Arche Noah reloaded

 
extrait du spectale a la 40-iéme min. de la vidéo :

www.mdr.de/mediathek/mdr-videos/d/video-32850.html

 

Arche de Noah reloaded, était un truc de ouf. Exprès, j´écris d´ouf et pas de fous... Bien que les deux expressions collent parfaitement à cette expérience inouïe, unique, exceptionnelle ...et complètement dingue.

Le projet Arche de Noah reloaded consistait dans une production musicale sur les texte de Pétra Paschinger, qui mettait en scène des groupes de musiciens venant de horizons aussi divers que variés, dans une fresque hyper militante et revendicative sur le monde actuel et les migrants en particulier. Dire que le tout est servi dans un esprit qui dérange est peu dire, c´était carrément une attaque féroce contre tout ce qui est de bourgeois, politiquement correct, gentil, bien pensant, bien lisse. Et dans un ton des plus virulents...

Nous avions été contacté par la direction du Festival de Rudolstadt pour participer à ce projet, mais nous ne savions absolument pas quelle tournure allaient prendre les événements. Donc lorsque nous avons débarqué en début de mois de juillet à Rudolstadt, nous nous sommes directement retrouvés en pleine répétition de l´orchestre, qui était composé d´un trio classique syrien, d´un chanteur et joueur d´oud syrien, d´une formation rythmique bourkinabée avec une chanteuse de la même provenance, d´un batteur polonais, d´un bassiste allemand, le tout dirigé par un énergumène de trompettiste, cor alpiniste, aussi extravagant que génial, Matthias Shiefel, de son nom.

Tous étaient des super pointures, des vraies. Nous aussi, toute modestie mise à part, sauf que nous n´avions absolument pas l´habitude de nous livrer à un travail professionnel sur partitions, au quel nos nouveaux collègues étaient en train de se preter. Bonjour les dégâts...

Car, ce qui est d´habitude une gentille mise en scène à la limite du béta, c.a.d. les coproductions musicales multiculturelles, sensées de démontrer comme nous sommes tous gentils et beaux en jouant ensemble nos musiques nationales respectives. Et qui se passent en général toujours autour de morceaux hyper simples à jouer, pour que tout le monde puisse les jouer instantanément.

La, c´était tout le contraire! Notre valeureux et génial nouveau chef d´orchestre, Matthias, sublimait tout ce qui n´était pas simple, mais bien compliqué, et il était hors question de s´abaisser à un quelconque compromis de bas étage. Non, il fallait du vrai, du solide, de l´authentique, du bien compliqué. Pour ce faire, Matthias a passé presqu´un an en Afrique, au Mali, Bourkina, etc., à ramasser et surtout à relever de manière on ne peu plus exacte (il est allemand..) les mélopées subsahariennes dans leur expression plus vraie que nature, ce qui a donné dans la réalité des choses des partitions d´une "simplicité" à toute épreuve, que du 15/8, etc., et autres petits bonheurs du même acabit. Pour les autres, c´était déjà pas simple, alors pour nous...

Bon, faut faire avec. Heureusement, autant Matthias est extravagant, autant il est compétent,  il arrive à saisir tout de suite ce qu´on peut obtenir de nous et ce que l´on ne peut pas. Et le répétitions repartent de plus belle, à raison de 3h le matin et pareil l´après-midi.

Mais malgré tout cela, le défi est de taille, et il n´est pas dit que l´on va y arriver. On bosse comme des fous, heureusement, les années de discipline Kesaj portent leurs fruits, tout le monde arrive à tenir ce rythme de travail de dingue, avec une sacrée intensité et abnégation, mais, à part peut être Matthias, tout le monde est un peu incrédule par rapport au résultat final. Tous étaient d´excellentissimes musiciens, mais il manquait une direction de scène, une régie expérimentée, pour mettre tout cela en scène d´une manière rationnelle et efficace, pour mettre un peu d´ordre et de sens dans cet espèce de galimatias pluri-multi-universalo-culturel.

Le temps nous était compté, la première arrivait. Il fallait faire avec ce qu´il y avait. Heureusement, tous nos acquis étaient à disposition, des années non seulement de discipline en répétition, mais aussi des années de scène, donc un sens de la scène, du mouvement dans l´espace, nous a permis de combler les lacunes manifestes au niveau du concept scénique général.

La première se jouait un vendredi soir, à guichets fermés, devant un parterre de 5 mille personnes, la place devant la scène ne pouvant en contenir plus, et avec la retransmission en direct du tout par les 3 plus grandes radios allemandes.

Sans prétention aucune,  en toute modestie, et ce sentiment est réconforté après avoir visionné, 6 mois après, le DVD du spectacle, je pense que Kesaj Tchave a été pour beaucoup dans le succès de cette création, Nul doute, tous ont parfaitement rempli leur mission, ont très bien joué, interprétés, chanté ce qu´il fallait, mais les Kesaj ont donné tout ce qui fait leur spécificité, autrement dit, je ne vois pas, comment un autre groupe aurait pu se tirer de l´affaire, à part un groupe tsigane, jeune, dynamique, ayant le rythme dans la peau, ayant une expérience de scène d´enfer.  Grâce à cela, tous les temps périlleux, et il n´y avait que ça..., ou tout aurait pu tomber à plat, ou des gens inexpérimentés auraient restés plantés comme des clous, ne sachant quoi faire, car personne ne leur a dit vraiment ce qu´il faut faire, eh bien tous ces temps, tous ces moments de manquements de la régie, étaient parfaitement maîtrisés, avec le naturel et la désinvolture, dont seuls les Kesaj ont la maitrise (toute modeste, bien entendu :)...

Oui, ça peut paraître un peu prétentieux, ce n´est pas souvent que j´utilise une planche à savon, mais de temps en temps, et quand l´occasion l´exige, on peut dire les choses telles qu´elles sont...  :) 

 
 
 

Arche de Noé

La route était longue, finalement nous avons mis pratiquement 24 h pour arriver à Rudolstadt (nous arrivions du Festival d´Issoire). Je savais que c´était un festival très important, sérieux, à l´allemande, mais sans plus. Je n´avais aucun détail quand à la forme de notre participation, à part qu´on fera partie d´un projet théâtral multiculturel, Arche de Noah relloaded. D´après le scénario que j´ai reçu il y a deux mois, il était évident que c´était un projet très engagé, militant, prenant la défense de la cause des migrants et du multiculturel sans aucune concession, sans prendre de gants... Le tout était préparé très sérieusement, avec des intervenants professionnels. Deux acteurs vont assurer le texte et plusieurs formations musicales, la musique. Il devait y avoir des syriens, allemands, burkinabés et nous. A la demande du festival j´ai envoyé plusieurs de nos chansons, susceptibles d´être facilement reprises par les autres musiciens.  Dès notre descente du bus, nous sommes allés directement à la salle de répétition. Ca tombait bien, elle était dans le batiment du gîte. Nous  découvrons nos futurs collègues en plein travail, des partitions partout, un air sérieux, appliqué, mais décontractés quand même. Il y avait un trio classique syrien, un chanteur et joueur d´oud syrien, un bassiste allemand phénoménal, un batteur polonais du même accabit, une formation de percussionnistes griots burkinabés avec leur chanteuse et un énergumène virtuose des cuivres en tout genre, Paganini du cor alpin, Matthias Shieffel de son nom, chef d´orchestre déjanté, excentrique, mais ultra compétent, de ce nouveau projet musical atypique. Notre arrivée dénote par rapport au sérieux artistique affiché par certains (les syriens), mais on est pas tombé de la dernière pluie, on sait se tenir, on prend place et on voit venir... Les Syriens nous regardent de haut de leur excellence, les européens avec un réel intérêt et il me semble percevoir de la conivence amusée mêlée d´étonnement de la part de burkinabés. Il est évident que vu le sujet, les migrants, le thème porteur sera la musique orientale et africaine. Les Syriens, de très bons musiciens, mais encore un peu jeunes, se laissent vite prendre au mirage d´autoadulation, l´occasion s´y prête, il n´y a aucune raison d´y résister, et ils tombent dans le panneau à plein pieds et restent dans cette position distante de surdoués, audessus de tout et de tous. Le joueur de l´espèce de cymbalom oriental, excellent musicien, excelle dans cet art de m´as-tu-vu, il a de la chance que Helena arrive à se retenir, et que son cymbalum n´a pas fini sur sa tête...  Ces finesses, il n´y a que moi qui les perçoit, les jeunes ignorent tout ça superbement, tant pis pour les petits génies du Moyen Orient. Par contre le reste de ce nouveau orchestre est très sympathique, les burkinabés étant en tête du palmarés de l´empathie et de la bonne humeur. Il est évident qu´il va falloir trouver un  modus vivendi, des facons de coopérer, tenant compte de nos spécificités et talents respectifs. Heureusement, Matthias est vraiment très compétent, et rapidement nous arrivons à cerner les voies qui seront pour nous praticables pour arriver à un concensus et à un résultat. Au départ ce n´est pas évident, il n´est pas question pour les nôtres de faire quoi que ce soit avec les partitions, c´est un domaine qu´ils n´ont jamais abordé. Le défi est de taille. Matthias, au lieu de faire comme tout le monde dans de pareilles occasions de rencontres multiculturelles, c. à.d. prendre quelques morceaux basiques, simplistes, archi connus et faciles à jouer, montés à l´instant même, pour montrer  que tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau, que la musique est le langage universel de tous les bobos de la terre..., fait tout le contraire. Là, nous étions dans la même démarche, mais en sens inverse, sans concession aucune quand au choix du répertoire et des interprètes. Que des trucs archi-compliqués, pas connus, impossibles à jouer pour le commun des mortels. En ce qui concerne les musiciens, c´était ok, c´était tous des super pointures, des craks reconnus sur la scène internationnale. Et du fait de l´exubérence géniale de Matthias, et aussi de sa virtuosité et super musicalité, les morceaux choisis ne pouvaient pas être du „menu frottin“, en aucun cas on ne pouvait s´abaisser à jouer de quelconques mélodies populaires bébêtes, faciles à retenir et encore plus faciles à jouer. Non, il fallait un répertoire à la mesure de nos talents et surtout à la mesure des ambitions de Matthias, pour qui la démesure est une seconde nature. Et pour cela Matthias n´a trouvé rien de mieux que d´aller passer un an en Afrique, au Mali, Burkina, et je ne sais encore où, pour y vivre la musique à fond, trouver et relever exactement, méticuleusement, à l´allemande, les mélopées et les rythmes les plus authentiques et les moins connus et faciles à jouer pour des occidentaux. Donc, c´est avec un solide matériel musical, sous forme de partitions, toutes dans des rythmes irréguliers, du 15/8, etc. que nous avons attaqué notre nouveau répértoire multinational. Du gâteau. Un casse-tête pour des musiciens expérimentés, une impasse pour des néophytes en solphège, comme les Kesaj. J´avais beau lire à vue dans ma pratique professionnelle,  c´était très corsé pour moi aussi. Il était évident que nous pourrions faire qu´à notre façon, à la sensation, à l´oreille. Matthias, qui était à la bonne école en Afrique, a bifurqué sur notre voie, les burkinabés étaient ravis d´avoir des nouveaux potes sur la même longueur d´onde qu´eux, et les syriens, ...ils n´avaient qu´à se faire voir.

Les répétitions étaient à la hauteur des objectifs, professionnelles, sérieuses et exténuantes, 2 à 3 heures le matin, pareil l´après-midi. Une excellente expérience pour nos jeunots, qui ont fait preuve d´une grande maturité, et dans l´ensemble ont très bien tenu ces cadences infernales (dehors, c´était la canicule). Pendant 4 jours nous avons travaillé de la sorte, et les résultats commencaient à venir. Les rythmes impossibles devenaient familliers, grâce aussi à la bonne volonté et à la bonhomie des burkinabés, qui n´en revenaient pas de voir des „blancs“ se comporter comme des „noirs“. Le courant est passé tout de suite. Nos nouveaux amis avaient avec  eux un tout petit garçon de 5 ans, le fils d´Aziza, leur chef.  Il s´est tout de suite collé à nous, a fondu dans notre groupe et n´a plus quitté nos jeunes jusqu´ à la fin du séjour. Nous étions vraiment sur la même longueur d´onde. Musicalement, humainenment, socialement... on se comprenait parfaitement. C´est assez rare pour être souligné. Les musiciens ne sont pas forcement toujours très affables ni avenants dans leurs rapports internes. Souvent, des égo démesurés, des craintes de concurence exacérbées font que les rapports restent distants. L´exemple parfait en étaient les Syriens. Du banal, on en a vu d´autres... Mais les Burkinabés, c´était tout le contraire. Ils avaient un côté naturel, simple, un peu comme nos jeunes, tout en étant très cultivés, instruits, certains était universitaires, parfaitement à l´aise dans le monde actuel. Leur chef vit en Allemagne, et fait venir les autres de temps en temps pour des tournées. Sur ce point, nous nous comprenions aussi très bien, nous étions dans le même cas de figure du combat pour la survie financière... Au retour de la générale, un des musiciens nous montre sur son I phone des images de leur village natal. Et là, stupéfaction, c´est le même modéle d´habitat que les osada rom dans les quelles vivent nos jeunes. Un puits, quelques huttes autour, de la terre battue, de la musique partout... on se croirait chez nous, dans l´Est slovaque, sous les Tatras... Combien de fois, chez nous, on entend les slovaques injurier les roms en leur viciférant avec mépris „vous êtes comme les négres, allez-vous en Afrique“... Oui, à l´évidence il y avait des similitudes dans le mode d´habitat, de l´usage de la musique comme lien social, etc.

Pour moi, il est évident que c´est de là que vienne cette conivence, cette mutuelle compréhension. Tous ces jeunes, africains ou roms, viennent du même milieu social, du même environnement, et moi, mon passé de refugié politique m´a forgé à la même vision des choses que les migrants, émigrés, immigrés, peu importe, le fond reste toujours le même, gagner quelques sous pour faire vivre sa famille... dans n´importe quelles conditions. C´est sûr, qu´ à ce niveau nous sommes plus concordants avec les burkinabés qu´avec les allemands, qui n´ont pas le même genre de problèmes existentiels. Les Syriens, ils savent de quoi il est question, mais ne venant pas du même milileu social, on n´avait pas le même répértoire autour de la table... d´ailleurs nous étions toujours attablés avec les Burkinabés...

 

 
les photos de la fotogaleria sont de Jana Gross

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