Cyril
Les sorties internationales ont été aussi l´occasion d´oeuvrer de nouveau auprès des populations des roms migrants. Ce fut le cas aussi en Belgique, où nous nous sommes rendus en fin d´avril 2015 pour participer au Festival Balkan Trafik. A Bruxelles nous avons eu la grande surprise de rencontrer des compatriotes slovaques, dont certains nous étaient très bien connus. Notamment les membres de la famille de Cyril du village de Rakusy, notre danseur soliste, qui tentaient leur chance en Belgique, mais en réalité ne faisaient qu´errer dans les rues, à la merci des poursuites de la police, et à la charge du Bureau du Délégué aux Droits de l´homme des Enfants, Bernard de Voos, qui était notre partenaire sur une partie du séjour en organisant une conférence sur l´enfance en errance. Ainsi, nous avons pu avoir des informations de première main sur leur comportement et échanger nos expériences respectives.
En deux mots, la famille de Cyril profite, ou plutôt abuse des services sociaux, qui sont bien obligés de s´occuper d´eux, vu qu´ils ont des enfants mineurs à charge, et sont à la rue. Nos appréciations étaient bien les mêmes, leur démarche était malhonnête, mais la priorité était aux enfants, alors, l´Ombudsman, tout comme nous, s´efforcait à trouver des solutions à la situation dont ils étaient en grande partie responsables. La famille était bien connue aussi de nos membres du bidonville de Rakusy, alors nous avons pu pertinement analyser la situation. L´idéal aurait été que Cyril vienne faire un peu le ménage avec eux. Car cette mauvaise fois dont ils faisaient preuve, qui conduisait au final à l´abus de leurs propres enfants, Diana et Sebastian, 14 et 13 ans, pourrait être le mieux contrée par quelqu´un des leurs. L´Ombudsman a les mains liées par la protection de l´enfance, bien que de temps en temps les services sociaux placent les jeunes dans des centres ou familles d´accueil, mais ceux-ci fuguent à chaque fois. Dans d´autres circonstances, on pourrait invoquer que cela tient à d´autres moeurs, d´autres coutumes... mais nous les connaissons bien, et savons pertinament qu´il n´en est rien. Ils sont comme tout le monde, sauf qu´ils ne se soucient guère du devenir de leurs enfants, et au contraire, ils les obligent à rester avec eux, pour éviter la prison. C´est terrible, car cette facon de faire mobilise toute une armée de travailleurs sociaux, qui, rapidement finissent par craquer, doivent être remplacés par d´autres, sans que la situation évolue d´un pouce. Le pire est, qu´au pays, en Slovaquie ils étaient loin d´être malheureux, ils avaient une maison au village, pas au bidonville, et il ne tenait qu´au père d´aller travailler et envoyer ses enfants à l´école. En Belgique ils ont vite appris comment profiter des failles du système social, généreux et compatissant, surtout envers les mineurs, et ils ont, les adultes, comme les enfants, appris à se comporter en fonction des situations qui se présentaient, et avec beaucoup d´habilité ils ont intégrés des rôles de misérables sans défense. Les enfants ont pris rapidement le plis de ne pas aller à l´école, et pourtant avant ils étaient parfaitement scolarisés. Diana, comme Sébastian sont plutôt évéillés, aptes à poursuivre une scolarité normale. Ils ont tous les deux bien appris le francais, ils savent s´orienter dans leur nouvel environement. Hélas, pas dans la bonne direction. En nous voyant, ils étaient complétement médusés et ils ne nous ont plus lachés jusqu´ à notre départ. Ils auraient voulu partir avec nous. Nous les avons fait participer à nos spectacles, malgré le fait que du point de vue artistique ils n´en ménent pas large. Mais ils avaient tellement besoin de contact avec le pays, de reconnaissance, que nous n´avons pas pu les laisser dehors. Leurs parents ne sont pas dans une position complétement claire, de l´abus. Leur situation est plutôt ambigüe, équivoque, mais au final c´est quand-même très clair, abus il y a, pour assouvir leurs desseins ils se servent bien de leurs gosses, aux quels ils ne donnent aucun avenir autre que la maguille, la débrouille aux dépens des autres comme bagage pour la vie. Par contre, les autres familles rom slovaques qui partagent la misère avec eux dans les rues de Bruxelles, viennent vraiment des conditions totalement déplorables. Ce sont des rescapés du Lunik IX, le fameux ghetto urbain de Košice, leur HLM a du être détruite pour cause d´insalubrité et danger public, alors depuis qques années ils survivent dans des bidonvilles improvisés des parcs et sous-bois de la ville dans des conditions incroyables. C´est simple, tous les ans des enfants en bas âge meurent soit de froid, par des hivers de moins 20, ou périssent par le feu à cause des réchauds de fortune défaillants. Pour ces familles, effectivement, meme les rues de Bruxelles sont un paradis par rappport à ce qu´elles ont vécu à Košice. Mais ils sont bien sûr mis dans le même sac que les profiteurs de Rakusy, et les institutions sociales réchignent à les secourir.
Leur grand frère de 23 ans, Cyril, aurait été le mieux indiqué pour les rapatrier manu militari, sans d´inutiles explications, puisqu´il n´y a rien à expliquer, tout n´est que trop clair. Mais Cyril est aussi sous l´emprise de ses grands frères à lui, qui lui ont fait passer une sale période. Il a failli aller en prison à cause d´une rixe, à la quelle il a pris part à la gare des bus de Kežmarok, il y a de cela un an. Suite à des invectives racistes, quatre tsiganes ont passé à tabac un slovaque, qui affirme qu´ils lui ont aussi volé le portefeuillle et la montre. Attaque et vol avec coups et blessures. Les deux récidivistes de la bande ont écopé de 6 et 5 ans de prison ferme. La justice sait être expéditive dans ces cas en Slovaquie. Nous nous sommes mobilisés avec Yepce pour trouver un avocat à Cyril qui jurait de ne pas s´être battu, au contraire, il est intervenu uniquement pour les séparer. Va savoir... tous juraient le contraire. Toujours est-il que l´avocat lui a conseillé de reconnaître la bagarre, mais pas le vol, et de présenter ses excuses et repentements. Il n´a eu que 3 ans avec sursis. Nous étions heureux, car Cyril a grandi avec nous, il est très serviable, un gars de confiance dans la troupe, qui sait parfaitement s´occuper des plus petits et il s´investi sans retenue dans les spectacles et dans l´organisation de la vie du groupe. Mais surprise, dès que le verdict fut prononcé, il s´est enfui en courant, nous ne l´avons plus revu pendant des mois. Parti, sans un mot, même pas merci... Difficile de dire que cela ne nous a pas touché. Nous étions déconcertés et meurtris par ce manque de reconnaissance flagrant. Tout ce que nous savions, c´est qu´il est parti travailler sur les chantiers à Bratislava. Ses grands frères ne valent pas grand-chose, ils sont très malins, se débrouillent pour ne pas travailler et avoir de l´argent, et ils n´hésitent pas pour cela à profiter de Cyril, et doivent certainement aussi soutirer des sous à leur père qui galère dans les rues de Bruxelles avec les petits. Mais nous n´avions aucun contact ni emprise sur lui.
Après un an d´absence, Cyril vient de réapparaître, comme si rien n´était, il dit que la danse lui manquait. Il a la machoire rafistolée, la bouche pleine de fil de fer, suite à une explication à bras ouverts avec ses grands frères, et une intervention chirurgicale était nécéssaire pour qu´il retrouve l´usage de la parole. Helena lui a fait passer un sacré savon, partir sans un mot, pas plus que de se soucier qui paiera l´avocat qui l´a tiré de l´affaire... il n´est plus un gamin. Bien qu´en voyant certains adultes, on se rend bien compte que beaucoup d´entre eux n´atteigneront jamais l´âge de la riason, ni de la responsabilité... On le reprend dans notre giron, tout en ayant à l´esprit l´inconstance de son caractère, mais s´il pouvait intervenir à l´occasion pour rapatrier son frère et sa soeur, ca serait pas plus mal...
février 2024
De nouveau, 6 ou 8 ont passé, et Cyril réapparait, comme si rien n'était... comme d'habitude. Il est venu un peu plus tôt que les autres, alors on a le temps de bavarder un peu. Il travaille, dur, a l´usine de traitement de la viande de poulet dans le village d'à côté. C´est une aubaine, que d'avoir un travail stable. Mais cher payée. L'aubaine, pas le travail. Des cadences quasi infernales, la raison toujours du côté de l'employeur, etc. La vie. La vie d'adulte avec des factures à payer, une famille à nourrir, pas de temps pour des distractions. Il est venu quand-même, juste jeter un coup d'œil en passant, on est sur le chemin de son travail. Cyril reste pour la répétition. Bien sûr, sa présence se fait tout de suite sentir, malgré un peu d'embonpoint, il a gardé son énergie légendaire, il arrive à la transmettre aux autres, son apport est sans équivoque. Comme au bon vieux temps, la tambourine qu´il a dans les mains ne tient pas longtemps, elle est en morceaux vite fait...Je lui propose de venir de temps en temps, en le rémunérant un peu, ce qu'il refuse. Mais en tant que père de famille, ça change du tout au tout, il est normal qu´on le paye, ne serait-ce qu'un peu, s´il donne de son temps au détriment de sa famille. Alors on se met d'accord pour le mois de mars... On verra bien.
EĽRO 2024
Une fois n´est pas coutume, Cyril a tenu sa parole, et il est venu danser avec nous, comme il l´a promis la veille. Il devait venir avec toute sa famille, mais sa fille ne se sentait pas bien, alors il est venu tout seul.
Il n´a pas failli comme toutes les autres fois lorsqu´il promettait de revenir dans le groupe, de participer aux répétitions, de donner un coup de main, et il n´en a jamais rien été. Cette fois-ci il était bien là, très présent sur scène et efficace, un talent rare, il faut bien le reconnaître.