Sankt Jakob

 

Nous sommes attendus à Sankt Jakub, près de Klagenfurt, en Autriche, pour un séjour de trois jours avec spectacle, mais aussi des visites touristiques, rencontres et échanges avec les jeunes sur place. Tout cela est organisé par nos amis, un couple slovène, Rozi et Marjan. Rozi et Marjan ont entendu parler de nous par des gens qui nous ont vu au Festival Transvocale à Frankfurt sur Odre en Allemagne. On a mis presque deux ans à monter le projet d´un séjour chez eux, les dates avaient du mal à coller, ça a pris du temps. Rozi et Marjan n´ont pas laché le morceau, ils sont venus spécialement à Bratislava pour qu´on se rencontre, et deux mois plus tard, c´était fait, nous étions chez eux. Déjà, dès notre première rencontre j´ai senti qu´on a à faire à des gens hors norme. Le séjour à Sankt Jakob n´a fait que confirmer mon sentiment, que dis-je, c´était encore bien plus fort que je le croyais. Rozi et Marjan sont des gens passionnés, militants, engagés, et surtout, ils ne font pas que dans la théorie, mais excellent aussi dans la pratique. En tant que membres de la minorité slovène de la Carinthie autrichienne, ils ont un rapport très particulier à tout ce qui touche la discrimination, la ségrégation, l´injustice... L´Anschluss est pour eux une tragédie qu´il ne faut pas oublier, et c´est aussi dans cet état d´esprit qu´ils nous ont invité chez eux, pour un spectacle sous le signe de l´entente entre les peuples, de la paix et aussi de la mémoire. Le séjour fut paradisiaque. L´accueil, le programme, les hôtes... incroyable. Il y aurait beaucoup à dire sur tout ça, en bref, durant tout le séjour nous avons senti une attention, une bienveillance, un soin tout particulier. L´amitié, la générosité et l´empathie se dégageait de tous les gens que nous avons rencontrés. Les jeunes ont sympathisé instantanément, les adultes étaient hyper cool, pas prétencieux, simples et généreux. 

La rencontre avec Rozi et Marjan nous a donné des forces, de l´énergie, de l´espoir. Et la conviction que tous ces mouvents de résistance, que ce fut la Résistance française, le Soulèvement national slovaque ou la guérilla des partisans en Yougoslavie ou en URSS, étaient des mouvents portés par des hommes et des femmes comme eux, courageux, ordinaires, s´investissant dans leurs convictions par les actes, pas de paroles inutiles...  Rozi et Marjan font du théâtre militant avec des jeunes, ils organisent des manifestations, des expositions, hébergent chez eux des migrants, n´hésitent pas à faire venir juste pour un weekend une trentaine de gamins roms de Slovaquie jusqu´en Carinthie autrichienne, juste pour montrer que c´est possible, que l´on peut vivre aussi en harmonie, pas qu´en guerres et conflits... Avant notre spectacle du samedi nous sommes aussi intervenus à l´exposition Meritev, dans la gallerie locale. L´exposition parle de l´Anschluss, et des mesures raciales qui ont été mises en oeuvre peu de temps après l´arrivée des nazis. Dans le village de Sankt Jakob, à majorité slovène, les allemands ont procédé à des prises de mesures antropologiques, afin de déterminer et sélectionner ceux qui sont de race pure, supérieure, et les autres, ceux qui ne correspondent pas aux critères de la race propre, ceux qui sont inférieurs, destinés aux déportations, à l´extermination… Ce souvenir, encore des années après, résonne très fort auprès des habitants de Sankt Jakob. Rozi et Marjan, font tout pour que ces actes ne tombent dans l´oubli, et chaque année organisent des événements de mémoire en souvenir de ces sinistres pratiques. Ils sont les résistants, les partisants d´aujourd´hui… Nous ne voulions pas être en reste, alors nous avons aussi inclu dans notre spectacle du soir une petite chorégraphie se reférant à cette période tragique de l´histoire d´Autriche. Après Madara, un chant spirituel tsigane, j´expliquais au public, comme d´habitude, que madara veut dire n´ai pas peur, que nous sommes heureux que les spectateurs n´ont pas eu peur, pas plus que les organisateurs, et nous avons pu nous produire ici... Le seul dont on peut avoir peur, c´est l´homme en soi-même, hélas, nous sommes capales du meilleur comme du pire... Et à ce moment là, les garçons se mettent en garde-à-vous, les bras croisés sur la poitrine, l´air méchants, déterminés, sans broncher. La musique entame la chanson de Lili Marlene en rubato. Puis la mélodie passe en marche, les garçons marchent sur place, à la militaire, et de temps en temps poussent des bêlements de brebis... Les brebis, commes les habitants d´alors, qui, comme des moutons ont suivi l´apologie de la haine pronée par Hitler. Le tempo devient rapide, enjoué, les danseurs dansent et font des claquettes à la tyrolienne et se mettent à sauter à saute-mouton. Tout cela toujours sur fond du bêlement de brebis. Brusquement, la musique s´arrête net, et chaque danseur après avoir sauté, bêle, un coup de tymbale comme un coup de feu jaillit, le danseur s´écroule, terrassé par une balle imaginaire. Celui qui sautillait joyeusement au son de la chanson nazi, finit par être fusillé comme les autres… Inutile de dire, que nos gars prenaient tout ça au sens premier et ne pouvaient pas s´empêcher de rigoler juste au moment qui devait être le plus tragique, lorsqu´ils étaient censés de s´écrouler sous les balles. Peu importe, il ne faut pas non plus se prendre trop au sérieux, mais nous avons marqué le coup, et bien entendu, nous avons parlé avec nos jeunes de la signification profonde de ce petit squetch.

Ce séjour était très court, juste trois jours, mais très intense. Nous étions logés chez des bonnes soeurs, une fois de plus, dans l´Internat de l´École catholique slovène qui accueille les élèves slovènes de toute l´Autriche. Au début, la soeur Uršula, qui nous accueillait, n´avait pas l´air commode. Ce n´était pas une schtroupfette, loin de là. Ses consignes étaient strictes, nous n´avions pas la moindre intention de ne pas le respecter. C´est sûr, nos gars basanés et tatoués de partout, devaient dénoter par rapport aux jeunes filles slovènes qu´elle avait l´habitude de surveiller tout au long de l´année, alors il ne faut pas s´étonner qu´il y ait eu un peu de défiance lors du premier contact avec notre groupe. Cette méfiance fut vite dissipée, et nous nous quittions comme de vieux amis, comme des cousins proches qui se comprennent, puisque le slovène et le slovaque, deux langues slaves, sont très semblables, peu importe que ce soient des tsiganes qui les parlent. Dans la foulée, nous avons réussis aussi à faire une interview pour la rédaction rom de la Radio slovène de Ljublana et une superbe sortie touristique sur une tour géante avec une vue panoramique exceptionnelle, suivie d´une baignade dans le ruisseau de la montagne adjacent. Il faisait très chaud, alors ça tombait très bien, et puis, nous avons l´habitude, les gosses des bidonvilles ont pour piscines les torrents glacés des Tatras toutes proches.