narratifs
Les Sacres du folklore
Notre première étape passe par Reims, au Festival des Sacres du Folklore. Nous sommes déjà passés ici, en 2009, et nous gardons d´excellents rapports avec une des guides du festival, Monique, qui est une bénévole à la Croix Rouge, et à chaque fois que nous passons par Reims lors de nos tournées, elle nous attend à la sortie de l´autoroute avec sa fourgonette, et remplit nos soutes à ras-bords de vêtements et chaussures qu´elle met de côté pour nous tout au long de l´année. Autant dire, qu´il y en a eu des fourgonettes de livrées, puisque pratiquements toutes nos sorties passent par Reims, qui est sur notre tracé principal. C´est Monique qui nous a proposé à la direction du Festival lorsqu´un groupe venait à défaillir. Ravis de cette opportunité, nous avons répondus présent, et nous avons pu ainsi retrouver des lieux et des amis d´antant. L´accueil était très chaleureux, à l´image de la bonne impression que nous avons laissé la dernière fois, il y a 7 ans. Le festival ne durait que 3 jours, juste assez pour prendre une bonne envolée et jouir d´excellents contacts avec les autres groupes sur place. Déjà l´entrée en la matière était magistrale, une discothèque géante nous attendait le soir même de notre arrivée. Directement, en descendant du bus, nous avons rejoint la grande salle des Fêtes, où étaient présents tous les participants au festival. Le Chili, la Colombie, le Tahiti, la Kalmoukie, la Malaisie, la France et nous. Chaque groupe faisait une petite démonstration sur scène, histoire de se présenter, et puis entraînait les autres groupes dans la danse pour faire plus ample connaissance. Les orchestres chauffaient la salle, le parquet grouillait de danseurs et danseuses du monde entier, les rythmes latinos sud américains constituaient un parfait challenge pour notre orchestre, enfin des musicos qui avaient eux aussi, de la pêche, et la piste de danse ne désemplissait pas. Un repas de gala nous était offert, avec, le terroir oblige, du champage en dégustation. C´était l´occasion pour nos grands ados et jeunes adultes de goûter pour la première fois ce délicieux breuvage, à doses très modérées, bien sûr. Des souvenirs pour la vie, vite gravés et instantanément partagés sur le fb. Les Sacres du Folklore en étaient à leur 35e édition. Autant dire que les organisateurs étaient parfaitement rodés à l´exercice, et aussi, étaient de fins connaisseurs en la matière. Leur estime et admiration nous touchait d´autant plus.
La soirée d´ouverture aidant, nous avons tout de suite établi d´excellents rapports avec tous les groupes. Un peu plus avec le Tahiti, puisque nous partagions le même bâtiment pour dormir. C´est simple, les tahitiens, ils sont comme les tsiganes. Physiquement, mentalement, tout pareil. Peut-être qu´ils sont juste un peu moins exités, nous ne les avons pas vu une fois s´énerver ou s´engueuler, comme ca arrive couramment chez les tsiganes... Sinon, c´était du kif kif. Peut-être aussi parce que, manifestement, ils venaient aussi d´un milieu social un peu semblable au nôtre. Bref, la communication était parfaite, autour du ballon de foot, des guitares, des chants, on était sur la même longueur d´onde. Avec les autres groupes nous n´étions en contact que lors des spectacles, mais pareil, pendant les pauses tout se passait parfaitement bien, et nos jeunes ont pu ainsi faire pratiquement un tour du monde en trois jours.
Les nerfs
Avec Helene, nous partions sur cette tournée encore plus épuisés que les autres années. Les départs sont toujours très éprouvants à cause de toutes les incertitudes qui vont de pair avec nos déplacements, mais cette fois-ci il y a eu en prime le bac, avec tous ses stress, et nous étions littéralement sur les genoux. Alors, un peu plus que d´habitude, nous avions du mal à encaisser les menus écarts qui, immanquablement se produisent quand on a affaire avec un collectif de 35 personnes, constitué en majorité d´adolescents en pleine effervescence de leur adolescence. Rien de bien méchant, les couchages sont à extention, on dit couvre feu à 1h, mais à 3h ca bouge encore. On sait très bien qu´il ne peut pas en être autrement, en rentrant du spectacle après minuit, il est impossible d´être tout de suite au lit. Il faut évacuer tout le stress, le surplus d´énérgie et d´émotions que véhicule la scène. Et bien sûr, lorsqu´enfin tous sont au lit, c´est là que la faim se manifeste cruement, il faut manger, dévorer tous les restes des cuisines qu´on a réussi à passer en douce dans les chambres. Pareil, on comprend, le spectacle, ca creuse. Alors on encaisse tant bien que mal, se rellayant avec Helene pour des tours de garde dans les couloirs, jusqu´ à que tout le monde tombe d´épuisement. Nous, on est hors catégorie, on a dépassé le stade d´épuisement déjà bien avant de partir... Mais il y a une chose que l´on a du mal à encaisser, ce sont les prises de têtes inutiles. Partant du principe que tous, de plein gré nous participons à des événements exceptionnels, et nous savons tous épérdument qu´ils sont exceptionnels, que c´est une chance innouïe que de pouvoir vivre ces expériences, il n´est, naturellement, pas question de subir le moindre refus, ou manifestation de mauvaise volonté de la part de qui que ce soit. Il faut dire que ca n´arrive que rarement. Nous fonctionnons sur le principe d´une „stéreo-discipline“, une discipline à plusieures vitesses. Autant nous sommes très bénévoles lorsqu´il s´agit de la vie ordinaire, on n´est pas à courir après tout le monde en disant fais ceci, fais cela. Tout le monde sait ce qu´il a à faire, comme au bidonville, tous sont autonomes, habitués dès la tendre enfance à n´avoir personne pour les tenir par la main. Bien sûr, il faut surveiller. Et c´est là, que nous avons besoin de l´aide des grands, des anciens. Il faut qu´ils assument leur rôle de grands frères, surveillants, nous épaulant, étant nos bras droits démultipliés. Par contre lorsque nous sommes en situations exceptionnelles, que ce soit au spectacle, avant le spectacle, en déplacements, lors des moments critiques, arrêts d´autoroutes, etc,. où des dangers réels guettent – un camion peut surgir à n´importe quel moment sur une aire d´autoroute, là, la discipline est spartiale, militaire, sans aucune concession. Mais tout le monde comprend ces enjeux, et de régle générale, il n´y a pas plus de problèmes que ca. Là, la particularité consiste dans le fait que nous avons une majorité de nouveaux, donc il faut veiller un peu plus à ce qu´ils intégrent ces bons préceptes au plus vite et aient les bons réflexes qu´on leur demande. Ca demande un peu de temps, ce qui veut dire beaucoup de manque de sommeil pour nous, les adultes... Et la fatigue ne fait que s´accummuler. Cela se traduit chez moi par une espèce de virose qui se manifeste assez rapidement, et je sens que je suis au bout mes limites, alors je réserve mes forces pour l´essentiel, les spectacles et les moments cruciaux. Le reste du temps, je n´en mène pas large. C´est pourquoi, avec Helene nous sommes surpris et désemparés, lorsque Ezel (Dalibor), se met à jouer les rebelles, les fortes têtes, alors qu´il devrait, au contraire, en tant qu´un des anciens, nous épauler du plus fort sur scène, comme en coulisses. Et là, c´est tout le contraire. Il se met à se comporter comme un gamin, ce qui nous met en rage, mais on ne sait pas trop comment réagir, on laisse passer, pensant que ca va passer. Mais non, ca ne passe pas! Au contraire, ses sauts d´humeur se manifestent là où on en a le moins besoin. Lors des couchages, pas la moindre coopération pour servir d´exemple aux nouveaux et les calmer, au contraire il sert de mauvais exemple, et de plus, sur scène, il mène une rébélion ouverte. Du jamais vu. Lors de la soirée de gala du festival, un moment très important, crucial, où chaque groupe doit se présenter dans sa meilleure forme (n´oublions pas que la concurence est des plus rudes, presque tous les autres ensembles sont des professionnels), notre Ezel, danseur soliste de son état, meneur du groupe des garçons, n´en mène pas une, et 15 minutes avant d´entrer sur scène, il n´a toujours pas mis son pantalon. Bon, me dis-je, nous nous énérvons pas, il est dans une période de provocation démonstrative, mais c´est un ancien, il va enfiler son costume en moins de deux et il sera prêt pour la scène. Je ne dis rien. Dix minutes passent, notre Ezel est toujours en caleçon. Qu´est-ce qui se passe!? Tu comptes monter comme ça sur scène? Je pense qu´il va me répondre qu´il a oublié son costume et qu´il n´ose pas me le dire. Mais non! Nonchalant, il se targue de me répondre qu´il n´a pas envie de mettre son costume aujourd´hui, pas plus que de danser. 5 minutes avant de monter sur scène! Du calme! Ca sert à rien de lui casser la tête, je contiens ma rage, envie ou pas envie, tu vas danser, on s´est battu pour ca, tous, alors tu ne vas pas nous saboter le spectacle, tu montes sur scène, tu mets le paquet, on verra le reste après. Puisqu´il n´a pas de pantalon, je vais en emprunter un auprès des sud-américains, il est un peu ample, mais c´est pas grave, ca ira. Hop, c´est à nous. On envoie à fond, comme il se doit, notre Ezel de même, à fond, totalement en sueur, mais sans pantalon, juste avec un espèce de bermuda, et sans chaussures, en chaussettes, n´ayant même pas la présence d´esprit de se mettre pieds nus. Heureusement que le folklore que nous sacrons à Reims ce soir relève de la culture tsigane, donc ces écarts vestimentaires peuvent passer comme faisant partie intégrante de la culture nomade... Mais dans notre régime interne cela ne passe pas du tout. Un tel refus manifeste équivaut à un billet de retour en bus illico et presto. Fort de mes expériences antérieures, je sais que ce n´est pas la peine de tergiverser, et lui anonce dans le plus grand des calmes zen dont je suis capable, qu´il repart le lendemain à la maison. Il a déjà 18 ans, il est majeur, responsable, s´il veut faire le malin, ok, à sa guise, je lui achète un billet d´Eurolines, il rentre tout seul, et dans deux jours il peut s´adonner aux caprices vestimentaires à coeur-joie chez lui. Ce soir, c´est couchage express, tout le monde sent que je ne suis pas de bon poil. Le lendemain, en pleurs il supplie de rester. J´hésite. Ce n´est pas la première fois qu´il nous fait un coup pareil. On le laisse, mais il n´y aura plus de prochaine fois. S´il remet ca, ce sera le retour sans concession.
On va sur l´étape suivante, qui se passera au Château de Buno, où nous avons déja pris nos quartiers plus d´une fois, et de nouveau, Vincent nous offre l´hospitalité pour une petite semaine, le temps de rejoindre Angers, où tout un programme nous attend. Bien, nous allons au moins pouvoir récupérer un peu, après toutes ces émotions, ce n´est pas plus mal.
La totale
Au Château, c´est la vie du château... Le temps est splendide, la petite rivière qui contourne le château nous sert de piscine, il y a de quoi se faire à manger, la Banque alimentaire ayant pourvoyée à nos besoins. Une vraie idylle. Jusqu´à ce qu´en plein milieu d´une après-midi de relax et de farniente, survient tout à coup un remue-ménage, suivi d´un mouvement de foule, des cris, des pleurs et des gémissements. Il se passe quelque chose au premier étage, m´annonce Nikola en pleurs. Ils sont en train de se battre. J´enjambe les escaliers, apparament rien de bien sérieux, les ados de Rakusy ont filé une baffe à Jakub, qui est de Lomnica. C´est pas bien sympa, ils sont plus grands et plus nombreux, mais je vois que ce n´est rien de grave, alors je saute dans le tas, distribue des bastons bien sonnants sur les dos qui passent à ma portée, plus quelques baffes légéres, rien de bien méchant, c´est impressionnant, mais ca ne fait pas mal, ca fait juste un bruit comme dans les films de karaté, et ca permet d´assoir mon autorité en moins de deux. Il n´y a pas de résistance. On sort dehors pour traiter l´affaire devant tout le monde, il y a quand même de l´éléctricité dans l´air. Domino, qui devrait être un exemple de calme et de pondération, puisqu´il a passé 6 mois chez les Intermèdes à faire de l´éducation sociale populaire, eh bien Domino faillit le premier, et il veut régler le problème manu militari, et il y va pour la baston pour défendre son petit frère. Là, pas question, la justice, c´est moi qui la rends, c´est à moi de gérer ce genre d´incidents. Je lui gueule un bon coup dessus, pareil, il peut prendre le bus de retour instantanément. J´essaie de maîtriser la situation. Jakub est dans tous ses états. Complétement hystérique, il pleure et n´arrive absolument pas à se calmer. Heureusement, il n´ a pas de couteau à porté de main, sinon il s´en servirait. Les Rakusy sont ok, les filles pleurent, et Matej arrive, pareil, en pleurant, voulant défendre son frère jumeau. Là, ca en fait un peu trop. Nous sommes dehors, sous le soleil tapant, tout le monde chauffé à blanc, voyant rouge, ca risque vraiment de dégénérer vers une castagne générale à la western, comme à la maison, et j´aurais du mal à maîtriser tous ces exités. Je ne sais trop quoi faire, alors une idée de génie me vient. J´ordonne à tout le monde de se mettre en slip et de sauter dans l´eau! Je prends mon air le plus féroce, déchaîné, pas question de désobéir, tous obtempérent comme un seul homme, et se retrouvent au frais en moins de deux. Ouf, ca va mieux. L´eau fraîche a un effet de cure thermale miraculeuse pour nerveux profonds, et instantanément la situation se détend. Je les laisse patauger, ca ne peut que leur faire du bien. Tout à coup, Matej, encore sous les nerfs, se met à pleurer et me supplie de le laisser sortir parce qu´il a faim. Tiens, qui l´eut cru!? Je persévére dans mon rôle de justicier impitoyable : pas question de sortir. Tu resteras là jusqu´au matin et si tu as faim tu n´as qu´ à brouter l´herbe qui pousse autour de toi! Ca va, la tension est passé, il faut que je fasse de gros efforts pour me retenir de rire, tant la situation me parrait comique maintenant. Mais il y a quelques instants encore, il n´en était rien, et cela pouvait dégénérer grave. Alors, j´insiste pour qu´ils restent encore un peu au frais, ca ne peut pas leur faire du mal, et je monte ce bonniment à Matej tout en m´efforcant de garder mon sérieux et mon air féroce et ne pas rigoler. Matej écoute, pleurniche et reste là à patauger, mais Domino, pris par un élan d´amour fraternel, fidèle copie du grand Averrel des Daltons, y va de la sienne, à la française, comme quoi, Monsieur, c´est pas normal de nous laisser là, dans l´eau, mon petit frère a faim, il faut qu´il mange, il ne va pas tout de même brouter de l´herbe comme un mouton. Là, je n´en peux plus, je ne peux plus me retenir de rigoler, et lui dis, espèce d´abrouti, tu viens de passer 6 mois chez les Intermèdes à faire de la pédagogie sociale, tu ne vois pas que je suis en plein dedans, dans cette pédagogie sociale. C´est toi qui devrait faire ce je suis en train de faire en ce moment, calmer le jeu, et non le contraire, comme tu as eu la lumineuse idée de vouloir le faire en allant à la baston tout à l´heure. Ne sachant pas vraiment s´il a compris, je le mets au diapason en lui promettant de l´envoyer directement à la gare des bus pour rentrer illico s´il lui venait à l´idée de ne pas m´écouter. Et à ses frais, il est adulte, on l´a envoyé bosser, donc il est autonome et peut rentrer chez lui quand il veut! Personne ne le retient. Je sais très bien qu´il n´a plus un sou, et qu´il ne serait pas capable de faire cent mètres tout seul sans se perdre, il est impossible qu´il rentre sans nous, et de toute façon il ne demande qu´ à rester. Mais il faut que j´assieds mon autorité et il n´est pas question de me désobéir d´un poil!
Bon, le plus dur est passé, je les fais sortir, on en parle encore, on y va de nos tirades moralisantes et pédago, mais tout le monde a compris en gros que de pareils excés sont à éviter à tout prix si on veut perdurer ensemble. Et pour l´instant tout le monde veut que ca continue. Je n´en fais pas une affaire, les nerfs, la chaleur, la fatigue, c´est des choses qui arrivent. Mais je reste vigilant. Par contre, s´ il y en a un qui me fait des soucis, c´est Jakub. Lui, je ne lui ai pas fait prendre de bain, je voyais bien qu´il est trop fragilisé. Et ça ne s´arrange pas. Je le retrouve complétement hors de lui, toujours en plein délire hystérique, à trembler de tous son corps, incapable de parler, à gémir, pleurer, couché en boule, bref, mal barré... Que faire? Ca a l´air aussi d´une bonne petite crise d´épilépsie. Il ne manquerait plus qu´il se mette à avaler sa langue. Heureusement, pour l´instant il ne bave pas. Je ne sais pas s´il avait reçu vraiment un coup sérieux, peut- être qu´il est même tombé par terre, sur la tête. Alors, ça peut être grave. Que faire? Si je l´amène aux urgences, c´est sûr qu´ils vont le garder en observation une petite semaine. Bonjour les dégâts. On ne peut pas se permettre ça. Il y a comme par hasard au château Nathalie, une amie à Vincent, le propriétaire, venue pour jetter un coup d´oeil pour voir comment ça se passe. Eh bien, elle est servie. Inutile de dire qu´elle n´en mène pas large. Déjà de mon point de vue de gars expérimenté, ce n´est pas évident, mais pour elle c´est la Bérézina, il faut amener le petit aux urgences, tout de suite, sinon le gamin va mourir... Elle sort son portable pour appeler l´ambulance. Il ne manquerait plus que ça. Je l´arrête, j´essaie de la calmer, décidément je passe ma vie à calmer les exités en ce moment. Jakub est dans sa phase rampante, recroquevillé sur lui même, il se roule gentiment par terre, tout en continuant à gémir et à pleurer. Impossible de communiquer avec lui. Tomas, son frère ainé, lui a filé une bonne mandale, qu´il arrête de faire son cinéma, on en a marre, on veut aller se coucher. Manifestement, la thérapie manuelle ne passe pas, Jakub continue de plus belle, Nathalie est pas mal non plus, elle resort son portable, décidée de nouveau à appeler les urgences en toute urgence. Rebelotte, on l´évacue dehors en lui assurant que tout va bien, chez nous c´est normal, c´est comme ça tous les jours, il n´y a pas à s´inquiéter. Helena la prend pour aller fumer une clope, moi je reste avec Jakub, bien dubitatif, il faut bien l´admettre. J´ai réussi à dégoter une vidéo de l´altercation, tournée au portable par Nikola. Manifestement, il ne s´est passé rien de bien méchant, une baffe est partie, et ça s´est arrêté là. Mais Jakub, selon toute évidence surexposé au niveau émotionnel a réagi démésurément, et n´arrive pas à retrouver ses esprits. Apparemment, il n´y a pas eu de traumatisme physique lourd, ça se passe plus au niveau psychique. Mais ça ne veut pas dire que tout va bien, le gars est impraticable, il ne communique pas, je comprends la panique de Nathalie, je n´en mène pas large non plus. Je suis totalement épuisé, si je montais dans ma chambre, je tombrais raide instantanément, je ne me souviens plus quand j´ai dormi normalement pour la dernière fois. Il n´est pas question de laisser Jakub tout seul, la seule solution, c´est de mettre mon matelas à côté du sien et de me coucher tout prés à écouter s´il respire encore, s´il n´est pas en train d´avaler sa langue par exemple. Nous sommes au rez-de-chaussé, ses frères et cousins sont couchés aussi tout autour, à le surveiller, toujours cette histoire de langue à ne pas avaler... Ambiance. Jakub gémit, ne sort pas un seul mot audible, de temps en temps il se met à fredoner les chansons de notre spectacle tout en gémissant en rythme. Super. Il doit être pas loin de 5 heures du matin lorsque nous réussissons à nous endormir, juste assez pour me révéiller à 6 heures, comme d´habitude. Ca fait 4 jours que nous sommes partis, on dirait déjà 4 semaines. Autant la tournée de l´été dernier, qui a duré 6 semaines, était du gâteau, cela ne nous parraissait pas long, on aurait volontiers joué les prolongations, autant cette tournée est déjà au départ interminable, si on pouvait, on rentrerait tout de suite. Je ne me souviens pas d´avoir jamais eu un tel sentiment d´abattement et de lassitude tels que je les éprouve maintenant. Si on pouvait, on ferait demi-tour instantanément et on laisserait derrière nous tous ces malheurs. D´abord Ezel, ensuite Jakub, qu´est-ce qui nous attend encore?
Bien sûr, il n´est pas question de rentrer. Tout d´abord nous nous sommes pas de ceux qui se laissent abattre, et surtout, bien que bien abattus, nous ne pouvons pas rebrousser chemin pour la bonne raison que nous n´en sommes même pas à la moitié de notre tournée, et devant nous il y a encore Angers, avec la résidence préparée par nos amis de Yepce, qui ont bossés comme des malades pendant plus d´un an pour la préparer, alors on ne va pas flancher au bout de quelques jours de menus problèmes. On va se ressaisir et on fonce! Le lendemain les Intermèdes sont là, on répéte, on fait diversion, Jakub va un tout petit mieux, il gémit un peu moins, mais reste encore dans sa constante, il ne communique pas, marmonne des trucs inaudibles, reste à l´écart de tous, persévére dans son délire. On fait avec. Je met des gardes autour de lui, il faut que constamment quelqu´un le surveille, l´air de rien. Les anciens se rellaient à cette tâche, et le reste continue comme si rien n´était. Mais le coeur n´y est pas vraiment, les événements des derniers jours nous ont quand-même un peu sonné. Il y a de quoi... Encore un jour, et nous partons pour Angers. Je songe à envoyer Jakub à la maison. Je ne vois pas qu´est-ce qu´on pourrait faire avec. Il ne bouge pas, ne participe à rien, il serait aussi bien chez lui. Et j´espère que ce n´est rien de grave, qu´il s´agit juste de petits problèmes psychiques... Mais il faudrait alors que Stefan l´accompagne, et même s´ils partaient immédiatement, Stefan ne serait pas de retour avant 4 jours, trop tard pour nous rejoindre à Angers. Et c´était aussi risqué de le laisser partir tout seul avec le gamin, que ferait-il si son état venait à se détériorer subitement?
Alors on continue notre chemin au complet, tels que nous sommes partis, mais avec deux cas bien spéciaux avec nous, Jakub, et dans une moindre mesure Ezel, qui n´est toujours pas, lui non plus, dans un état normal. Nous avons quand-même profité de notre séjour à Buno pour organiser des grosses répétitions avec les Intermèdes en vue de leur participation à nos spectacles, et nous sommes intervenus, comme d´habitude au camp rom de Ballainvilliers. Le travail c´est la santé...
Résidence d´Angers
La résidence d´Angers, c´est un joyau de séjour artistique, un véritable bijoux, que toute l´équipe d´Yepce, autour de Pierre, Johann, Rodolphe, Jenny et d´autres, fraîchement arrivés dans l´association, ont concocté, soigneusement préparé tout au long de l´année afin que tout soit au mieux lors de notre arrivée. Et ca l´était. Tout d´abord un programme formidable, avec plein d´événements et interventions, mais avec, aussi, des temps de récupérations, le tout servi sur un plateau d´argent sous la forme d´un hébergement dans un gîte impeccable, avec les frigos remplis par la Banque alimentaire, plus une couverture financière confortable. Il n´y avait pas à bouger le petit doigt! De plus l´équipe était constituée de vieux copains, qui connaissaient parfaitement notre situation, nos besoins et priorités, et pouvaient instantanément prendre le relais au niveau de l´organisation de la vie de notre troupe. Ce qui venait vraiment à point, car mes résérves allaient en s´aménuisant, je n´étais pas en forme, le début de virose qui me poursuivait depuis le départ n´arrivait pas à passer, et hormis les temps de présence intense sur scène et au moments des répétitions, quand je mettais le paquet, j´étais de plus en plus affaibli, hors circuit, j´avais un besoin urgent de récupérer. Alors ca tombait très bien que d´autres aient pu prendre la relève au niveau des activités journalières. Notre équipe accueillante était vraiment formidable. Tout roulait tout seul, les provisions, les activités, l´accompagnement aux interventions et spectacles, tout. Et avec un plaisir et une bonne volonté manifeste de participer à cette aventure. Le programme de la résidence était peaufiné tout au long de l´année autour de véritables échanges et rencontres avec les jeunes de la région. Tout d´abord une coopération musicale sur 6 mois autour des morceaux choisis de notre répértoire avec la Fanfare angevine Les enfants de Tchabalum, et puis un flash mob, pareil, sur nos musiques, en partenariat avec l´École de danses africaines Yédélé. A chaque fois ca se passait très bien et les rencontres étaient enrichissantes pour tous les participants.
Dès notre arrivée, avant même de s´installer au gîte, nous avons commencé par une intervention dans une école, sur le préau, au contact direct avec les élèves. Ensuite l´hébergement, parfait, à l´écart, tranquilles, hormis les nuées de moustiques, proliférant après les innondations de cet été. Assez de place pour tout le monde, nous avons mis comme d´habitude, les filles et les garçons à part, avec un ancien dans chaque chambre pour veiller au grain. Dushko et Joana étant de bon secours à ce niveau. La chambre des filles est juste au-dessus de la mienne, et je n´ai même pas le temps de poser ma valise que je vois passer devant ma fenêtre trois goblets de yaourt, s´écraser en beauté juste devant mon nez. Nous avons avec nous trois nouvelles, elles ne savent pas encore comment ca se passe, alors elles font comme à la maison, la poubelle, c´est par la fenêtre. Une excellente occasion d´intervenir avec la pédagogie populaire et mettre tout de suite les choses au clair. Le ménage, c´est notre outil pédagogique de premier plan, et nous nous en privons pas. Il y a toujours du rattrapage à faire...
Comme le gîte se trouve sur les bords de la Loire, nous sommes comblés au niveau des moustiques. Il y en a partout. Il faut apprendre à fermer les fenêtres et les portes sans les casser. Encore une nouveauté! Mais c´est par rapport à la baignade que des mesures draconiennes doivent être prises, il n´est pas question de tremper le petit doigt dans l´eau, des noyades sont fréquentes sur cette partie du fleuve. Alors les bords sont strictements interdits d´accès. Mais ce n´est pas la peine d´insister, les moustiques constituent une barrière naturelle bien répulsive.
Notre séjour était parfaitement bien préparé et conçu. Outre les spectacles et activités liées à ceux-ci, les ateliers et répétitions, plusieures autre manifestations ont fait partie du lot. Pas moins de 4 expositions photo étaient organisées en même temps dans la région sur le thème des Kesaj Tchave. Déjà en entrant aux Ponts-de-Cé, une affiche géante annoncait le Festival des Traver´Cé Musicales, avec Kesaj Tchave bien en vue. Pour ceux qui auraient éventuellement raté cette première interpellation visuelle, tout de suite aprés, sur la gauche en entrant dans la ville, il y avait la suite, tout le mur de la Médiathèque Georges Brassens, couvert de photos géantes de Rodolphe Mélisson de notre groupe. Impossible de ne pas les apercevoir, chaque personne qui entrait en ville, avait ce catalogue géant de Kesaj Tchave devant ses yeux. Et à l´intérieur de la médiathèque, l´expo sur la BD de Johann. Comme si ce n´était pas assez, les médias, le web, les espaces publicitaires étaient innondés des affiches sur l´expo photo de JM Delage, Kesaj Tchave – le miracle des enfants de la fée, et des panneaux de promotion des festivals avec les Kesaj Tchave. Bref, impossible de passer à côté des Kesaj Tchave!
Mardi nous avions une émission en direct pour la radio locale, suivie d´une première répétition avec la fanfare et une mise en place du flash mob. Grâce au sérieux de nos partenaires, qui ont très bien préparé le terrain, tout cela roulait comme sur du beurre... Mercredi il y avait le vernissage de l´expo photo de Claude et Marie-Jo Carret, les Chemins du Vent, dans le cadre de la quelle nous avons recu 5 magnifiques costumes de scène, cousus par l´Atelier de Couture Milchâtbos et financés par l´Atelier d´écriture, Des mots pour le dire. Le tout organisé par les Carrets. C´était aussi une occasion rare de rencontrer en personne tous ceux qui ont participé et se sont sont investi dans ce généreux projet et de les remercier de vive voix, en leur faisant une petite démonstration de nos danses, les filles parées de ces nouvelles robes magnifiques. C´était un moment très émouvant, nous sommes très reconnaissants à tous ceux, qui ne nous connaissaient pas et pourtant se sont déménés pour nous aider. Nous filons ensuite à Melle, à 3h de route, pour un spectacle de rue organisé par nos amis du groupe des Ogres de Barback. Très bonne prestation, retour après minuit.
Résidence bis
Notre résidence comprenait aussi une résidence bis, celle des Intermèdes qui nous rejoignaient le jeudi. Pour eux c´était l´occasion d´une première grande sortie pour la plupart de leurs jeunes, et aussi le moment de vérité, en participant au spectacle avec nous, sur une scène officielle lors du Festival Traver´Cé Musicales. On a réussi à leur trouver un camping juste à côté de notre gîte, alors ils sont venus avec des tentes et des sacs de couchages. Ils étaient une bonne vingtaine. A vrai dire nous étions un peu flagada après toutes ces émotions et épreuves que nous venons de traverser. Mais il n´était pas question de se relâcher, pour les Intermèdes c´était l´aboutissement de 6 mois de travail, et pour nous aussi, puisque nos instructeurs ont directement participés à ce projet. Nous cueillons les Intermèdes directement à leur descente du bus, pour participer d´abord à un match de foot amical France – Slovaquie, entre nos jeunes et une association sportive locale. Les terrains de foot sont d´excellents terrains d´entente interculturelle, il en fut de même, les jeunes champions ont joué fair play et ont amplement mérité le goûter partagé en fin de match en la présence du Mr. le Maire et des élus du conseil municipal.
La soirée était prévue à l´Université Catholique de l´Ouest, où nous étions attendus pour une conférence-débat intitulée Travail éducatif de rue, pédagogie sociale de danse et de fête. Nous nous sommes partagés les temps de parole avec Laurent, et le public, constitué de fervants adeptes des pédagogies Freinet, Tomkiewicz, et autres philosophes du social, était largement acquis, d´autant plus que nos exposés étaient suivis d´une démonstration Kesaj Intermèdes grandeur nature dans le hall de l´Université. Toute occasion de répéter ensemble était bonne à prendre, et celle-ci en était une. Une fois rentrés au gîte nous avons encore remis ca. Bien que le hall du gîte était de modestes dimensions, rien à avoir avec celui de l´Université, nous avons quand-même réussi l´exploit de faire une répétition à 60 personnes dans un endroit où 6 auraient déjà de quoi faire. Approchait le moment fatidique d´aller se coucher. Je n´arrivais pas à concevoir comment les Intermèdes allaient pouvoir dormir dans les tentes avec cette invasion monstrueuse de moustiques dont nous bénéficions cet été. J´en étais déséspéré, mais je ne pouvais rien faire, le gîte était plein à craquer, nous n´avions pas de moyens de les aider. D´autant plus grande était ma satisfaction et surprise en les voyant venir le lendemain matin sains et saufs. Manifestement, les moustiques ne parvenaient pas à venir à bout de leur enthousiasme sans limites et énergie débordante. Et il en fallait. Les journées étaient courtes malgré le temps estival, tellement notre programme était intense. De nouveau des vernissages. En premier, celui de l´expo photo de Rudolphe Mélisson et Johann le Berre, avec une intervention artistique de notre part, cela va de soi. La Médiathèque Georges Brassens qui nous accueillait aux Ponts-deCé était un endroit merveilleux, ainsi que les gens qui organisaient l´événement. Du pur plaisir. Pour ne pas s´arrêter en si bon chemin, nous avons continué sur notre lancée à la Médiathèque Jean Carmet aux Murs-Érigné, où nous attendait Jean Michel Delage pour le vernissage de son expo, Kesaj Tchave - le Miracle des enfants de la fée. En présence de Titi Robin, qui a fait la préface du bouquin du même nom. Enfin, après des années nous nous rencontrons, bien que brièvement, il est entre deux concerts et nous entre deux spectacles. On enchaîne avec le Festival reggae Murs-du-Son, sur le même endroit. Pour les organisateurs c´est une première édition, alors nous nous chargeons de tout ce qui concerne la logistique du spectacle. C´est simple, rien n´est prêt, alors nous improvisons un espace scènique sur le bitume devant l´entrée de la salle. Nous aurions bien aimé utiliser la super sono qui est à l´intérieur de la salle, mais ca aurait été trop compliquée, alors on fera à la cosaque, à l´acoustique, dehors. Nous arrivons quand-même à nous ravitailler avec un repas offert par le festival, et nous envoyons un bon spectacle d´une bonne heure et demie, Kesaj et les Intermèdes, toujours dans cette volonté de profiter de chaque occasion pour répéter ensemble. Là, ca pouvait être considéré comme une avant-première, puisque le lendemain nous devions nous produire sur une vraie scène, celle des Traver´Cé Musicales.
Des répétitions, nous en avions besoin. Il était évident que les Intermèdes, malgré le travail effectué tout au long de l´année, n´étaient pas encore très performants. Il leur manquait avant tout de l´expérience, et celle-ci ne peut s´acquérir que sur scène, en spectacle. C´est pourquoi, malgré les conditions matérielles très spartiates, nous avons volontiers profité de l´occasion de nous produire aux Murs Érignés, devant un public rasta reggae. Le bitume, on passe un coup de ballai dessus, les micros, on oublie que ca existe, la scène pareil, et on y va de notre mieux, devant un public émervéillé et médusé devant toute cette énergie et bonne humeur débordante de tous les côtés. Les Intermèdes nous apportent encore plus d´exotisme, il y a parmi eux aussi quatre jeunes filles africaines, très belles, parfaitement à l´aise dans les déhanchés tsiganes, ainsi qu´une flopée de jeunes français et maghrébins, le tout constituant un mélange des plus étonnants, mais visiblement n´ayant aucun problème à se mélanger, alors les spectateurs adhèrent, eux aussi, à cette déférlante du multiculturel et du vivre ensemble, si profanés de nos jours.
Avec ce rythme bien soutenu, je n´arrivais toujours pas à me remettre d´aplomb, la virose ne passait pas, j´étais de plus en plus faible, fébrile, et je craignais que mon état ne se détériore encore plus. Je suis que très rarement malade, mais si j´arrivais à attraper des 40 de fièvre, je serais ko, et je ne voulais pas imaginer ce que ca pourrait donner au niveau de l´organisation de la tournée si ma température venait à grimper. Alors une visite chez le médecin s´impose. Pierre réussit à m´arranger un rdv sur le champ. Des antibiotiques, bien sûr, et la vie continue. J´étais en pétard contre mon état de santé défaillant. Heureusement que nos amis de Yepce pouvaient assurer au niveau des activités journalières avec les jeunes, mais je n´avais pas la force de faire quoi que ce soit en dehors des spectacles et des répétitions. Cela me navrait de ne pas pouvoir partager plus d´instants de détente avec nos amis, d´être un peu disponible pour eux, ne serait-ce qu´autour d´un verre de café à de rares moments perdus au cours de la journée ou de la soirée. Mais, rien à faire, dès que je pouvais, je tombais dans mon lit.
La présence de Dushko et de Joana était bénéfique, ils pouvaient prendre la relève pour une surveillance naturelle, du fait de leur statut d´anciens et de grand frère. Domino, en tant qu´instructeur de chez les Intermèdes servait de lien naturel avec ceux-ci, et pouvait aussi, bien que dans une moindre mesure, assurer un peu en tant que surveillant chez nous. Il faut dire que ce n´est pas évident de surveiller ses frères et cousins... Par contre toute l´équipe des grands, Stefan, Klaudia, Tomas, Maros, assumaient parfaitement dans une participation naturelle à toutes les activités logistiques, cuisine, rangement, etc. , ce qui apportait un certain confort au séjour, en nous déléstant de ces soucis journaliers. Bien sûr, Helene gérait le tout, épaulée solidement par toute l´équipe des Yepce et les Carrets, n´oublions pas que nous étions en autonomie totale de cuisine, la restauration était assurée par nos soins, et le rangement et nettoyage aussi, bien entendu. Jakub, lui, était toujours dans le coltard...
La Grande scène
Samedi étail le point culminant de la résidence, le jour J, avec le spectacle sur la grande scène du Festival des Traver´Cé Musicales. Pour nous, de la routine, mais pour les Intermèdes un événement de la plus haute importance, le moment de vérité, qui allait cautionner tout le travail des derniers 6 mois et allait conditionner les mois à venir. On a fait ce qu´on a pu, dans la mesure de nos maigres possibilités durant ces 2 jours que nous avons passé ensemble. Mais c´était plus de l´ordre psychique, pour rassurer tout le monde, car un travail de fond est irréalisable en si peu de temps. Les jeunes des Intermèdes étaient très motivés, ils étaient bien encadrés par leurs jeunes instructeurs, stagiaires et salariés des Intermèdes, qui eux aussi, participaient directement au spectacle. Et aussi avec une joie et énergie débordante, entraînant les autres dans leur sillage et faisant bien corps avec nous. Les quelques répétitions en situations de spectacles que nous avons réussies à faire ont été bénéfiques, ils ont pu au moins intégrer mes recommandations essentielles, de bien faire attention aux autres, de sourire, de bouger, d´être dans le coup...
Le spectacle était précédé de notre fameux flash mob, conçu par Falila Tairou, directrice de l´École de danse africaine Yédélé d´Angers. Falila venait du Bénin, ce que nous ne savions pas à l´origine, et avait donc les meilleurs prédispositions pour inventer une corégraphie sur notre musique, qui par le plus pur des hasards venait aussi du Bénin, puisque c´était une mélodie que nous avons intégré à notre répértoire suite à la rencontre avec la fanfare béninoise Eyo´nlé, l´année dernière lors de la résidence avec les Ogres de Barback. Falila s´est inspirée de nos pas de danses, la musique était encore revue par Nicolas, le trompetiste de la fanfare des Enfans Tchabalum, et le tour était joué. Le tout dans la simplicité, sans se prendre la tête. C´était aussi ca, le but de la résidence et de tout le travail de partenariat que nous avons efféctué depuis la rentrée. Le flash mob a mobilisé une bonne foule, hormi nous, il y avait plus d´une centaine de participants, des jeunes, des seniors, un peu de tout, qui se sont joints à nous pour déambouler en rythme tsigano-africain en partant des buvettes vers la scène. Une des buvettes est tenue par les amis de Yepce, alors c´est un bon départ. Nous sommes aussi accompagnés et solidement soutenus par une fanfare batacouda délirante angevine, Capharnaum, accoutrée de costumes fantasmagoriques de gros insectes à la Star Wars, qui allaient parfaitement avec notre procession et apportaient un fond sonore des plus appréciables avec leurs cuivres et gros tambours. Nous montons sur scène pour un set musical avec les petits de Tchabalum, et nous attaquons ensuite notre spectacle. D´abord en solo, sans les Intermèdes, car nous sommes quand-même tenus de présenter une production d´un certain niveau, à la quelle est habitué notre public, et pour la quelle on nous a fait venir. C´est toujours un dileme, que de faire intervenir dans nos spectacles des intervenants externes, pas très au point encore au niveau artistique. Cela fait partie de notre méthodologie pédagogique, que de faire participer les nouveaux tout de suite, de les plonger insantanément dans le bain, en plein dans le tumulte de notre spectacle, pour qu´ils en prennent un maximum, pour qu´ils recoivent un tout plein de sensations transformées ensuite en motivations et énergies pour le futur. Et c´est comme ca aussi qu´on apprend le mieux. Mais nous nous devons aussi de garder notre niveau artistique à nous, ne pas faire de concessions, et être honêttes vis-à-vis de nos spectateurs, sans parler des organisateurs, qui ne sont pas tenus de partager nos penchants humanitaires. Quand les apprentis danseurs et chanteurs ne sont pas trop nombreux, ca va encore, ils se fondent dans la masse de notre troupe. Mais il en est tout autrement lorsque nous voulons faire monter sur scène avec nous une autre troupe, novice, importante par le nombre, comme la vingtaine des Intermèdes en l´occurence. C´est une occasion unique pour leur faire gouter la scène, pour leur donner à partager toute notre expérience et notre succès, mais nous ne pouvons pas, non plus, léser le public, qui est venu pour assister à une production artistique de qualité et pas à une démonstration d´ateliers artistiques relavant du cadre associatif.
Nous envoyons alors un premier set très dynamique, comme d´habitude, et nous faisons ensuite, vers les deux tiers du spectacle, monter sur scène les Intermèdes. Ils ont des costumes neufs, sont trépidents d´impatience de se montrer enfin au grand jour sur dans un grand festival. Tout se passe bien, les journées précédentes de travail ont portées leurs fruits, les automatismes sont acquis, il n´y a pas de dégats trop évidents, pas de faux pas, tout le monde est dans le coup, tous participent de leur mieux, et l´ensemble dégage une bonne sensation artistique. La production est honnête, enjouée, énergique et remplie de joie de vivre. Le public suit, c´est un bon succès, réconfortant. Nous sommes handicapés par la scène, elle est montée en hauteur, ce qui ne permet pas les descentes vers le public pour faire partciper les spectateurs au spectacle. Faire danser les gens est un des points forts de nos productions, sans cela, ce n´est pas vraiment ca. Mais on fait avec, à la fin on fait monter au moins Falila sur scène et aussi les jeunots de Tchabalum, qui partagent ainsi avec nous un vrai délire d´une apothéose finale bien méritée. La sortie de scène est triomphante, et les ovations résonnent encore longtemps dans les coeurs de tous ces artistes en herbe. Les Intermèdes sont au septième ciel, les mômes n´ont encore jamais connu ca. Du pur bonheur.
Peu après le spectacle suit un pot d´amitié avec le maire, le conseil municipal et les organisateurs du festival. Très chaleureux, le maire nous remercie et met en avant l´excepetionnelle dimension humaine et artistique de cette résidence, qu´il qualifie de meilleur de leurs projets de l´année. La municipalité des Ponts-de-Cé s´est pleinement investie dans l´organisation de notre séjour. La résidence était sur une semaine, mais les activités en amont ont commencé déjà neuf mois plus tôt, en septembre 2015. Notre séjour était très riche en rencontres, échanges, découvertes, avec une vrai dimension humaine, des jeunes se sont rencontrés, découvert, ont travaillé et pris du plaisir à être ensemble. Mr. le maire, ainsi que de nombreux membres du conseil municipal ont été présents à toutes nos manifestations. Que ce soient les répétitions, spectacles, la conférence, la rencontre sportive, il y avait toujours un élu qui était là, et très souvent aussi, le maire en personne. Cette politique de proximité, de terrain, faisait plaisir à voir, et était aussi à l´origine du succès du projet.
La nuit, sans excès, le soir nous avons déjà entamés les rangements, et la matinée était dans la même lignée, il fallait rendre le gîte propre, tel que nous l´avons trouvé en arrivant. Tout le monde y va du sien, comme toujours, nous sommes massivement soutenus par nos amis de Yepce, qui s´investissent pleinement auprès de nous aussi à ce niveau. Nous sommes plutôt rodés à l´exercice, c´est toujours pareil dans la majorité de nos hébergements, mais c´est toujours aussi une bonne occasion de mettre en pratique la solidarité et l´esprit d´équipe. Surtout pour les nouveaux c´est une découverte, que je ne me lasse pas de mettre en pratique par mes directives dynamiques et ciblées, ayant l´oeil à tout, ne laissant passer aucune poussière, aucun petit papier, et surtout promouvant une participation et un engagement sans failles de tout un chacun. Le tir-au-flanc est un concept inimaginable dans notre contexte. Ceux des Yepce qui ne sont pas avec nous aux balais et serpillères au gîte, sont sur le site du festival qui entame sa deuxième journée, et ils essayent de rentabiliser leur buvette pour générer un peu de finances pour l´association. Nous devons prendre la route en milieu de l´après-midi, pour être en Allemagne, à Rudolstadt, le lendemain vers midi. Il nous reste juste le temps de passer dire aurevoir à tous nos amis et on monte dans le bus pour plus de 20 hueres de route. Les adieux sont émouvants, on quitte des gens qui ont fait énormément pour nous. Certains sont des amis de longue date, d´autres plus récents, mais tous se sont investis sans compter durant toute une année pour que nous puissions venir et pour que nous puissions passer du très bon temps.
Arche de Noé
La route était longue, finalement nous avons mis pratiquement 24 h pour arriver à Rudolstadt. Je savais que c´était un festival très important, sérieux, à l´allemande, mais sans plus. Je n´avais aucun détail quand à la forme de notre participation, à part qu´on fera partie d´un projet théâtral multiculturel, Arche de Noah relloaded. D´après le scénario que j´ai reçu il y a deux mois, il était évident que c´était un projet très engagé, militant, prenant la défense de la cause des migrants et du multiculturel sans aucune concession, sans prendre de gants... Le tout était préparé très sérieusement, avec des intervenants professionnels. Deux acteurs vont assurer le texte et plusieurs formations musicales, la musique. Il devait y avoir des syriens, allemands, burkinabés et nous. A la demande du festival j´ai envoyé plusieurs de nos chansons, susceptibles d´être facilement reprises par les autres musiciens. Dès notre descente du bus, nous sommes allés directement à la salle de répétition. Ca tombait bien, elle était dans le batiment du gîte. Nous découvrons nos futurs collègues en plein travail, des partitions partout, un air sérieux, appliqué, mais décontractés quand même. Il y avait un trio classique syrien, un chanteur et joueur d´oud syrien, un bassiste allemand phénoménal, un batteur polonais du même accabit, une formation de percussionnistes griots burkinabés avec leur chanteuse et un énergumène virtuose des cuivres en tout genre, Paganini du cor alpin, Matthias Shieffel de son nom, chef d´orchestre déjanté, excentrique, mais ultra compétent, de ce nouveau projet musical atypique. Notre arrivée dénote par rapport au sérieux artistique affiché par certains (les syriens), mais on est pas tombé de la dernière pluie, on sait se tenir, on prend place et on voit venir... Les Syriens nous regardent de haut de leur excellence, les européens avec un réel intérêt et il me semble percevoir de la conivence amusée mêlée d´étonnement de la part de burkinabés. Il est évident que vu le sujet, les migrants, le thème porteur sera la musique orientale et africaine. Les Syriens, de très bons musiciens, mais encore un peu jeunes, se laissent vite prendre au mirage d´autoadulation, l´occasion s´y prête, il n´y a aucune raison d´y résister, et ils tombent dans le panneau à plein pieds et restent dans cette position distante de surdoués, audessus de tout et de tous. Le joueur de l´espèce de cymbalom oriental, excellent musicien, excelle dans cet art de m´as-tu-vu, il a de la chance que Helena arrive à se retenir, et que son cymbalum n´a pas fini sur sa tête... Ces finesses, il n´y a que moi qui les perçoit, les jeunes ignorent tout ça superbement, tant pis pour les petits génies du moyen orient. Par contre le reste de ce nouveau orchestre est très sympathique, les burkinabés étant en tête du palmarés de l´empathie et de la bonne humeur. Il est évident qu´il va falloir trouver un modus vivendi, des facons de coopérer, tenant compte de nos spécificités et talents respectifs. Heureusement, Matthias est vraiment très compétent, et rapidement nous arrivons à cerner les voies qui seront pour nous praticables pour arriver à un concensus et à un résultat. Au départ ce n´est pas évident, il n´est pas question pour les nôtres de faire quoi que ce soit avec les partitions, c´est un domaine qu´ils n´ont jamais abordé. Le défi est de taille. Matthias, au lieu de faire comme tout le monde dans de pareilles occasions de rencontres multiculturelles, c. à.d. prendre quelques morceaux basiques, simplistes, archi connus et faciles à jouer, montés à l´instant même, pour montrer que tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau, que la musique est le langage universel de tous les bobos de la terre..., fait tout le contraire. Là, nous étions dans la même démarche, mais en sens inverse, sans concession aucune quand au choix du répertoire et des interprètes. Que des trucs archi-compliqués, pas connus, impossibles à jouer pour le commun des mortels. En ce qui concerne les musiciens, c´était ok, c´était tous des super pointures, des craks reconnus sur la scène internationnale. Et du fait de l´exubérence géniale de Matthias, et aussi de sa virtuosité et super musicalité, les morceaux choisis ne pouvaient pas être du „menu frottin“, en aucun cas on ne pouvait s´abaisser à jouer de quelconques mélodies populaires bébêtes, faciles à retenir et encore plus faciles à jouer. Non, il fallait un répertoire à la mesure de nos talents et surtout à la mesure des ambitions de Matthias, pour qui la démesure est une seconde nature. Et pour cela Matthias n´a trouvé rien de mieux que d´aller passer un an en Afrique, au Mali, Burkina, et je ne sais encore où, pour y vivre la musique à fond, trouver et relever exactement, méticuleusement, à l´allemande, les mélopées et les rythmes les plus authentiques et les moins connus et faciles à jouer pour des occidentaux. Donc, c´est avec un solide matériel musical, sous forme de partitions, toutes dans des rythmes irréguliers, du 15/8, etc. que nous avons attaqué notre nouveau répértoire multinational. Du gâteau. Un casse-tête pour des musiciens expérimentés, une impasse pour des néophytes en solphège, comme les Kesaj. J´avais beau lire à vue dans ma pratique professionnelle, c´était très corsé pour moi aussi. Il était évident que nous pourrions faire qu´à notre façon, à la sensation, à l´oreille. Matthias, qui était à la bonne école en Afrique, a bifurqué sur notre voie, les burkinabés étaient ravis d´avoir des nouveaux potes sur la même longueur d´onde qu´eux, et les syriens, ils n´avaient qu´à se faire voir...
Les répétitions étaient à la hauteur des objectifs, professionnelles, sérieuses et exténuantes, 2 à 3 heures le matin, pareil l´après-midi. Une excellente expérience pour nos jeunots, qui ont fait preuve d´une grande maturité, et dans l´ensemble ont très bien tenu ces cadences infernales. Pendant 4 jours nous avons travaillé de la sorte, et les résultats commencaient à venir. Les rythmes impossibles devenaient familliers, grâce aussi à la bonne volonté et à la bonhomie des burkinabés, qui n´en revenaient pas de voir des „blancs“ se comporter comme des „noirs“. Le courant est passé tout de suite. Nos nouveaux amis avaient avec eux un tout petit garçon de 5 ans, le fils d´Aziza, leur chef. Il s´est tout de suite collé à nous, a fondu dans notre groupe et n´a plus quitté nos jeunes jusqu´ à la fin du séjour. Nous étions vraiment sur la même longueur d´onde. Musicalement, humainenment, socialement... on se comprenait parfaitement. C´est assez rare pour être souligné. Les musiciens ne sont pas forcement toujours très affables ni avenants dans leurs rapports internes. Souvent, des égo démesurés, des craintes de concurence exacérbées font que les rapports restent distants. L´exemple parfait en étaient les Syriens. Du banal, on en a vu d´autres... Mais les burkinabé, c´était tout le contraire. Ils avaient un côté naturel, simple, un peu comme nos jeunes, tout en étant très cultivés, instruits, parfaitement à l´aise dans le monde actuel. Leur chef vit en Allemagne, et fait venir les autres de temps en temps pour des tournées. Sur ce point, nous nous comprenions aussi très bien, nous étions dans le même cas de figure du combat pour la survie financière... Au retour de la générale, un des musiciens nous montre sur son I phone des images de leur village natal. Et là, stupéfaction, c´est le même modéle d´habitat que les osada rom dans les quelles vivent nos jeunes. Un puits, quelques huttes autour, de la terre battue, de la musique partout... on se croirait chez nous, dans l´Est slovaque, sous les Tatras... Combien de fois, chez nous, on entend les slovaques injurier les roms en leur viciférant avec mépris „vous êtes comme les négres, allez-vous en Afrique“... Oui, à l´évidence il y avait des similitudes dans le mode d´habitat, de l´usage de la musique comme lien social, etc.
Pour moi, il est évident que c´est de là que vienne cette conivence, cette mutuelle compréhension. Tous ces jeunes, africains ou roms, viennent du même milieu social, du même environnement, et moi, mon passé de refugié politique m´a forgé à la même vision des choses que les migrants, émigrés, immigrés, peu importe, le fond reste toujours le même, gagner quelques sous pour faire vivre sa famille... dans n´importe quelles conditions. C´est sûr, qu´ à ce niveau nous sommes plus concordants avec les burkinabés qu´avec les allemands, qui n´ont pas le même genre de problèmes existentiels. Les syriens, ils savent de quoi il est question, mais ne venant pas du même milileu social, on n´avait pas le même répértoire autour de la table... d´ailleurs nous étions toujours attablés avec les burkinabés...
Kolozal
Le festival était colossal. Kolozal, pour être plus précis... C´est le plus grand dans son genre (ethno-world) en Europe, il date encore de l´époque communiste, dans le temps c´était un haut lieu de la dissidence, et il a gardé de sa superbe encore de nos jours. Un côté non conformiste assumé, un peu punk, non conventionnel. C´est en grande partie grâce à son directeur, Bernhard Heinken, qui nous a contacté il y a un an, après avoir vu notre reportage d´Arte. Le premier, d´il y a 3 ans. Il y avait plus de 100 000 visiteurs, et il pourrait y en avoir plus, mais la petite ville ne pouvait en contenir un plus grand nombre. Avec 130 groupes du monde entier, des grands noms de la scène internationalle, des stars, des inconnus, des pygmés de la jungle tropicale, des... du tout de tous les continents, et nous. Nos prestations sont très appréciées. D´autant plus que, le reportage d´Arte aidant, il a été rediffusé il y a une semaine, en Allemagne aussi, toutes les 5 minutes des gens nous reconnaissent dans la rue et nous félicitent. Et puis, dans un festival de musiques éthniques, nous apportons une éthnicité dynamique, énergique, communicative... les gens aiment. Adorent.
Nous avons joué la première de l´Arche de Noah relloaded à guichets fermés, devant cinq mille personnes, sur la scène principale. Elle était retransmise en direct par les trois plus grandes radios allemandes. Malgré tout le travail en répétitions, le défi était de taille. A vrai dire, personne ne savait vraiment où on allait, ce qu´on allait jouer. Mathias peut-être, mais ce n´était pas vraiment certain. Finalement nous intervenions tout au long de la pièce, et heureusement, car sinon cela aurait eté un peu monotonne et longuet. Mathias a tout basé sur les mélopées orientales et sur les rythmes africains, avec des envolées vers le free jazz lors de ses interventions au cor alpin. Ca n´en finissait pas... Nos collègues étaient très performants, mais dans l´ensemble n´étaient pas orientés vers une conception scènique de production musicale. Tout le contraire de notre approche. Nous nous sommes moulus dans les musiques qui étaient imposées, le naturel tsigane aidant, nos jeunes ont spontanément adoptés les rythmes et les danses burkinabées, et le tout donnait cette impression tant souhaité et chérie, que nous sommes tous nés dans un même chaudron musical et que le multiculturel n´avait aucun secret pour nous. Toutes les années de nos expériences de scènes en tout genre, tout le travail d´improvisation et aussi de discipline, de rigueur, de contact avec le public a pu être mis à profit lors de cette performance. Honnêtement, je ne vois pas comment un autre groupe, moins expérimenté aurait pu relever ce défi, et passer des obstacles dont les autres n´avaient même pas idée, puisqu´ils ne sont que des musiciens et pas des artistes de scène dans le vrai sens du mot. Mais cela, les organisateurs ne pouvaient pas le savoir, et je suis sidéré de voir les risques qu´ils ont encourus en se lancant dans ce projet. Mais tout c´est très bien passé, et c´était un gros succès, standing ovation, rappels, la gloire.
Le reste du festival s´est très bien déroulé, nous avons encore quelques spectacles solo, que du Kesaj. Cela permet enfin aux autres formations de l´Arche de nous découvrir véritablement, et nos nouveaux collègues, dont ceux, qui nous regardaient de haut encore récemment, ne sont pas peu surpris... Nous participons encore à une émission radio en direct, donnons des interviews, profitons de cette gloire éphémère mais non moins agréable pour ca, cela fait du bien d´être reconnu de temps en temps, de voir pris en considération tout le travail et les efforts déployés par tout notre collectif. La rencontre avec Peter Doruzka, un gourou du monde des medias world ethno, nous donne, un mois plus tard, cette définition de notre groupe, qu´il a publié dans un super article du Rock&All magazine, lors d´une interview avec nous : "Le spectacle, bourré d´énergie, avec 35 personnes sur scène, est grâce à l´absence du moindre semblant de pathétisme, l´opposé exact d´une chorégraphie folklorisante, tout se passe dans un tempo étourdissant à la limite des possibilités humaines." Nous n´en demandions pas plus...
Demi bilan
Nous rentrons, comme d´habitude, après le dernier spectacle, sur la nuit. Éreintés, éssoufflés, mais riches de nouvelles expériences, de nouvelles rencontres, de nouvelles musiques. La nuit porte conseil, c´est le temps idéal pour des bilans. Cette tournée a été réellement éprouvante. Les 3 semaines de cet été ont été bien plus longues que les 6 semaines de l´été de l´année précédente. Beaucoup de facteurs y ont contribué, le principal était l´usure physique et psychique de la direction, c.a.d. de Helena et moi. Il faut dire qu´il y a de quoi. L´année, ou plutôt les années sont dures, cela laisse des traces, et l´âge y fait aussi. L´essentiel est une bonne ambiance, et hélas, il suffit d´un individu mal luné, et cela peut mettre en péril le reste du collectif. Nous ne sommes pas des professionnels de l´humanitaire, ni des éducateurs. Toute notre démarche est basée sur une intime conviction personnelle, sur un vague sentiment, qui peut prendre aussi la forme d´un principe intransgressible, que c´est comme ca qu´il faut faire, que ce qu´on fait a un sens. Bien sûr, des remises en questions, des doutes, font partie du quotidien, mais on avance malgré tout dans la même direction, contre vents et marées... Nous sommes habitués à un fort assentiment de la part de tous ceux qui sont avec nous. Des futils problèmes d´ados en mal de reconnaissance d´autorité, comme ceux rencontrés avec Ezel ou Jakub, nous sapent bien plus que nous voudrions l´admettre. Sans doute notre réserve d´énergie se vide peu à peu. Nous sommes dans un milieu extrême, dans des situations parfois extrêmes. Alors même une feuille d´arbre qui vient se poser sur le balancier peut faire basculer la balance. On a dit à Ezel qu´on arrive pas à imaginer comment il pourrait encore venir avec nous en tournée, s´il se comporte de la sorte. Il comprend, et puis finalement, on le reprendra... Avec Jakub c´était plus costaud. Il nous a fait vraiment peur. Ce n´est que très lentement qu´il reprenait pied, il était toujours très fragile. On arrive pas à imaginer comment il pourrait encore venir avec nous dans cet état. Et puis on l´a fait venir quand-même. Il a beau halluciner, entre deux délires il drague les gonzesses comme si rien n´était, et sur scène il a de très beaux restes, dix ans de pratique, ca laisse des traces... Il déménage comme un pro. Imbattable.
Heureusement, nos états d´âme ne sont pas contagieux, tout le monde va pour le mieux et tous ne demandent qu´à répeter, jouer, se produire, bref, continuer de plus belle... Entraînée par la foule, ... alors on fait comme dans la chanson, ce n´est pas la peine de résister, dès qu´on rentre, on remet ca! Un casting pour une production autrichienne vient de cautionner notre démarche, ou folie, pour être plus exact. Après on léve quand-même un peu le pied, il faut respirer un bon coup, je pars pour une petite semaine à Paris, et dès mon retour on reprend les spectacles. Pas trop, juste ce qu´il faut pour garder la forme. Et la forme, on l´a. Olympique. Alors, autant la garder, et pour ca, il n´y a qu´une solution, c´est de pratiquer. Vive les répètes!