Henry Cuny

 

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#Images tsiganes

 

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1- photo Klenovec 1998

 

Dérives

 

Ils n’ont qu’une benne à ordures

Et ils en font un radeau

N’allez pas croire celui de la Méduse,

Plutôt le bateau ivre de Rimbaud.

 

Comme lui sur les flots ils s’élancent,

Brandissant une bouteille vide tel un drapeau,

Pour toute ivresse ils n’ont que cette danse

Des Tatras déversées à grandes eaux

 

Les eaux de la fatalité

Mais pas celles du malheur,

L’écume des oubliés

Où ils trouvent leur bonheur

 

Car dans la benne à ordures

Chacun est le tout et personne quelqu’un ;

C’est ainsi justement qu’ils durent

En attendant le prochain matin.

 

Sans doute diraient-ils à Rimbaud

« Notre lune n’est point atroce, ni le soleil amer :

Chaque jour éclate notre bateau,

Et chaque nuit nous réinventons la mer ».

 


 

 

2 - photo jina 935

 

Imitations

 

Aujourd’hui jour de rallye

Comme on en voit à la télé

Quand on a l’électricité ;

Juste un matin où l’on s’oublie.

Le pilote est concentré,

Devant les autres on va s’illustrer.

 

Spectateurs en palissade,

L’équipier donne l’accolade :

Prêts au départ,

Je suis le moteur, je suis le cheval,

Pour la course je suis sans rival,

La fuite est notre rempart.

 

Nous n’avons pas toujours la télé

Même si nos toits ont des antennes :

On peut bien faire comme les gadjé

Si on veut s’en donner la peine.

Nous sommes les enfants de la fée,

Nous sommes un conte à nous-mêmes.

 

 

 


3 - Photos Alain Keler

 

Entre chien et loup

 

Ce sont juste des ombres,

On n’en saurait dire le nombre,

Qui sortent à la brune

A cette heure opportune

Où, se confondant au paysage,

On les prendrait pour des enfants sages.

 

Leurs cahutes semblent une réduction des montagnes

Ils ont au cou des écharpes de brume

Mais au cœur un pays de cocagne

Qui s’étire entre marteau et enclume ;

Il n’est ici de col blanc que pour les cimes,

Ils n’ont pour nom que pseudonymes.

 

Farahúni[1] ou farfadets

Où est la différence ?

Ce sont elfes qui dansent

Ne les jugez pas simplets

Leur paysage est leur chez-soi

Et le ciel ennuagé leur toit

 

Quand le dehors se fait dedans,

Quand tout devient plaisant

D’être modeste et dépouillé,

On peut les monts se concilier :

La terre est sans encombres

En notre avenant théâtre d’ombres. 

 


4 - Photos de danses (notamment Association Ver’Kesaj - robe blanche et mauve - & Adel Kheil) et photo du car Richard B. Dupuis)

 

Après la danse

 

A regrets elle a replié sa corolle

Que faisaient éclore les regards ;

La première elle est revenue au car

Après avoir été fleur que le violon cajole.

 

Elle laisse la musique derrière elle,

Le cymbalum et les archets,

Les trilles qui lui donnaient des ailes

Et soulevaient les rires par ricochet

 

De ceux qui n’avaient pas comme elle

Ce pouvoir d’étirer le temps,

De faire perdurer l’instant

En une cambrure de jouvencelle.

 

Du violon elle a été l’âme,

Car les tsiganes ont un secret :

Leur corps est aussi leur âme

Quand ils dansent à leurs banquets.

 

Un secret que jamais ils ne partagent

Pour pouvoir avec les notes s’envoler ;

Et les autres les croient endiablés,

Faute de saisir de leur corps le langage.

 

Sur la vitre est écrit excursion ;

La danse n’était que parenthèse,

Vite refermée avec l’accordéon ;

Mais cette absence de soi l’apaise

 

Où elle a trouvé la grâce,

Celle d’être belle et de briller,

Ce qui lui reste de sainte audace

Au retour sur le chemin des oubliés.

 


5 - Photos Claude et Marie-José Carret et William Ropps (portrait)

 

Les yeux des chajori[2]

 

Elles ont le plus souvent les yeux noirs,

Mais parfois clairs aussi,

Et leur regard n’est que miroir

Sous les longs cils des chajori.

 

S’y reflètent des paysages

Où le ciel est à portée de main,

Où les sourires ressemblent aux nuages,

Celui d’une mère dans la vitre qu’éclaire le matin.

 

Le sourire y perce comme un soleil

Car « sans enfants pas de bonheur » :

Elles sont leur temple des merveilles,

Ces fillettes sont leur seul honneur.

 

Dans les yeux des chajori

Il est des chemins d’herbe folle,

Des hivers de neige aux champs transis

Et des soirs d’été pleins de lucioles.

 

Sous les boucles mutines ce regard équinoxe,

Moitié ombre, moitié clarté :

Les chajori ne sont que paradoxe,

Leur faiblesse est gage d’éternité.

 

Bientôt leur tour viendra

D’enfanter le miracle d’une vie nouvelle,

Le jour où on les demandera

Sans leur promettre d’être fidèle.

 

 

 

 

 

Henry Cuny



[1] « pharaons » : désignation peu amène des Rom employée par les villageois slovaques, fondée sur la croyance erronée qu’ils viendraient d’Egypte.

[2] fillette, non encore nubile