet on ne peut plus délicat.
Participe avec nous au tournage aussi un groupe de filles d´un village voisin, Krížová Ves. C´est une chorale d´église, une vingtaine de jeunes filles, d´un mouvement pentecôtiste qui pulluent dans le secteur. Dès le premier regard nous savons à qui nous avons affaire. Nous avons une solide expérience avec ce genre de groupe sectaristes, et pas des meilleures. Pendant 6 ans nous avons eu comme voisins dans nos locaux de répétitions des pasteurs évangélistes, nous étions au rez-de-chaussée et eux au premier, et ça ne se passait pas bien. Leurs quotient d´empathie était nul, ils se sentaient supérieurs, et ils le faisaient volontiers sentir à toute occasion, pas question de partager le paradis, pas plus que les toilettes, tout cela n´était réservé qu´à eux seuls, et surtout pas aux manants, aux intouchables, qu´étaient à leurs yeux les autres Roms, les enfants y compris. Ceux de Krížová Ves, qui devaient partager le plateau de tournage avec nous étaient du même acabit. C´est à peine s´ils daignaient poser leur regard sur nous, et encore moins se mélanger, ils nous faisaient bien sentir qui est qui, qui est l´élu divin et qui ne l´est pas… Manque de chance, ils n´avaient pas le choix, car autant ils devaient être performants dans leurs chants sacrés, autant ils ne connaissaient rien dans le répertoire traditionnel rom que nous devons interpréter pour les besoins du scénario. Il y avait aussi dans l´équipe de tournage un responsable de la musique, mais il n´était pas plus érudit en culture musicale tsigane que nos choristes, alors j´ai du prendre l´initiative pour mettre les choses en place le plus vite. Le régisseur me connaît parfaitement, ainsi que notre groupe, et il me laisse carte blanche.
La scène que nous devons tourner est une répétition de chorale de jeunes filles, mené par le mari du personnage principal du film. Le mari en question est joué par un acteur professionnel, il m´observe attentivement lorsque je mets en place les chants qui seront filmés. Ça dure quand même un certain temps, tout est à faire, les choristes ne sont pas du tout habitués à ce genre de répertoire, alors on répète et répète encore et encore, c´est une belle épreuve d´endurance. L´acteur a le temps de bien observer ma façon de faire, comment je dirige, mes gestes, comment je frappe sur la chaise, comment je harangue les chanteurs, et en bon professionnel il reproduit le tout à merveille une fois la caméra enclenchée. Le premier jour on répète et met en place les différents chants, et le second on tourne pour du vrai. A chaque fois du matin au soir. A la fin on tient à peine debout, mais les scènes sont dans la boite, à la grande satisfaction du régisseur Ivan Ostrochovsky. C´était un travail très exigeant, professionnel, et très bien payé. Je n´ai pas discuté le prix avec la production, mais ça été très correct. Tout le monde a reçu un cachet qui dépassait de loin toutes les espérances. Le cachet était perçu directement par les jeunes, j´ai transmis l´argent des plus petits aux parents. Dans l´absolu, on aurait pu faire passer les honoraires par notre association, et les utiliser pour payer le manque que l´on avait sur le transport après notre tournée, cela aurait été légitime et peut être rationnel et normal, mais je n´avais pas le cœur à cela. Tous ont travaillé dur et ont mérité cette récompense, alors qu´ils reçoivent cet manne du ciel insensée. Les sociologues constatent que les comportements apparemment irrationnels des personnes dans le grand besoin qui, si elles se retrouvent par hasard en possession de sommes dépassant leur ordinaire, les dépensent immédiatement pour des besoins non vitaux, mais ayant un fort coefficient jouissance dans l´immédiat et de visibilité, de représentation, par rapport à leur entourage, comme par ex. les mariages coûteux qui les font s´endetter, ou l´achat de produits ou denrée périssables, qui sont consommés dans l´immédiat et n´ont aucune valeur en terme d´investissement dans l´avenir. Le constat est que de toute façon ces sommes n´auraient en rien changé le devenir de ces personnes, qui de toute manière est plombé, mais cette façon exubérante de profiter du moment présent, de tout consommer, flamber à l´instant même, en l´extériorisant au maximum, qui est choquant et incompréhensible aux gens « normaux », permet d´accumuler une bonne dose d´énergie, un réservoir de dynamique positive, pour affronter les temps qui vont venir, lorsqu´ils vont se retrouver de nouveau démunis, comme depuis toujours. C´est un peu dans cette optique que nous avons laissé profiter tout le monde de ce cachet faramineux qui nous est tombé dessus comme un véritable cadeau du ciel… Et tant pis, s´il n´y a pas eu sur le moment la moindre esquisse d´une reconnaissance quelconque de la part des principaux concernés… En tout cas, nous, nous sommes très reconnaissants aux régisseurs, Paľo Pekarčík et Ivan Ostrochovský d´avoir fait appel à nous, et de nous avoir traités de la sorte.
Petite anecdote pour clore ce chapitre cinématographique. A la fin du tournage, lorsque nous allons tous repartir chez nous, après avoir touché les honoraires plus que conséquents, nos nouveaux collègues et presque amis de la chorale évangélique nous accusent tout à coup d´avoir volé 10 euros dans le sac à main de leur responsable qui était posé dans les vestiaires. C´est complètement absurde, qui aurait eu l´idée d´aller voler 10 euros après avoir touché un si bon cachet, et puis ce n´est vraiment pas notre style, nous venons de rentrer de notre tournée, il n´y a pas eu le moindre problème de ce genre, il est vraiment très peu probable qu´un des nôtres ait fait cela. Lorsque je reviens d´une course extérieure, leur responsable a déjà fait les poches d´un de nos jeunes. Oh là, s´il y a un problème il faut d´abord voir avec moi avant de faire le gendarme. Mais je ne discute même pas, ce n´est pas la peine, je sors un billet de 10 euros de mon portefeuille, je le donne au gars, et on passe à autre chose. Cela me surprend et déçoit, mais vraiment, après ce marathon devant les caméras, je me fiche complètement des délires des choristes et je laisse tomber. De sources différentes, je reçois l´explication de ce fait divers impromptu qui vient de nous tomber dessus. En effet, indépendamment des uns et des autres, Roman, Domino, et aussi Helena à qui je raconte l´incident, disent à l´unisson la même chose, les choristes se sentant diminuées, frustrés de devoir se plier à notre façon de faire, à mes directives, de ne pas avoir pu jouer le premier rôle, ont opté pour cette fourberie mesquine pour se venger, et ils ont monté ce bobard minable pour nous discréditer aux yeux de la production. Et pourtant j´ai pris le maximum de précautions pour les traiter au mieux, d´égal à égal, j´ai usé de tout mon savoir-faire d´ancien cabaretier, de meneur d´hommes, pour les mettre à l´aise, les faire jouer et chanter en les avantageant, jamais en aucune façon je ne leur ai fait sentir leur incompétence. Cela n´aurait servi à rien, et j´étais là pour faire avancer le tournage, les réalisateurs sont nos amis, il fallait que ça se passe au mieux. Et puis je reconnaissais et le répétais haut et fort à tout l´entourage, que les filles avaient des belles voix, qu´elles chantaient juste, et complétaient parfaitement l´authenticité de notre groupe. Mais cela n´a pas suffi, il fallait que le naturel reprenne le dessus, débordants de rancœur, ils n´ont pas pu résister à utiliser ce vieux stratagème en faisant usage de la calomnie et de la médisance mesquine. Heureusement, cela n´a servi strictement à rien, la production ne s´est aperçue de rien, et de toute façon ce sont de vieux amis, qui nous connaissent parfaitement et nous font confiance.