Stains

Extrait du journal de bord, mercredi 22 mai 2024
Guidés par Johann qui connaît bien les lieux, pour y intervenir depuis quelques mois pour la réalisation d´une BD sur leurs activités, nous arrivons sur place sans trop de mal. Il y a des locaux communautaires pour nous accueillir, Cassandra est aussi la, elle connaît tout le monde puisqu´elle intervient ici avec Johann, et elle a même retrouvé des anciennes connaissance du temps de son enfance dans les camps de Saint Denis. Notre « programme de communication culturelle »  se met en place spontanément,  c.a.d., les choses se font d´elles mêmes, nos jeunes en soif de représentation positive, nota bene auprès de leurs semblables roumains, se mettent tout seuls à danser, chanter, bref ils s´occupent comme si rien n´était, je n´ai pas à intervenir, je suis en retrait et j´observe le tout en donnant de temps en temps une directive discrète pour orienter les choses dans la bonne direction. La sauce prend, les jeunes d´abord, puis aussi quelques adultes viennent peu à peu, interloqués, voir ce qui se passe chez eux. Alors, toujours l´air de rien, on passe à la partie dynamique de notre répétition qui est en fait une présentation de ce qu´on fait, de ce qu´on est, une mission de communication envers le public, constitué en ce cas de Roms roumains de la structure du Mesnil. Bien entendu, ça fait son effet, on a pas besoin d´insister, tout le monde est séduit, on ne prolonge pas trop et on passe à table, le repas nous est offert sur place. 
 
 
Extrait du journal de bord, samedi 25 mai 2024
...Nous atteignons le Mesnil à Stains à 11 heures, une place de parking réservée nous attend juste devant le Centre d´accueil, comme ça le gardien aura le bus sous l´œil durant son service et les chauffeurs pourront se reposer tranquillement. Nous avons une heure devant nous, tout de suite une discothèque improvisée s´enclenche, les filles roumaines me demandent si elles peuvent apporter leur enceinte, bien sur qu´elles peuvent. Elle reviennent quelques instants plus tard avec une énorme caisse et la disco atteint une dimension professionnelle. 
C´est notre deuxième rencontre avec les habitants roms roumains du centre, il n´y a plus aucune distance entre nous, tout se passe comme si on se connaissait depuis longtemps, comme si on faisait parti du même camp. Pourtant, au niveau culturel il y a des différences sensibles. Les Roms roumains sont, comme dans la plupart des cas, issus de milieux plus conservateurs, traditionnels, que nos jeunes. Chez les Roumains on sent encore la présence des mœurs archaïques en ce qui concerne les rapports entre les hommes et les femmes, dans la façon de s´habiller, de se comporter. Chez les nôtres, au contraire, c´est l´émancipation et la modernité qui prime. Bien sûr, ça plaît aux Roumains, surtout aux jeunes, et ils ne se font pas prier pour se joindre à nous. Il n´y a pas de repas de prévu sur place cette fois-ci, alors nous filons vers le centre commercial voisin pour nous attabler devant des Big Mac, dans un établissement du même nom. A 15 heures nous devons être devant la Mairie pour notre première intervention, alors nous nous attardons pas trop. Nous passerons d´abord par la Médiathèque pour nous poser un peu en attendant, et ensuite direction la Mairie. Nous irons à pied, Gérard emportera en voiture les costumes et les instruments de musique. Mais au fur et à mesure que nous approchons la Mairie, nous recevons des coups de fil désespérés de Gérard, qui est complètement perdu dans le petites rues de la banlieue parisienne, son GPS ne tient visiblement pas la route, alors nous sommes prêts à attaquer en civil, sans les costumes, et uniquement avec la balalaïka comme orchestre. Ça ne sera pas l´idéal, car l´intervention doit se passer en extérieur, mais nous n´avons pas le choix… 
Juste au moment de commencer Gérard arrive quand même, alors on se donne 5 minutes pour se changer et nous pouvons attaquer comme si rien n´était. Cette première partie de notre intervention, initialement conçue comme une déambulation, se passe dans le cadre du Festival Langues et Cultures du Monde, organisé par la Mairie. Il n´y a pas beaucoup de monde, quelques élus et des habitants du quartier, mais peu importe, nous accomplissons notre intervention avec toute la fougue et énergie qui nous sont propres, et tout le monde, nous tout autant que les spectateurs, passe un bon moment. 
Après une petite demi-heure nous reviendrons dans la Médiathèque, où nous attendrons avant d´entamer notre seconde intervention, le spectacle de 18 heures. La médiathèque dispose d´un auditorium du dernier cri, alors nous optons pour cet endroit pour notre spectacle. Enfin un vrai lieu de spectacle, ça fait toujours plaisir. Nous sommes rejoins par les jeunes du Mesnil, on leur donnera des costumes pour qu´ils puissent se joindre à nous, on se débrouillera pour les inclure dans notre spectacle comme si rien n´était. Pour ameuter les gens, les spectateurs, nous commençons d´abord dans l´immense préau, et puis, suivis par les spectateurs, nous descendons dans l´auditorium. Nous entraînons de la sorte pas mal de monde et nous attaquons notre spectacle, le dernier de cette tournée, mais avec autant de verve que le premier. Nous sommes maintenant bien rodées, la scène, l´acoustique impeccable et aussi le public acquis nous donnent des ailes…  
Mais c´est là que, vers la moitié du spectacle, quand nous sommes au mieux, tout à coup Sara tombe en poussant un cris strident, et ne se relève plus. On arrête la musique, je vais vers elle, elle gémit en montrant son genou, visiblement, elle a très mal. Je n´ose pas la bouger ni relever. Une personne des organisateurs me demande s´il faut appeler le Samu, oui, il le faut. On apporte de l´eau à Sara, on joue en musique de fond un chant sacré, mais il n´y a rien à faire, il faut arrêter la représentation, j´annonce aux spectateurs que nous sommes dans le regret de stopper le spectacle. L´ambulance des urgences arrive rapidement, et nous amène à la clinique la plus proche. Sara a toujours mal, dès que nous arrivons on nous envoie faire une radio et nous attendons d´être pris en charge pas un médecin. 
La radio a été faite en un temps record, c´est après que ça va se gâter. Les heures passent, et toujours pas le moindre médecin en vue. Helena n´arrête pas de m´appeler, je n´ai rien a lui dire concernant le temps d´attente, la salle d´attente est pleine, nous ne sommes pas les seuls à attendre. Finalement ce n´est qu´au bout de cinq heures que le médecin examine Sara, heureusement rien de grave, un bandage et on peut repartir. Pendant ce temps tout le groupe était au Mesnil, ça commençait à être un peu tendu, il y avait quelques gars éméchés, mais heureusement, d´autres Roms du centre d´accueil sont venu se joindre aux nôtres et ont veillé à que tout se passe bien.