Témoignage chrétien

En Slovaquie, les bidonvilles et la balalaïka

Jean-Michel Delage8 Juillet 2010
Dossier :Romsslovaquie,slovaquie,Roms,Roms,bidonvilles,bidonville,balaïkaREPORTAGEROMS
La troupe des Kesaj Tchavé composée de tziganes slovaques.

Il faut d’abord quitter la route principale, puis traverser une voie ferrée pour emprunter un chemin défoncé longeant un champ d’immondices. Au bout de quelques centaines de mètres, c’est l’entrée du village, marquée par un ensemble de bâtiments de trois étages.

Des immeubles hideux. Façades grises, portes d’entrée défoncées et fenêtres rafistolées. Le village s’étend sur quelques centaines de mètres. Des habitations faites de bric et de broc : rondins, plan­ches, briques ou parpaings.

Au centre du village, une décharge publique. Partout, des gamins sales et mal fagotés jouent sur le sol en terre battue. Au loin, les cimes des montagnes encore enneigées offrent un répit au regard. Le temps de réaliser que nous ne sommes pas dans un bidonville indien ni dans une favela brésilienne mais bien au cœur de l’Union européenne, en Slovaquie

Velka Lomnitza est un bidonville tzigane comme il en existe des dizaines, particulièrement dans l’Est du pays. Plus de vingt sont répertoriés autour de la seule ville de Kezmarok, à l’image de Velka Lomnitza. La minorité tzigane représente 10 % des cinq millions de Slovaques et près de 200 000 vivent ainsi dans des conditions effroyables.

1 700 personnes s’entassent à Velka Lomnitza. Ici, pas de toilettes ni de douche. Un ballet perpétuel de femmes et d’enfants se dirige vers l’unique point d’eau : un robinet situé à l’entrée du village. Le climat est rude dans cette région, en hiver notamment. De la neige, de la pluie et des températures descendant jusqu’à – 20°. Les ruelles de terre se transforment alors en cloaque.

Chômage

Douchan, la trentaine, nous montre sa maison. Environ 12 m2. Le sol est recouvert de tapis et l’ameublement, sommaire : deux banquet­tes pliables, une table et un fauteuil. Un bahut sert de rangement. 
 
Près de l’entrée, une cuisinière à bois où mijote une sou­pe aux lentilles. Douchan vit ici avec sa fem­me, Véronika, et leurs trois enfants : Doushko, 14 ans, Perla, 12 ans et Erik, 7 ans. Cinq personnes dans 12 mè­tres carrés, un luxe quand la plupart des familles tziganes sont composées d’une dizaine de personnes pour une surface équivalente…

Comme la majorité des habitants du bidonville, Douchan n’a pas de travail. Les journées passent sans aucune perspective d’améliorer l’ordinaire. Ses enfants fréquentent l’école du village d’à côté… surtout parce que la scolarisation est obligatoire jusqu’à 16 ans. De toute façon, comment étudier quand on vit dans de telles conditions ?

Heureusement, il reste la musique. Douchan joue de l’accordéon et du kazoo(un petit piano à vent). Parfois, avec d’autres hommes, il fait le bœuf, histoire de passer le temps.

Un jour, un peu par hasard, Ivan Akimov est venu à Velka Lomiza. Ce musicien, ancien artiste de cabaret, a voulu faire naître quelques notes d’espoir au milieu de cette misère noire. Avec la musique et la danse comme supports. Sa femme, Hélèna, est tzigane. « Nous connaissons bien leur situation. J’avais très envie de travailler avec eux, faire en sorte qu’ils ne soient plus marginalisés. »

Mais des obstacles se présentaient, au sein mê­me du village : « il y a un système clanique, des antagonismes entre les famil­les qui rendent tout projet difficile à entreprendre », confie Ivan Akimov.

Kesaj Tchavé

Jusqu’au jour où sa belle-sœur, Anna Koptova, première femme tzigane élue au Parlement slovaque, lui proposa un soutien dans le cadre d’un projet éducatif pour les enfants roms. L’aventure des Kesaj Tchavé ( « les enfants de la fée » en romani ) pouvait commencer.

D’abord avec les enfants tziganes du centre-ville de Kezmarok. « Mais en 2007, la municipalité a décidé de se débarrasser de toutes les familles tziganes qui posaient des problèmes ou qui ne payaient plus leur loyer, raconte Ivan Akimov. Des dizaines de personnes ont été expulsées et relogées à plus de 300 km d’ici, près de la frontière hongroise. »

La troupe des Kesaj Tchavé s’est retrouvée décimée. Tout était à refaire. Et Ivan Akimov et sa femme ont tout refait… cette fois avec les gamins des bidonvilles alentour, comme celui de Velka Lomnitza.

« Je m’y suis rendu avec Ivana et Stano, deux jeunes dont les familles avaient échappé aux expulsions. Nous cherchions des musiciens quand nous avons entendu des mélodies qui provenaient d’une cabane. Il y avait là des hommes qui jouaient. J’ai sorti ma balalaïka, et on a joué ensem­ble. Le lendemain, on s’est retrouvés à trente pour chanter et danser dans la cabane ! ». La troupe des Kesaj Tchavé renaissait.

Festivals

Chaque après-midi, il se rend dans des bidonvilles comme celui de Velka Lomnitza. Dès que sa Logan rouge arrive, une foule d’enfants accourt. Ivan ouvre les portes et la remplit en quelques minutes. Il effectue ainsi deux ou trois allers-retours vers le local de répétition, situé à Kezmarok. « Près de 200 km de route chaque jour », précise t-il.

Dans la voiture, des jeunes de 6 à 15 ans chantent à tue-tête, accompagnant les airs tout droit sortis de l’autoradio, jusqu’à l’arrivée au studio. En réalité, il s’agit d’un couloir d’une vingtaine de m2 où s’entassent difficilement les 30 ou 35 enfants et adolescents. Un seul néon éclaire le lieu d’une lumière blafarde. Sur les murs, les affiches de festivals où la troupe s’est produite.

Les musiciens s’installent. Un clavier, une guitare et quel­ques percussions. Deux « vétérans » de la troupe, Ivana et Stano, accompagnés par Hélena Akimov, commencent la session pendant que son mari, Ivan, s’isole avec sa balalaïka. Quand il revient, la répétition commence.

« Ek, duj, trin, chtar, panch… » Pendant plus d’une heure, les chants et les danses s’enchaînent sans interruption. Au rythme imposé par la musique, les jeunes répondent par une énergie insolente. Les chants résonnent sous la voûte. Ivan Akimov donne le rythme et le ton. Il encourage, invective…

« Ce ne sont pas des répétitions au sens habituel du terme, explique-t-il. On ne fait qu’une prise… mais à fond ! On travaille sur les émotions, sur l’engagement total de chacun. On recrée le spectacle chaque jour, l’essentiel c’est que chacun puisse se dépasser. »

La troupe se produit régulièrement en Europe, dans des festivals notamment. « Pour ces jeunes qui sont en manque de représentation positive, la scène est un élément clé, constate Ivan Akimov. Et qui plus est, quand dans un programme, ils représentent la Slovaquie ! »

Mais la préparation d’une tournée ressemble souvent à un chemin de croix : il faut trouver les fonds nécessaires au transport et à l’hébergement. Et parfois, jusqu’au dernier instant précédant un départ, il ne sait pas qui montera dans le bus… « Pour une raison ou une autre, ils peuvent abandonner. »

Une ultime répétition s’est improvisée dans le bidonville, devant la maison de Douchan. Véronika et lui ne sont pas peu fiers de voir leurs trois enfants au sein de la troupe. La trentaine d’enfants entraîne tout le voisinage dans une danse enflammée. Demain, ce sera un nouveau départ. Une série de prestations dans des villages roumains. En attendant l’été et des résidences en France… Ek, duj, trin !

 

 

Les Kesaj Tchavé dans le 9-3

Dossier :Romsslovaquie,slovaquie,Roms,Roms,bidonvilles,bidonville,balaïkaREPORTAGEROMS

Depuis 2008, Ivan et sa troupe interviennent régulièrement auprès des Roms roumains vivant sur des terrains d’Île-de-France.

Avec la collaboration de l’association Parada et le soutien du CCFD, des actions sont montées ponctuellement à Saint-Denis ou à Montreuil (Seine Saint-Denis). Les Kesaj Tchavé essaient de transmettre leur énergie aux jeunes Romsà travers des répétitions et des spectacles.

À tel point que des petits groupes de danse se sont formés ici et là, comme Bala châtra, à Montreuil. Coralie Guillot, qui œuvre dans l’association Parada, a observé des changements chez les enfants :

 « Cela leur apporte une certaine fierté d’être Rom. Ils prennent aussi conscience qu’ils ne sont pas seuls. Qu’il existe d’autres tziganes ailleurs. »

En avril 2009 ces jeunes de Seine-Saint-Denis sont montés sur la scène du Zénith de Paris en compagnie de Kesaj Tchavé et des Ogres de Barback à l’occasion de la journée mondiale des Roms.