Bagnolet
Extrait du journal de bord, dimanche 19 mai 2024
La friche
Je ne sais même pas comment nous sommes tombés sur Roxana, animatrice de la friche de l´association Terrain d´aventures à Bagnolet. Sans doute par les contacts qu´a élaboré Johann avec la Médiathèque de Stains où il intervient pour la création de sa nouvelle BD sur l´emplacement communal des Rom du Mesnil et auxquels on a demandé de chercher d´autres occasions de nous produire lors de notre venue en région parisienne. Roxana est sans doute le résultat de ces investigations, elle m´a contactée il y a environ un mois avant notre départ. Je ne savais pas trop qui elle était, ni ce qu´elle nous proposait concrètement, mais nous nous sommes mis d´accord pour une intervention chez eux le dimanche 19 juin. Quand, quelques jours avant le spectacle je découvrais qu´il s´agira d´un spectacle informel dans un lieu de tout ce qu´il y a d´informel, une friche gérée par une association d´habitants du quartier, je n´étais pas trop chaud pour y aller. Déjà, tous nos jeunes venant d´endroits plus qu´informels, les bidonvilles, je préfère les faire évoluer lors de nos sorties dans des endroits plutôt formels, classiques, où il y a tous les bienfaits de la civilisations, les toilettes, l´eau courante, pour qu´ils puissent profiter un peu de tout ce qu´ils n´ont pas chez eux. Une friche alternative, avec des splendides toilettes sèches dans une petite cabane rappelant un petit module spatial ne correspond pas vraiment à notre perception d´acquis de la civilisation occidentale. Et puis on se serait très bien vu rester une petite journée au Château à rien faire, récupérer du voyage dont les effets commencent quand-même à se faire sentir. Mais on s´est mis déjà d´accord, Roxana a fait une affiche sympathique, elle a fait de la com pour faire venir du monde, la cuisine était prête pour nous, alors il faut y aller.
En arrivant sur place, nous marquons quand-même un petit moment de stupeur, pour de l´alternatif, c´est de l´alternatif. On se croirait sur l´Ile du Robinson Crusoé. Tout est est fait à la main, uniquement qu´avec du récupérable, c´est impressionnant, même par rapport aux bidonvilles, cela dénote. On nous fait visiter en premier lieu la fierté nationale (pardon, internationale, vu la composition des autochtones) de l´endroit, les fameuses toilettes sèches dans un module spatial. Je ne pense pas qu´il y aurait quelqu´un pour s´aventurer dedans, on se débrouille pour envoyer Helena et les filles dans un café aux alentours. Le pôle cuisine est intéressant aussi, de la barbaque en plein air, régie par une ribambelle de bénévoles qui ont l´air plutôt sympas, et qui sont manifestement spécialistes en cuisine orientale. Oui, tout a l´air plutôt sympathique, alors nous ne faisons pas les difficiles, on prend les choses telles qu´elles sont et on décide de passer à table. Un espace séparé est réservé pour nous, et nous pouvons attaquer le magnifique couscous préparé spécialement pour nous. J´ai insisté pour que la restauration soit des plus classiques, afin que nos jeunes qui débarquent d´un tout autre milieu culturel puissent se rassasier, mais c´est comme ça, heureusement il y a aussi une bonne ration de merguez et de salades de pommes de terre, alors tout le monde mange à sa faim. Les plats sont délicieux, ainsi que nos hôtes, qui sont aux petits soins pour nous, alors les appréhensions des premiers instants sont vite dissipées.
Nous retrouvons parmi les spectateurs des anciennes connaissances. Dominique Secher, un éminent photographe, spécialiste en milieux artistiques alternatifs, notamment les cirques, dont nous avons fait connaissance au Cirque Romanes il y a de cela bien des années, et qui nous a gratifié à l´époque de plusieurs séries de photos exceptionnelles. Cela fait du bien de se retrouver après tout ce temps et de pouvoir discuter un peu des années passés, de nos amis d´antan, les Romanes en l´occurrence. Beaucoup de choses se sont passées depuis, il y aurait beaucoup à se dire… Mais le temps presse, nous devons attaquer le spectacle.
Il y a sur place aussi Abdel, un ancien des Intermèdes, avec quelques anciennes danseuses du feu groupe Aven Savore, qu´on a initié à l´époque aux Intermèdes. Ils mettent déjà un peu l´ambiance, et on investi notre espace scénique, le lieu de notre production du jour en ce temple de l´alternatif, des toilettes sèches cosmiques et de la cuisine des contes des Mille et une nuits. La scène vaut le détour aussi. C´est un tout petit carré avec un tapis au sol sous un gros arbre, avec une grosse bâche qui tient sur un bâton de bambou d´environ trois mètres, planté en plein milieu de notre supposé espace de danse. Ne pas faire tomber ce bâton, et la bâche qu´il soutient, relève du miracle et de la mission impossible réunies, mais non, il n´est pas tombé, personne n´est entré dedans, la bâche n´est pas tombée sur la tête des danseurs, tout s´est très bien passé, comme à l´Opéra.
Les spectateurs, et il y en a pas mal, sont installés un peu partout, pareil que les enfants, dont il y en a plein et sont en pagaille dans tous les sens, autour de la scène, sur scène, dans l´orchestre, bref partout. Un barbecue bien fumant continue à produire de la saucisse tout à coté de la musique et tout va bien. Après un repas aussi délicieux et un accueil aussi fraternel nous ne pouvons que répondre par pareille, et nous attaquons allégrement notre spectacle.
Tout se passe très bien, dans la plus pure tradition des Kesaj, avec en entrée une démonstration de la virtuosité des claquettes, des rythmes infernaux et de l´énergie débordante, pour continuer, de bien entendu, dans une partie dansante sans retenue, tout le monde participe, les petits comme les grands, personne ne reste assis, y compris la petite Stella de Joana qui fais ses premiers pas de danse sur ce parquet de danse tsigane improvisé. Je profite d´un petit moment d´accalmie pour moi, lorsque pendant la partie disco je ne suis plus aux commandes directement avec ma balalaïka à la main et la fête bat son plein sans moi, pour discuter un peu avec Abdel, l´ancien salarié aux Intermèdes Robinson, qui me relate ce qui s´est passé chez eux depuis que nous ne sommes pas vus, donc depuis plusieurs années. Un véritable cataclysme. Il a quitté l´association, ainsi que l´ancien directeur, Laurent Ott. Il y a eu des histoires abracadabrantes de toutes sortes, finalement c´est bien que nous avons pratiquement rompu avec eux à l´époque, comme ça nous n´avons pas eu à être témoins de tout cela. On sent un énorme ressenti chez Abdel, décidément le social peut être périlleux par moments. Notre bilan avec les Intermèdes n´est pas que positif, nos relations se sont détériorées jusqu´à pratiquement une rupture totale, j´aurais aimé pouvoir en discuter tranquillement avec eux, mais ce n´est pas le moment, et je vois bien qu´ils sont encore complètement absorbés par leurs problèmes qui sont loin d´être réglés, pour pouvoir aborder la problématique qui nous touchait ensemble. Finalement, tout cela, c´est du passé…
Les organisateurs marquent un petit moment de stupeur, lorsque nous annonçons que nous allons partir, ils nous auraient bien gardé jusque tard dans la soirée, mais fidèles à nos marques, c´est au meilleur moment qu´il faut partir, nous regagnons notre bus sous une haie d´honneur, ravis autant que surpris d´avoir passé un moment aussi agréable et amical en ce lieu qui nous a déconcerté au début et compétemment conquis par la suite.